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Amour, gloire et beauté dans l'Angleterre du XVIe siècle

Je ne suis pas une très grande admiratrice d'Henri VIII, personnage très controversé, mais n'étudier ce roi que sous l'angle de ses rapports avec les femmes alors qu'il était un souverain guerrier, cultivé et qui a conduit son pays dans de très grandes réformes religieuses, c'est quasiment une insulte, en tout cas une absurdité. Pour un peu, je le plaindrais. On a affaire à de l'histoire racontée par le bout de la lorgnette. Tout est résumé ou presque dans l'affiche. Au passage, je m'étonne que les féministes n'aient pas crié au scandale. A moins que ce ne soit une subtile allusion au fait qu'Henry a décapité deux de ses femmes ? Mais le film, justement, ne manie guère la subtilité... Tout est trop simplifié, voire caricaturé. On tombe dans des chroniques mondaines et sexuelles.

D'abord, les processus de narration se répètent successivement. Il est vrai qu'ils reprennent les processus de la faveur et de la chute, réalités de tout système curial de l'époque. On a la même chose en France, l'exécution publique en moins (les courtisans français sont simplement exilés, ce qui est un avantage par rapport à leurs homologues anglais). Mais d'autres problèmes de narration existent : des personnages disparaissent sans explication, d'autres réapparaissent tout aussi soudainement... Par exemple, de qui est le fils de Brandon ? De Margaret, la soeur du roi ou de sa seconde femme Catherine ? Que devient Tallis, le musicien du roi ? Anne de Clèves apparaît, disparaît au gré de la fantaisie des scénaristes.

Secundo, le problème de la chronologie. Le réalisateur ne doit pas savoir ce que signifie ce mot. D'accord, il n'est pas historien, le public non plus, point n'est besoin d'être si tatillon. Mais mettre en scène Henri VIII sous un aspect adolescent alors qu'il a plus de 40 ans, organiser le mariage de George Boleyn en 1534 alors qu'il est marié depuis près de 8 ans, parler de fièvre puerpérale alors que c'est un terme inventé au XVIIIe siècle, mettre la Vénus de Milo dans un parc anglais alors qu'elle a été découverte en 1820 en Grèce et se trouve au Louvre (d'où elle n'a jamais bougé), montrer la basilique Ste Rome dont le chantier a tout juste débuté, faire mourir le fils bâtard du roi à 3 ans alors que dans la réalité il est mort à 17, tout cela fait beaucoup et rend l'intrigue très irréaliste. Ce n'est pas l'Angleterre du XVIe siècle qui est représenté mais les fantasmes de réalisateurs américains sur le XVIe siècle.

Tertio, les très nombreuses libertés vis-à-vis de l'histoire. Ce n'est pas un film historique. Bon. Un peu de romance ne tue pas. D'accord. Mais là, on tombe dans les fantasmes et les caprices des scénaristes. Des événements capitaux ne sont pas mentionnés ou à peine. Je pense à l'invasion anglaise de la France au tout début du règne de Henri. La soeur aînée du roi, Margaret, qui a épousé le roi d'Ecosse n'existe pas ! Elle a pourtant joué un rôle politique de premier plan. Mère du roi Jacques, c'est elle qui organise l'entrevue entre Henri et son neveu. Finalement, il ne vient pas. C'est l'épisode 5 ou 6 de la dernière saison. Quant à Mary (appelée Margaret pour éviter la confusion avec la princesse Mary), elle épouse le roi français Louis XII de plus de quarante ans son aîné. Ce dernier passe totalement à la trappe. Seul François Ier est mentionné. On voit d'ailleurs celui-ci toujours accompagné de la même reine alors qu'il se retrouve veuf et se remarie avec la propre sœur de Charles Quint, ce qui n'est absolument pas mentionné. Pourquoi donc inventer cette histoire de mariage portugais ? A l'époque, les rois portugais n'ont pas l'habitude de se marier avec des princesses anglaises, mais espagnoles. En revanche, Mary-Margaret s'est bien marié avec Brandon, contre l'avis du roi qui était furieux. C'est Wolsey qui a sauvé la tête du favori qui a été bien ingrat par la suite. C'est une chose que le film aurait bien pu montrer.

D'autres personnages voient leur rôle bien amoindri, comme Thomas Cranmer qui a pourtant vécu jusqu'en 1556. Après l'exécution d'Anne Boleyn, celui-ci disparaît, on ne sait trop pourquoi. Il en est de même pour la duchesse de Suffolk qui a été très amie avec la dernière reine et a été une figure incontournable de la cour. Veuve, il se chuchote même que le roi veuille l'épouser. On donne au contraire un grand rôle au fils de Lady Brian. Quelle excentricité !

Une lecture trop américaine et nationale est accordée aux significations des événements. Par exemple, Charles Quint est présenté comme un prince espagnol alors qu'il a été éduqué à la française. Il est empereur de Saint Empire Romain Germanique et d'une foule de possessions européennes. On le considère comme le dernier monarque à vocation universelle. Au passage, on retrouve les habituels préjugés américains à l'encontre des Français : efféminés, arrogants et crétins. Lassant et déprimant.

Le personnage du roi est un désastre. Et je ne parle pas simplement du fait qu'il reste jeune et beau tout au long de la série alors qu'à la fin de sa vie il pesait presque 180 kg (même pour 1m80 c'est trop), était diabétique, avait une ulcère sur la jambe et puait terriblement. D'abord, on n'aurait jamais dû confier un si grand rôle à cette petite frappe alcoolique de Jonathan Rhys-Meyer. Il manie bien mieux le ballon que le sceptre. Sa coupe de cheveux EST UNE HORREUR ANACHRONIQUE. On dirait une racaille du 93. Les rois de cette époque ont tous les cheveux longs et une barbe. Il n'y a qu'à voir les célèbres portraits de François Ier par Clouet. Hormis cela, il fait trop bien l'amour alors que les chroniques précisent qu'il prenait ses partenaires sans aucune délicatesse et qu'il était pressé. On le montre comme las et victime d'être le jouet des factions de sa cour et des rivalités de François Ier et Charles Quint. En réalité, il en jouait considérablement. Au XVIe, un bon roi se doit de manipuler les factions : tantôt il les abaisse, tantôt il les fait monter. François Ier n'agit pas différemment. Enfin, Henry VIII une balance et un arbitre entre ces deux grandes puissances. D'ailleurs, montrer les Français avec des flèches lors du siège de Boulogne est complètement ridicule. Ils avaient l'une des meilleures artilleries au monde. En outre, les Français n'étaient pas réputés pour leur excellence au tir à l'arc, arme anglaise et qui était d'ailleurs plus ou moins périmée à l'époque.

Faire la liste de toutes les incohérences et stupidités pourrait être l'objet d'une thèse à mon avis. Elle serait plus intéressante que le film. Et c'est finalement là toute l'utilité (et la seule !) de ces séries historiques : révéler les fantasmes et les préjugés actuels sur une époque antérieure. Si c'est très révélateur et très intéressant en soi, il faut être conscient des limites de tels travaux et ne pas les confondre avec la réalité historique.
Isabeau
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le 6 nov. 2013

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