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On connait Miséricorde, ce célèbre polar de Jussi Adler-Olsen qui a lancé la saga du Département V, avec cette équipe bancale (et blessée) chargée de rouvrir les dossiers des enquêtes non résolues (ces fameux "cold cases" qui deviennent de plus en plus "à la mode" même dans la "vraie vie"). Le fait que, après une première adaptation en format film (Mikkel Nørgaard - 2013) qu'on avait bien aimée et trouvée assez efficace, Netflix en développe une nouvelle version avec son Dept Q (titre français faiblard comme toujours, Dossiers oubliés... la honte !), une série de neuf épisodes, intrigue par son parti pris audacieux : il s'agit cette fois de transplanter l’intrigue du Danemark à une Écosse (et à la ville d'Edimbourg en particulier) qui n’a jamais paru aussi sombre, aussi inhospitalière, aussi... scandinave. Oui, Édimbourg, ses bâtiments gothiques et son crachin constant offrent, il faut bien l'admettre, un écrin idéal pour cette plongée dans les abîmes de la culpabilité et de l’oubli. Et si ça fonctionne, c'est bien que Scott Frank, déjà co-responsable de la réussite du Jeu de la Dame, préserve l’ambiance typique des polars scandinaves, lourde, grise, et saturée de non-dits. Mieux peut-être encore, il rajoute, comme gag récurrent mais également comme contexte "politique" non négligeable, l'opposition ancestrale entre Ecossais (la majorité des personnages et du casting) et Anglais (le personnage "principal").

Car, au cœur de l'histoire, il y a un flic "cabossé" (un peu trop archétypal sans doute), Carl Morck : il est incarné par Matthew Goode, qui se détache cette fois de ses rôles aristocratiques habituels. et qui réussit à conférer à Dept. Q une densité tragique assez exceptionnelle... même si, surtout dans la première partie de la série, il n'y va pas avec le dos de la cuillère, au point de frôler souvent l'exagération dans la figuration d'un mal-être transposé en une haine viscérale de l'humanité (surtout écossaise, donc...).

À ses côtés, il y a heureusement un excellent Alexej Manvelov (Akram Salim) qui contrebalance l'extrémisme de Morck / Goode, et incarne ce qu’il faut d’altérité énigmatique - avec une noirceur souterraine beaucoup plus fine que celle de son partenaire -, d’élégance contenue et de réalisme désillusioné pour que le duo central fonctionne. Qui plus est, il y a Kelly Macdonald, en thérapeute magnétique, qui illumine chacune de ses scènes, et Leah Byrne (Rose) qui apporte la touche d'humanité et d'humour qui pouvait manquer sans elle.

Mais au-delà du casting, c’est bien dans le tempo narratif que se joue la série : là où le film danois allait droit au but, Dept. Q étale son récit sur plus de huit heures. L'enquête, complexe et retorse à la manière "Nordic Noir", reste toujours passionnante, mais souffre indiscutablement d'un certain essoufflement, surtout dans ses derniers épisodes. L'élégance de la mise en scène et la justesse psychologique de nombreuses scènes n'arrivent pas toujours à compenser la fatigue générée par des scènes répétitives comme les flashbacks autour de la situation de Meritt (Chloe Pirrie, sans doute un mauvais casting tant elle reste peu crédible dans le rôle d'une "méchante procureure que tout le monde admire ou déteste).

Et pourtant, difficile de lâcher prise, de ne pas "bingewatcher" Dept. Q : oui, la série prend son temps, mais c'est avant tout pour fouiller les traumatismes, pour mettre en évidence les silences des institutions, pour ouvrir les cicatrices mal refermées. Pour travailler tout ce qui transforme nos vies en enfer sur terre. Là où le roman avançait comme un funambule sur un fil tendu, la série préfère creuser encore et encore, presque obsessivement, les failles.

Pour aimer Dept. Q, il faut sans doute accepter qu'il s'agit plus d’une série psychologique que policière. Accepter que le roman tranchant de Jussi Adler-Olsen soit devenu un long cauchemar pesant et signifiant... Sinon, il reste toujours le film de Mikkel Nørgaard à revoir !

[Critique écrite en 2025]

Eric-BBYoda
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Créée

le 13 juin 2025

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Eric BBYoda

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