Canada cry

Si je vous dis "Sauvés par le gong", "Beverly hills", "Hartley, cœurs à vif", "Hélène et les garçons" etc... vous me répondez sitcoms pour collégiens avec des avions de chasse et des types ayant déjà un crédit Sofinco sur le dos. Des choix de casting contestables pour contourner les interdictions de travail des mineurs, et faire rêver les ados. Mais quel gamin s'est déjà identifié un jour à Mark Paul Gosselaar, le Zack de Sauvés par le gong ? Surement pas les jeunes spectateurs complexés à la peau riche en sébum et aux dents barbelées.

Degrassi High, le titre original, avait le mérite de jouer la carte du réalisme. Car on ne peut pas dire que Spike, les jumelles ou Snake envoyaient du rêve. On avait les mêmes en classe, à peu de chose près. Quant au Mister cool de la série, Joey Joe Jeremiah, il évoque tout au plus un compromis entre Jamel Debouzze et Dean Stockwell doté de la voix d'Elie Semoun. Sûr que les BD de Riad Sattouf doivent plus aux Années collège qu'aux productions d'Aaron Spelling.

Et si cette série canadienne a rencontré un tel succès auprès des gens de la génération 80, ce n'est pas uniquement en raison des multiples rediffusions à la sortie de l'école, mais bien parce que les problèmes rencontrés par cette bande de laiderons nous donnaient l'impression d'avoir une vie plus simple (et funky). Au début en tous cas. Car une certaine angoisse s'empare ensuite du jeune téléspectateur.

Bourdon 15 ans d'âge.

Les années collège n'illustraient pas uniquement les tourments légers propres à l'âge ingrat. Non Les années collèges c'était une demi-heure quotidienne avant les devoirs pour te rappeler que si tu déconnes une seule fois ça peut être la merde toute ta vie. Si tu fais le mur pour aller en soirée, tu le payes cash en perdant tes parents dans un accident de voiture, si tu fais du stop t'as de grandes chances de te faire agresser sexuellement par un vieux qui sent les Gauloises froides, si tu prends du LSD, comme Luc, tu te retrouves tétraplégique, bref chaque truc un peu aventureux se soldera par une sévère claque sur le beignet. Le Sida, les problèmes d'argent, les grossesses non désirées, la drogue sont tous au menu de la création de Linda Schuyler‎ et Kit Hood.

Je suis étonné qu'ils n'aient rien fait sur la prostitution des pom-pom girls, les cas de nécrophilie en salle des profs et les soupeurs dans les toilettes des garçons. D'ailleurs, la figure tutélaire du corps enseignant local - je veux bien sûr parler de Monsieur Raditch- avait un tête de second rôle récurrent dans Mindhunter. On aurait appris quantités de choses sur la psyché des pervers sexuels en fouillant dans le disque dur de ce moustachu tout raide.

Parent-teacher association présente :

Permettez-moi de revenir en détail sur un arc narratif assez parlant qui intervient plus tard dans la série : Y avait ce type ultra politisé avec un look pas possible et dont j'ai oublié le nom. Queue de cheval, petites lunettes rondes à la Lennon, bouc ridicule, toujours en noir, un type qui devait écouter Killing joke pour se détendre et organiser des pétitions pour la PETA le samedi soir, enfin vous voyez le genre.

Bref, ce gugus avait décidé de mener une action coup de poing antispéciste dans la ville. Il avait saccagé une charcuterie de Winnipeg ou le labo du lycée pour libérer les souris blanches, je sais plus exactement, mais sa nana et lui s'étaient fait surprendre par les flics. Donc ce sosie de Clément Viktorovitch s'enfuit à grandes enjambées en laissant sa meuf entre les mains des roussins. Alors évidente poilade devant l'épisode, déjà parce que sa petite amie, Carolyn était l'ex de Joey et qu'on a toujours pris fait et cause pour ce sous Fonzy des années 80. Et aussi parce que l'antispéciste s'était montré assez lâche sur ce coup-là. Ce gros donneur de leçon, végétalien patenté, ne manquait jamais une occasion de faire les gros yeux à Carolyn quand elle mangeait de la salade piémontaise avec des bouts d’œufs dedans à la cantoche.

Toujours est-il que deux épisodes après elle le largue définitivement , et quand il réalise qu'elle est devenue insensible à ses poèmes dénonçant le massacre des bébés pandas dans le Sichuan, il ne trouve rien de mieux que de se tirer une balle dans la nuque en lui laissant une lettre bien accusatrice du genre "JE SUIS MORT A CAUSE DE TOI, VOICI 13 RAISONS QUI EXPLIQUENT MON GESTE etc..."... messieurs dames, la paire de ballustrines qu'il fallait quand même pour faire passer ce truc en prod', respect.

Tout ça pour dire que ces épisodes étaient gorgés de bonnes intentions, et de mises en garde un peu trop appuyées. Des trames permettant de déceler les signes avant-coureurs de la dépression, ou de souligner l'importance de se défaire d'une liaison toxique et abusive. Deux conseils qui entrent en collision dans ces épisodes. Car cette mort a forcément du traumatiser des adolescentes. Peut-être même que certaines n'ont jamais eu le courage de faire cesser une relation toxique basée sur le chantage affectif, de peur que Monsieur ne se supprime par leur faute.

Devant la gravité des mises en garde et l'avalanche de malheurs qui s'abattent de manière incessante sur ces pauvres bougres, nul doute que les show runners devaient être 5-6 daronnes célibataires sous anxiolytiques complètement flippées à l'idée que leur môme sorte sans écharpe quand il y a une petite brise.

Feel bad série

Et à côté de cela, il faut reconnaître à la série une audace et une finesse qui a fait tellement défaut aux concurrentes. Par exemple, l'évolution des rapports et le délitement de l'amitié entre Arthur et Yick est quelque chose de rarement abordé et même d'assez poignant. La fin des rêves adolescents aussi, comme la mort d'un groupe de rock médiocre, et l'inquiétude vis à vis d'un avenir que l'on subit plus qu'autre chose.

Les années collèges était notre Vietnam télévisuel à nous, la génération 80. Couvés que nous étions par Ricky où la belle vie, Happy days ou 7 ça suffit, des soaps ouatés qui se terminaient bien. Nous n'avons véritablement pris conscience des difficultés de la vie qu'en nous infligeant tous les jours cette tartine de merde injuste venue du Canada au moment du 4h.

Si la série existait encore, je suis sûr qu'il y aurait un épisode avec un Wheels radicalisé qui flingue Mr Raditch parce qu'il lui a confisqué son tapis de prière. Pardon ? La série existe encore ? Snake fait un prof ? Et Joey a inscrit son chiard dans l'école ? Et sur Netflix ? Faut que j'aille voir ça, car c'est ma madeleine de Cioran à moi.