Le moins que l’on puisse dire c’est que cela faisait un petit moment que Guillermo Del Toro nous préparait ce Cabinet de curiosités. Déjà en 2018, le réalisateur annonçait la mise en chantier d’une série d’anthologie horrifique. Intitulé Guillermo Del Toro’s Ten after midnight, le projet devait donner la part belle à dix réalisateurs émergents du genre fantastique et Del Toro ne s’interdisait pas d’en réaliser lui-même un épisode. On imagine aisément que la crise du covid aura considérablement ralenti son développement.

Pourtant, il faut remonter à une quinzaine d’années en arrière pour entrevoir les origines de cette anthologie. Au début des années 2000, le réalisateur Mick Garris (Le Fléau, Désolation) organise des repas où il convie la crème des réalisateurs de films d’horreur de l’époque afin de faire connaissance et d’échanger sur leur genre de prédilection. Del Toro fait partie de ces invités récurrents, côtoyant à la même table des légendes vieillissantes telles John Carpenter, Tobe Hooper, John Landis ou encore Stuart Gordon. Garris leur propose alors le projet d’une anthologie horrifique à laquelle ces réalisateurs pourraient participer en réalisant chacun un épisode d’environ une heure. Le mot d’ordre est alors : réaliser son film d’horreur sans se mettre de barrières ou se soucier de la censure. Enthousiasmés par l’idée de Garris, la plupart des cinéastes décident d’y participer et la série sortira en 2005 sous le titre Masters of horror (sortie chez nous sous le titre Les Maîtres de l'horreur, sous forme de plusieurs dvd puis diffusée tardivement à la télévision). Le succès est au rendez-vous et la série se verra même renouvelée pour une seconde saison. Or, au grand regret de tout le monde, Del Toro ne put se rendre disponible pour réaliser un épisode, le cinéaste mexicain étant alors accaparé par les réalisations successives du Labyrinthe de Pan et de Blade 2. L’anthologie aura même droit plus tard à sa troisième saison officieuse, réintitulée Fear itself, à laquelle là non plus Del Toro ne participa pas.

A l’époque, Garris pense que ce n’est que partie remise et Del Toro, alors en pleine ascension à Hollywood, retient l’idée d’une éventuelle contribution à une autre saison qui ne se fera jamais.

On peut largement en déduire que le projet Ten after midnight découle de cette frustration de n’avoir pu participer à Masters of horror en son temps.

Et ce fut finalement en 2022 que Del Toro nous offrit sa propre anthologie d’horreur. En partenariat avec Netflix (qui lui laisse dans la foulée les coudées franches pour réaliser sa version en stop motion de Pinocchio), Del Toro voit sa série réduite à huit épisodes et la retitre Le Cabinet de curiosités de Guillermo del Toro.

L’idée est alors proche de celle de Masters of horror : convier des réalisateurs émergents du cinéma d’horreur et leur confier à chacun un épisode d’une durée d’à peu près une heure. Et comme Hitchcock en son temps, Del Toro jouera ici les maîtres de cérémonie en se chargeant de présenter chaque épisode. Des épisodes qui, s’ils ont été confiés à différents réalisateurs, semblent a peu près tous porter les obsessions du cinéaste pour l’oeuvre de Lovecraft. En grand amoureux du maître de Providence (auquel le cinéaste a rendu plusieurs fois hommage dans des films comme Mimic, Hellboy 1 et 2, Pacific Rim, et dont il a essayé de porter à l’écran le récit Les Montagnes hallucinées), Del Toro recycle ici l’idée de l’indicible horreur chère à son modèle, l’intégrant parfois dans un cadre moderne. Deux des épisodes sont toutefois des adaptations officielles, et plutôt libres, de célèbres récits du reclus de Providence, le premier adaptant Le Modèle de Pickman (le meilleur épisode de l’anthologie) quand le second (moins réussi) s’inspire de La Maison de la sorcière (cette dernière histoire ayant déjà été mieux adaptée par Stuart Gordon dans la première saison de Masters of horror).

Chaque épisode (à l’exception du dernier, Murmuration, plus soft et adapté d’une histoire originale de Del Toro) compte au moins une figure monstrueuse et on devine aisément que, Del Toro étant un grand amoureux des monstres, il s’agissait là du principal mot d’ordre du cinéaste/producteur/scénariste : faire la part belle aux monstruosités de tous genres et de tous poils. Et autant dire que les artistes n’ont pas fait les choses à moitié, chaque opus de cette série étant peuplé de créatures visuellement impressionnantes et pour la plupart très influencées par l’esthétique de l’indicible horreur lovecraftienne (mention spéciale au fameux modèle de Pickman).

Mais à part ça, que vaut vraiment la série ?

Comme toute anthologie, celle-ci compte son nombre d’épisodes réussis ou décevants. Parmi les réussites, et comme je le disais précédemment, Le Modèle nous offre enfin une adaption du Modèle de Pickman digne de ce nom, brodant autour du protagoniste en lui donnant ici épouse et fils (dans le récit original, le narrateur est un homme solitaire, comme la plupart des protagonistes/narrateurs des histoires de Lovecraft) et offrant au mystérieux personnage de Pickman une parfaite incarnation en l'acteur Crispin Glover. Le quatrième épisode, La Prison des apparences, nous propose une histoire assez singulière, son intrigue tournant autour d’une épouse introvertie et complexée qui se métamorphose au contact d’une crème de soins pour le moins inquiétante. Très proche de l’histoire de Stephen King Les Révélations de Becka Paulson, l’épisode mélange à merveille l’horreur et l’insolite pour s’acheminer vers une conclusion pour le moins ironique. Plus horrifique, L’Autopsie se révèle être un épisode particulièrement dérangeant dans le déroulement de sa séquence-titre, graphiquement outrancière et jusqu’au-boutiste. Malin, l’épisode nous offre qui plus est le plaisir de retrouver l’excellent mais sous-estimé F. Murray Abraham dans le rôle principal. Enfin, le dernier épisode, Murmuration, plus sobre et adapté d’une nouvelle de Del Toro, s’apprécie comme une classique histoire de fantôme, à la tonalité douce-amère, et qui explore le thème du deuil et du fantôme en colère en y ajoutant un élément animalier original (des oiseaux).

Les quatre autres épisodes sont plus inégaux. Si le premier Le Lot 36, confié à Guillermo Navarro (fidèle chef opérateur de Del Toro) intrigue dans sa modernisation de Lovecraft appliquée à un redneck raciste et cupide (excellent Tim Blake Nelson), sa conclusion, assez abrupte et manquant d’originalité, a de quoi nous laisser sur notre faim. Plus réussi est le second, Rats de cimetière, voyant un autre cupide personnage de pilleur de tombes s’aventurer un peu trop profondément sous un cimetière pour y chercher un trésor. La morale veut que la cupidité ne paie pas et notre anti-héros (incarné par le canadien John Fawcett, acteur fétiche de Vincenzo Natali, ici en charge de la réalisation) l’apprendra de manière peu enviable. Beaucoup plus ennuyeux est Cauchemars de passage. Adaptant La Maison de la sorcière de Lovecraft, l’épisode essaie de renouer avec la poésie inquiétante de certains films de Del Toro mais n’arrive jamais à nous surprendre dans les apparitions d’une sorcière moins effrayante qu’un détraqueur d’Harry Potter.

Enfin, toujours aussi perché dans sa façon de mélanger esthétique hallucinée, intrigue what the fuck et sono synthétique des années 80, Panos Cosmatos recycle dans son segment L’Exposition toute l’étrangeté hallucinée de son Mandy mais se perd quelque peu à essayer de créer une atmosphère-signature au détriment d’une intrigue digne de ce nom. Parcouru de dialogues décalés, l’épisode se regarde surtout pour le plaisir d’y retrouver Peter Weller, transformé ici en riche mécène versant dans le délire enfumé, et nous offre aussi en conclusion une très sympathique créature visqueuse, lointaine cousine du Blob et de Toxic Avenger.

Le Cabinet de curiosités porte bien son titre. Au-delà du meuble renfermant des objets singuliers, la plupart des protagonistes de ces huits contes macabres paient le prix de leur trop grande curiosité vis-à-vis de trésors, de tableaux inquiétants, de morts suspectes, d’artefacts extra-terrestres ou de vie après la mort. On y trouve du bon et du moins bon mais la qualité de l’ensemble, et la relative rareté des anthologies horrifiques télévisuelles, nous fait tout de même espérer que la plateforme renouvellera l’exercice pour une seconde saison.

Buddy_Noone
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le 25 mai 2023

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