Le Jeu de la dame
7.6
Le Jeu de la dame

Série Netflix (2020)

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Il faut le dire Netflix a toujours su plus ou moins embellir ses séries. Et ce ne sont pas les dernières en date que j'ai pu consommer qui seront un contre exemple à cette esthétique plaisante, devenue désormais, une vraie marque de fabrique . Avec The Haunting of the Bly Manor, l'horreur à l'eau de rose, Ratched, le thriller horrifique aux airs Andersonien, on peut le dire sans trop se méprendre, Netflix propose des séries qui visuellement, entrent dans les clous du cinéma grand budget.


Mon rapport à la plateforme est loin d'être addictif, et pour cause, je regarde assez peu les créations proposées, je ne suis pas encore atteint du "syndrome" du binge watching que semble encourager Netflix, véritable Gargantua du divertissement-consommation, symptôme, d'une société qui semble prise dans un espace temps dilaté. Il faut, que le consommateur se gave, il faut, le contraindre à consommer le plus rapidement possible, coloniser son temps de cerveau disponible, après le boulot et le métro. Je dois dire que je déteste cette manière qu'a l'interface Netflix de brancher le cerveau sur un mode automatique, en nous envoyant ses shoot-divertissement de 45 minutes sans nous demander le reste. Certains me rétorqueront sûrement que le spectateur a le choix, que nous avons la maitrise des outils numériques, moi je leur dirais que vous ne vous êtes jamais intéressé de près aux théories en psychologie sociale et cognitive utilisées dans le design/conception des outils numériques que vous consommez pourtant tous les jours. Ici, néanmoins point de technophobie, je crois réellement à la possibilité d'une éthique numérique, mais sans les GAFAM bien-sûr.


Après cette petite remarque, aux airs de critique néo-marxienne qui fera lever les yeux au ciel des technophiles en col roulé Issey Miyake, je vais désormais m'attaquer au plat du jour : The Queen's Gambit.
Bon sang, quelle déception, mais m'attendais-je à autre chose ? Oui peut être, enfin, mes espoirs se sont vus balayés sans autre forme de procès, dès le premier épisode. Déjà, nous sommes sur un format relativement casse gueule, celui de la mini série. 7 épisodes, de longueur standard, entre 50 et 45 minutes.


Il faut le dire, la première accroche fut visuelle, Netflix semble exiger un soin tout particulier aux décors, costumes et il n'y a pas à dire, c'est encore une fois très convainquant. La deuxième accroche, fût Anya Taylor-Joy, une actrice que j'avais eu l'occasion de découvrir dans The Witch et qui je trouve, avait porté à elle seule le film, de part sa présence à l'écran, impressionnante pour son âge, et la justesse de son jeu, une actrice qui me semblait déjà très prometteuse.


Dès les premières secondes du début de la série, nous la retrouvons donc semble t-il, en championne incontestée et incontestable des échecs, toute nonchalante, sortant d'un salon rococo parisien, dans sa démarche de diva maudite, venant se donner aux flashs des journalistes en liesse. Le choix du réalisateur fut dès lors relativement classique pour une production occidentale, nous allons vivre tout au long de la série, une fiction biographique, suivant le parcours de cette taciturne enfant, orpheline, mais surdouée, une enfant touchée par la grâce, avec un don (de Dieu ?) pour les échecs. Elle arrive dans un orphelinat, et voit le concierge jouer à un drôle de jeu, elle n'en connait rien, mais déjà, dès les premières parties, le bougre est en difficulté, il se rendra compte petit à petit qu'il a affaire à un prodige et décidera d'en devenir le mentor le temps de son séjour à l'orphelinat. Dès lors, Beth Harmon deviendra le Rocky des échecs, la Terminator qui découpera en pièces quasi tous ses adversaires. Cette histoire du succès par le don inné que nous adorons nous raconter en Occident est problématique à plus d'un titre, parce que d'une part elle est fondamentalement, la résultante d'un discours philosophico-politique que l'on a intégré comme norme, et découle d'une tendance à croire que la clé du succès se trouve dans l'individu, et finalement par extension, dans les gènes... D'autre part, et c'est peut être le comble dans tout cela : Ce mythe, qui varie peu, notamment aux U.S.A à travers la figure du Self Made Man est tout à fait culturel, ethnocentré, et anti-scientifique.


Nous avons tendance à représenter presque systématiquement la douance, par le biais de "l'intelligence logico-mathématique" (souvent amalgamée aux échecs dans le sens commun), à laisser penser que cette caractéristique est inhérente à l'individu, qu'il nait doué, mais qu'il ne le devient pas, et qu'il n'a surtout pas à travailler pour y arriver ou très peu. Nous la voyons effectivement lire un livre, jouer quelques parties mnésiques, et s'entrainer comme dit plus haut, quelques temps avec le concierge avant sa pause (?) d'environ 10 à 13 ans. La série tente bien de nous rappeler qu'elle lit des livres sur les échecs et que sa maman lui a léguée ses facilités pour les mathématiques, (je cherche encore le lien de cause à effet entre maths et échecs, lieu commun mythifiant s'il en est), alors ça va ! Crédible...


Nous savons aujourd'hui, entre autre par les travaux menés en psychologie et sociologie que chaque individu est la résultante d'un conditionnement psychologico-sociologique très complexe (que les neurosciences n'éclairent pas plus que ça), et que Einstein, que nous adorons mettre en avant comme parangon de l'intelligence, ne l'est que parce que nous avons tendance à penser que la capacité d'abstraction est la marque d'une supériorité intellectuelle, qu'ici, les échecs représentent bien.


Tout ce conditionnement culturel autour de la douance, et plus largement de l'intelligence en Occident et dans certains pays asiatiques, se retrouve balancé à la figure du spectateur sans jamais prendre le recul nécessaire de l'explication de la construction d'un talent, une focale qui aurait été bien plus intéressante à suivre, et qui fait de Whiplash encore à ce jour, certainement l'un des meilleurs films traitant d'apprentissage, bien qu'ayant également ses défauts notamment sur la vision très coercitive que cela peut donner du processus.


(Attention tarte à la crème)


Margaret Thatcher aurait assurément adorée cette série, qui montre encore une fois au combien la vision légitimée de l'intelligence est asociale, tout tourne autour de l'individu Beth Harmon, les autres, ne sont là que pour la servir, Beth Harmon ne vit pas dans une société, c'est la société qui vit autour de l'égo Beth Harmon. L'épaisseur des personnages dans la série ne dépasse en effet que rarement le papier à cigarette, et ce focus autour du personnage principal le rend tout à fait détestable, déjà parce qu'elle répond au cliché de l'enfant précoce qui se veut renfermé sur lui même, arrogant, et bien-sûr instable psychologiquement avec son addiction aux tranquillisants. Les relations qu'elle entretient avec les personnages ne sont à peine qu’effleurées, elle doute (très) rarement d'elle même et de ses compétences et tend à nous montrer cette face de la réussite très libertarienne que l'on retrouve à travers le "Just do it" de Nike, une réussite personnelle, ou l'individu Roi très bien représenté tout au long de la série, peut envoyer chier sa mère adoptive en la traitant comme moins que rien, sans que cela ne découle sur une franche engueulade, ou une remarque bien sentie, non, ici tout est plat, tout est lisse, tout est en ligne droite. Le père adoptif, quant à lui, est l'archétype masculiniste, connard fini, père absent, mari certainement infidèle, soit l'exemple parfait du personnage bâclé. Comment une série peut-elle être aussi peu sociologique dans sa façon de discuter des parcours, ne méritons nous pas, êtres humains, d'être traités comme des "objets" complexes au delà du verni pseudo-psychologisant distillé ça et là pour faire cache misère ? C'est là toute la magie de la recette du téléfilm chic and cheap de Netflix, pas besoin de personnages, pas besoin de les intégrer dans un environnement cohérent, la société n'existe pas, il suffit d'une recette d'écriture bon marché à répliquer ad nauseam, et d'une dose de simulation donnant l'impression simplement visuelle, que nous sommes face à une histoire crédible.


En somme, cette série ravira ceux qui aiment être caressés dans le sens du poil. Elle ne se montre même pas si courageuse dans les thèmes qu'elle aborde, comme le sexisme, le racisme et autres problématiques. Finalement, Le Jeu de la dame en français, se trouve être son insu peut être, la meilleure publicité au mythe du "don", tout en passant allègrement sur les conditions multiples qui fabriquent les enfants dits "doués", élus d'une pensée magique qui ne dit pas son nom.

HarrierDuBois
3
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le 31 oct. 2020

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72 j'aime

50 commentaires

Maison Acide

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