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Le Monstre de Florence, ou Il Mostro dans son titre original, et je le précise ici, car cela aura son importance plus tard.

C’est une mini-série de quatre épisodes d’environ une heure chacun, sortie sur Netflix et réalisée dans son intégralité par Stefano Sollima, sans doute, à l’heure actuelle, le meilleur réalisateur italien, et peut-être même d’Europe, rien que ça.

Plus habitué à réaliser des séries que des films, il n’en reste pas moins un réalisateur prolifique, avec environ une création par an.

Et ce n’est pas pour autant que la qualité n’est pas au rendez-vous : l’an dernier, il a signé le film, également sur Netflix, Adagio, que j’avais déjà beaucoup aimé.

Il a également sorti la mini-série ZeroZeroZero et est surtout connu pour avoir réalisé Gomorra et, en particulier, la suite de Sicario (qui reste, à mes yeux, un meilleur film que le premier).


Mais revenons à la série : de quoi parle Le Monstre de Florence ? Eh bien, la série raconte l’histoire d’un tueur en série qui a réellement existé au milieu des années 70-80 en Italie, dans la région de Florence.

Huit couples ont été assassinés, et, comme l’indique la série dès le départ, cette affaire n’a toujours pas de résolution à l’heure actuelle.

On est dans le même cas de figure que des films tels que Zodiac, Memories of Murder ou La Nuit du 12.

Malgré ce postulat, qui est indiqué dès le départ, on a déjà vu avec les œuvres précitées que l’absence de résolution d’une affaire ne rend pas une œuvre mauvaise en soi. Tout dépend de la proposition, et je vous garantis que celle de cette série vaut vraiment le détour.

La série suit la procureure générale qui, au milieu des années 80, se retrouve à nouveau confrontée au tueur. Elle et les deux agents en charge de l’affaire vont donc remonter dans le temps pour tenter de trouver le crime originel du tueur, le crime fondateur.

Ils remontent jusqu’en 1968, où un couple a été tué. Mais voilà, cette affaire a déjà une résolution : le tueur a été retrouvé et condamné, pourtant le mode opératoire est presque identique.

C’est ce postulat que la série va adopter, cherchant à démêler le vrai du faux dans une affaire pourtant déjà résolue, pour retrouver le tueur en série qui pourrait être le véritable responsable de ce premier meurtre.


Pour ce faire, à l’image d’une série comme Cold Case, la série alterne entre des séquences dans le présent (les années 80) et des flashbacks dans le passé (1968), où l’on suit la vie des deux premières victimes, plus précisément celle de la femme, l’homme étant très secondaire, voire quasiment absent de l’intrigue, n’étant que l’amant.

C’est ce qui fait la force de la série : en mettant principalement en scène les événements de 1968, elle s’affranchit de sa ressemblance potentielle avec Zodiac de David Fincher, un film purement clinique, centré sur le côté documentaire de l’affaire plutôt que sur son aspect émotionnel, voire humain.

Zodiac est clinique, là où Le Monstre de Florence est sadique, et je précise ici que je ne parle pas des tueurs, mais des deux œuvres.


Je reviens donc sur ce que je disais en préambule : la série, en italien, s’appelle Il Mostro, soit « le monstre » en français, ce qui n’est pas compliqué. Mais toute la subtilité réside dans le fait que la série n’est pas traduite ainsi en français ; elle n’est pas traduite de manière littérale.

De toute façon, je pense que cela aurait été une erreur dans les deux cas : la traduction actuelle est erronée, et une traduction littérale aurait été trop littérale.

Le titre original de la série est figuratif : c’est une métaphore du thème de la série, non pas de l’histoire du tueur ou de lui-même, mais de ce qu’elle raconte.


Le Monstre de Florence n’est pas une série sur le monstre de Florence : il est secondaire, un simple bruit de fond. Sollima prend ce tueur en série comme prétexte pour explorer les méandres de l’humanité, passer au crible ce qu’il y a de plus mauvais chez l’homme, et révéler, tel un scalpel, LE MONSTRE en chacun de nous.

Vous allez me dire que j’en fais trop, que j’interprète, que je surinterprète. Eh bien, non, car la série ne le dit pas explicitement, mais le montre. Et comment le montre-t-elle ? Avec un tour de passe-passe très subtil et brillamment conçu.

La silhouette du tueur change au cours de la série : elle n’est jamais la même d’un épisode à l’autre. À chaque fois que la série se focalise sur un suspect ou sur un suspect potentiel, la mise en scène du meurtre dans le présent est réalisée avec la silhouette du suspect de l’épisode ou du suivant.

Cela souligne à la fois l’incertitude, le fait que le tueur n’a jamais été arrêté, et l’idée que n’importe qui peut être le tueur, que n’importe qui peut être ce monstre.


C’est au cœur même de ce que dit la série : en mettant en avant ces flashbacks (si l’on peut les appeler ainsi) dans les années 1968, la série présente des personnages tous plus détestables les uns que les autres, tous plus pervers, tous plus sadiques, tous plus destructeurs.

Sollima ne filme pas des humains, mais une galerie de monstres à forme humaine. J’ai lu de nombreuses critiques affirmant que cette série dénonce la misogynie, disons culturelle, de l’Italie de l’époque.

Je peux le concevoir mais à une certaine limite je pense aux sécrétiques ont surtout vu ce qu'il voulait voir et pas se la série est en train de leur dire.

La femme que l’on suit le plus, à savoir la première victime, n’est clairement pas un modèle. Le premier épisode est davantage consacré à elle et à sa vie de famille, et elle y apparaît comme horrible.

Il n’y a pas que les hommes qui sont détestables : même elle, pourtant victime, est détestable.

C’est aussi un tour de passe-passe destiné à accentuer le fait que n’importe qui peut être le tueur.


C’est très finement joué, mais si tu n’as aucune empathie pour la victime, tu en viens presque à te dire : « Bah, finalement, je me fiche de ce qui lui arrive. » La série te dit alors : « Mais regarde, es-tu si différent de chacun des suspects ? »

Oui, cette femme n’était pas parfaite ; oui, c’était un monstre, elle aussi. Mais pourtant, elle est morte, tuée pour ce qu’elle était, et tu ne ressens pas d’empathie pour elle.

Bien entendu, les personnages ne sont pas unidimensionnels : ce ne sont pas simplement des monstres, point final, sinon cela n’aurait aucun intérêt.


Chaque personnage est un personnage détruit par la vie. Et là encore, j’ai lu de nombreuses critiques parler de patriarcat et de ces termes à la mode qu’on utilise constamment.

Mais la série ne parle pas de cela : il n’est pas question d’idéologie, ni de féminisme, mais d’humanisme, en plongeant dans les tréfonds de l’humain.


L’auteur se moque de savoir si, de nos jours, les événements sont perçus d’une certaine façon. Ce qui lui importe, c’est de montrer la vérité, même si elle est macabre, même si elle est profondément perverse, même si les êtres impliqués, y compris les victimes, sont eux-mêmes pervers.

Chacun des hommes mis en cause est un homme détruit. Le premier, le mari, est soumis à tout le monde : à sa femme, à sa famille, et même aux amants de sa femme.

Autant l’appeler Clairement, c’est un « cuck ».

Ceux qui veulent des grands mots actuels, eh bien, moi aussi, je pourrais en utiliser : cet homme est un « homme soja », un homme « déconstruit », en somme. Et c’est précisément à cause de cela que tous les événements, et probablement les meurtres en série, surviennent, parce que, ce mec n'a pas de couilles, disons les termes.

Il se laisse marcher dessus par tout le monde : un homme peut venir chez lui violer sa femme, presque sous ses yeux, et il ne réagit pas.

Sa femme peut faire venir ses amants chez elle, l’obliger à les servir au petit matin après qu’ils ont passé la nuit ensemble, et il ne dit rien.

Sa famille peut lui imposer d’épouser une femme qui ne le souhaite pas, et il ne dit rien.

On peut tuer sa femme sous ses yeux, et il ne dit rien, car il est trop soumis, trop lâche.

Et ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais, finalement, tous les personnages incarnent, à leur manière, cette image d’homme pathétique, mais dangereux.


-Un amant assoiffé de contrôle, voulant jouer les chevaliers blancs, mais qui n’est qu’une ordure comme les autres.

-Un homosexuel refoulé qui trouve du plaisir à voir ses femmes se faire violer sous ses yeux, en payant des hommes pour le faire.

-Le mari, je l’ai déjà mentionné.

-Un beau-frère qui n’a aucune vie, qui s’invente une existence fictive et va jusqu’à reproduire les crimes pour se donner de l’importance.

-Et donc, la femme qui fait payer à son mari le fait d'être une merde en le traitant encore plus comme une merde, en couchant avec tout ce qui bouge sous son propre toit, devant son mari et devant son propre fils aussi, car cette dernière meurt littéralement avec la bouche remplie par la bite de son amant, alors que son propre fils est à 30 cm d'elle.


Tous ces personnages sont autodestructeurs et destructeurs pour les autres. Il n’y a pas d’idéologie là-dedans : ils incarnent les tréfonds de l’âme humaine.

Si la série se voulait féministe, pensez-vous vraiment qu’ils auraient dépeint une victime avec autant de défauts, même s’il s’agit d’une histoire vraie ?

Ils auraient fait d’elle une mère idéale, une épouse irréprochable, détruite par de vils hommes. Mais non, ce n’est pas le cas : elle est elle-même une personne abjecte, qui a fait vivre un enfer à son mari. Oui, elle a été violée, mais elle a aussi vu son mari être violé avant de l’être elle-même par le même individu.


Tout est malsain dans cette série : les personnages sont malsains, l’histoire est malsaine, et l’ambiance l’est tout autant.

Cela me permet de parler de la réalisation. Depuis le début, je vous parle de l’histoire, de la manière dont elle est racontée, et de la façon dont la série parvient brillamment à détourner les codes pour nous surprendre.


Mais elle le fait aussi à travers la mise en scène. J’ai déjà mentionné plus haut le fait de changer la silhouette du tueur, par exemple : ce n’est pas vraiment de la mise en scène, mais plutôt un détail de mise en scène.

Ensuite, on retrouve les gimmicks habituels de Sollima, à savoir ces plans larges sur des villes en hauteur, souvent de nuit, qui sont d’une beauté à couper le souffle. On retrouvait déjà cela dans Adagio et ZeroZeroZero, et, bien que je n’aie plus le souvenir précis pour Sicario, il doit probablement y en avoir.


On le voit aussi reprendre d’autres gimmicks, presque en hommage, conscient de la proximité des deux histoires. Forcément, la série allait être comparée à Zodiac de Fincher. J’ai l’impression qu’il rend un petit hommage dans la réalisation avec ses plans iconiques, qui filment des voitures, très typiques de la mise en scène de Fincher dans Zodiac.

Mais ce qui est le plus bluffant, c’est surtout la façon dont il filme chacun des monstres, mettant en lumière les relations entre les personnages. Prenons un exemple simple dans l’épisode 4, sans spoiler.

Un personnage arrive chez un autre, et la caméra fait en sorte que ces deux personnages soient les seuls que l’on voit. Mais en réalité, il y a un troisième personnage, présent et parlant. Pour souligner l’obsession d’un personnage, la caméra ignore celui sur lequel le focus n’est pas fait, comme s’ils n’étaient que deux, alors qu’ils sont trois.

On peut aussi noter ses plans au cadre découpé par un objet au premier plan, que ce soit un mur ou une cloison, qui divise une pièce en deux, avec un personnage d’un côté et d’autres de l’autre.


Le passage du temps, filmé de manière fluide, sans temps mort ni coupure. Dans la première scène du film, celle du premier meurtre, entre le moment où les corps sont découverts et celui où l’ambulance arrive, il n’y a pas de coupure : un simple mouvement de caméra induit le passage du temps, en dévoilant l’ambulance sans pour autant quitter la victime, qui reste visible dans le rétroviseur. (Cette scène est magnifique.) Elle permet de comprendre que le temps a avancé.


Le seul petit bémol que je pourrais relever, au niveau de la réalisation, et peut-être aussi, dans une moindre mesure, au niveau de l’écriture, concerne la distinction entre le réel et le plausible.

En effet, le flashback n’est pas un flashback à proprement parler : c’est un récit construit par différents individus, chaque suspect livrant, en quelque sorte, sa version. Mais c’est là le problème : la réalisation ne parvient pas à nous faire comprendre si c’est la version du suspect ou si ce sont les faits réels, mis à jour par cette version.

Prenons un exemple concret : le meurtre de 1968 est montré à plusieurs reprises, et à chaque fois, ce ne sont pas les mêmes personnes qui accompagnent le mari. Du coup, je me dis que c’est du plausible : la mise en scène ne nous dit pas « voilà ce qui est arrivé », mais plutôt « voilà ce qui aurait pu arriver ».


Le problème est que, dans les autres scènes, on ne sait pas si l’on est dans « voilà ce qui est arrivé » ou dans « voilà ce qui aurait pu arriver ».

La frontière entre les deux n’est pas clairement établie, ce qui peut engendrer un certain sentiment de confusion.


Pour conclure, je vous conseille vivement de regarder cette série, mais je vous préviens : elle est difficile à visionner, non pas à cause de la violence, qui n’est pas si extrême, malgré le fait que l’on voit chaque meurtre, mais plutôt en raison de la violence psychologique et de l’impact de voir à l’écran des personnages aussi dérangés, aussi malsains. Et le plus accablant, c’est de savoir qu’ils ont réellement existé.

Je dois le dire : le quatrième épisode, qui dure une heure, est particulièrement difficile à regarder. C’est le plus malsain des quatre, car il suit le personnage le plus troublant du groupe. Je tiens donc à prévenir : ce n’est pas une série pour tout le monde, mais c’est une œuvre remarquable, que je conseille à ceux qui sont prêts à encaisser une telle expérience.


Merci d’avoir lu.

Maverick_D
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