Plongée dans le souffle lent et intime des vies, Les Saisons, la mini-série écrite et réalisée par Nicolas Maury avec Hélène Duchâteau, se déploie comme un objet singulier, à contretemps des productions spectaculaires ou socialement marquées. Loin des têtes d’affiche et des récits démonstratifs, elle choisit d’épouser la vulnérabilité des existences, la friabilité des parcours amoureux, la lumière mouvante d’une Vendée poétique et songeuse.
Entre mélancolie romantique et naturalisme délicat, Maury y cherche moins à raconter qu’à peindre en impressionniste : filmer la vérité fugace des sentiments, les cœurs qui doutent, les amours qui résistent ou s’effilochent, les couleurs des admirations ou des trahisons. Ici, pas de leçon ni de public ciblé, mais une œuvre qui, à l’image du temps qu’elle tente de « tanguer », crée son propre espace de réception – une confidence visuelle pour qui accepte de se laisser bercer par la justesse d’un frémissement.
À rebours des productions contemporaines qui misent sur des têtes d’affiche ou une écriture résolument sociale, la mini-série Les Saisons, écrite par Nicolas Maury et Hélène Duchâteau et réalisée par Maury lui-même, se déploie comme un objet singulier, presque secret. Elle n’impose pas une histoire, elle en épouse le souffle.
Filmer le sentiment de vérité
Le pari est celui d’un tempo intérieur, d’une mélopée douce et contemplative, centrée sur les amours, durables ou évanescentes, d’un trio de jeunes gens (Camille, jouée par la trop rare Stéphane Caillard, inoubliable dans son interprétation de Florence Arthaud, Alexandre/Lucas Bravo et Martin/Abraham Wapler). Dès les premières images, la série surprend par sa retenue, son refus de l’ostentation.
Elle cherche à saisir, presque à même la durée, la vulnérabilité de nos existences, la contingence de nos choix, la friabilité des parcours. La lumière vendéenne, mouvante, aérienne, incertaine et songeuse, en devient la métaphore visuelle. Édouard Louis, dans" Que faire de la littérature", a cette très belle phrase : « Je suis triste du monde », qui pourrait être le climat de cette mini-série.
L’enjeu pour Maury, acteur et réalisateur, est ici celui de l’incarnation : comment filmer cette vérité fugace et fuyante des sentiments ? Comment montrer les cœurs en train de s’éprendre, de rompre ou de douter ? Les vies dans leurs émotions labiles, souvent indicibles ? Le rythme volontairement languide sert cette quête. Maury ose un parti pris profondément mélodramatique, oscillant avec finesse entre mélancolie romantique et naturalisme poétique.
La relation des parents de Camille – dont on suit les déboires amoureux – en est une illustration saisissante. Nicolas Maury y incarne un patriarche fatigué, bourru, mi-ironique, mi-désillusionné, tandis que Géraldine Pailhas compose avec panache une épouse revêche, complexe, peu consensuelle et étonnamment tonique. Leur alchimie, loin des clichés, révèle l’une des forces narratives de la série : le désir de montrer l’amour dans ses aspérités, ses usures, ses résurgences.
Tout ce qui advient dans Les Saisons sur une trentaine d’années a pu nous arriver : les atermoiements de l’âme adolescente, les lassitudes du couple, les risques de la vie, les musiques intimes de nos aspirations et de nos peurs. Le personnage de Mado, la grand-mère de Camille (admirable Martine Chevalier, prise dans les affres de la maladie d’Alzheimer), est observé avec douceur et dit, sans pathos, la délicate gravité de l’existence.
Rien n’y est figé, rien n’insiste trop ; les humeurs, les sentiments, les grâces ou les disgrâces apparaissent et s’estompent comme dans la vie même. On est loin de la précision ethno-romanesque naïve d’un Rohmer, plus proche d’une certaine acidité légère, d’une poésie sans emphase.
Surtout, Nicolas Maury ne cherche pas forcément à plaire ni à s’adresser à un public ciblé. L’œuvre, sincère et assurée, crée son propre espace de réception et, comme le dit Geoffroy de Lagasnerie, crée son propre public. Le public, c’est le temps. C’est nous dans le temps, et Les Saisons sont nos saisons, qui sauront s’installer dans cette temporalité diffuse et languissante. Les Saisons assument, sans honte ni fard, l’effet parfois déceptif d’une mise en scène sans esbroufe, préférant la justesse du frémissement à la séduction de l’évidence.
Les âmes, les âges et les vagues : tanguer le temps
Dans une conférence donnée au Collège de France en 1977 et publiée dans Comment vivre ensemble ?, Roland Barthes a exploré le « fantasme d’une vie, d’un régime, d’un style de vie » qui n’était ni reclus ni communautaire : « Quelque chose comme une solitude interrompue d’une façon réglée ». Il a appelé cela l’idiorythmie, le rythme propre. C’est cela qu’invente Les Saisons. Un rythme gauche, déstabilisé, un rythme Garçon chiffon ( titre du premier film de Nicolas Maury au cinéma) un rythme qui regarde aussi les autres ne pas savoir s'y prendre avec la cruauté ou la détresse des choses.
Peinture des sentiments et des choses de la vie, portrait d’une certaine France populaire, la série capte par le point d’évanescence des désirs qu’elle saisit et par le rythme qu’elle déploie, une matière rare. L’artiste est celui qui sait traverser les brûlures, les chutes et les blessures, les habiter pour en ressortir aérien et témoin d’une époque.
L’écriture de Duchâteau et Maury a cette grâce de l’artiste épris de Duras, Woolf, Kane, et profondément habité par la nécessité de dire un monde, ses phrases, ses Mr Cliché ou ses Miss Paradis. L'artiste ici tangue les temps. Le sien, le nôtre, le leur.
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