Malcolm
7.8
Malcolm

Série FOX (2000)

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Analyse de Malcolm, le pur reflet d’une Amérique pathologique

Chaque décennie possède son lot d’œuvres cultes, qu’elles soient cinématographiques, musicales ou télévisuelles. Elles peuvent refléter toute une génération, revêtir la qualité de porte-parole de celle-ci, fantasmer sa propre époque. En ce qui concerne le petit écran, rares sont les jeunes ayant vécu dans les années 80 qui n’ont pas rêvé d’avoir la voiture de K2000, rares aussi sont ceux de la décennie suivante qui n’ont pas dans la tête le générique de Friends, et à l’heure actuelle, en ce début 2020, qui ne connaît pas les monstres télévisuels tels The Walking Dead ou Game of Thrones ?


Les années 2000 ont aussi donné aux téléspectateurs quelques coups de cœur, des séries révolutionnaires d’HBO jusqu’aux sitcoms qui passaient en fin d’après-midi. Et dans ce tas où il est impossible de tout répertorier, il y a Malcolm in the Middle.



Malcolm : la série d'une génération



Je ne risque pas grand chose en déclarant que quasiment tout le monde connaît Malcolm, ce petit gamin au Q.I. de 165 évoluant dans une famille atypique de la classe modeste américaine, coincé entre Reese, son aîné, brute sans trop de bon sens et Dewey, le petit dernier (du moins au début de la série) souffre douleur général attitré. Entre un père irresponsable et un peu (voir beaucoup) excentrique, une mère aux méthodes éducatives extrêmes et maniaque de l’autorité et un frère tellement incontrôlable et enclin à la révolte qu’il a été envoyé à l’école militaire, Malcolm déambule dans un cadre hors-normes, dont il est le héros mais pas que le seul protagoniste, étant donné qu’au fil des épisodes tout le monde a son importance. Il est donc facile de s’engouffrer dans l’univers de Malcolm durant la totalité des sept saisons, peut-importe qu’un tel personnage provoque chez nous plus d’attachement qu’un autre, car tous sont explorés et détaillés au cours de la série.


Ce que l’on retient de Malcolm, c’est aussi que cette série a grandi avec son public, qui a vu évoluer ses personnages. J’ai parlé d’œuvres cultes à travers les décennies, et force est de constater que ma génération, celle qui a connu les francs mais qui n’en a jamais dépensé, qui a vu le passage à l’an 2000 en se tamponnant royalement, et qui s’est rattrapée en devenant un pur produit de consommation en ce début de millénaire, biberonné aux super-héros, aux blockbusters numériques et au rock et au metal grand public, eh bien en général cette génération dont je fais partie s’est amourachée de Malcolm, a grandi avec lui. Au début des années 2000, le héros de Malcolm in the Middle et ses frères étaient vues comme figures de proue de la jeunesse d’alors et ont élevé la connerie au rang d’art, étant tour à tour débiles, inventifs et jouissifs dans leurs actes parfois exagérés.


Il faut dire que le casting de la série a la tête de l’emploi ! Que ce soit Justin Berfield en brute épaisse tyrannisant son prochain n’ayant pas une once de logique, Jane Kaczmarek qui porte haut la palme de la mère la plus autoritaire et castratrice de toute l’histoire de la télévision, mais surtout, surtout ! Bryan Cranston, non encore auréolé de son statut de star internationale suite à Breaking Bad, magnifique et inoubliable dans son rôle de père de famille à la personnalité hystérique voir complètement tarée, si bien que ceux qui ont grandi avec cette série auront ce réflexe parfois exaspérant de dire à chaque apparition de l’acteur dans un film «Eh, mais c’est pas Hal de Malcolm ?». Le reste de la distribution s’en sortant plutôt bien également, même s’il persiste quelques clichés aussi énormes que les pectoraux d’un Schwarzenegger période Commando (Craig, l’ami de Lois, ou quelques têtes d'ampoules).



Malcolm, ou l'art d'être con et malin en même temps



Aussi, ce qui distingue Malcolm du reste de la production télévisuelle de la même génération, c’est cette manière d’aborder la famille sous l’angle du fardeau, de la plaie, à l’inverse de Ma Famille d’Abord par exemple (le cadre n’étant d’ailleurs pas le même, c’est même l’opposé), la série de Linwood Boomer farfouille dans ce qui ne va moins bien dans le foyer de Malcolm, quitte à montrer des côtés loin d’être plaisants de la vie de famille, un peu comme la face cachée mais plus réaliste d’une lune qu’on idéaliserait au contraire en regardant la création de Damon Wayans.


Linwood Boomer fait le choix intelligent de se placer du côté des classes modestes, celles qui en bavent le plus, mais sans pour autant prendre un parti et politiser son œuvre. Mais ce choix n’est pas anodin, car c’est dans les plus basses sphères de la société américaine qu’on trouve les histoires les plus folles, comme si pour compenser une faible place dans la hiérarchie sociale, les familles «pauvres» étaient plus enclines à tomber dans la déchéance morale ou à chercher de sortir du cadre légal ou habituel, à s’en remettre à des légendes urbaines folles voir inventer la leur.
Un autre avantage est le milieu dans lequel vit la famille, on est dans une banlieue américaine type, non dans une métropole aux multiples gratte-ciels, non loin de tout, reculé dans les plus beaux coins de l’Amérique sauvage. Non, nous sommes dans une petite ville tout ce qu’il y a de plus classique, et ces petites villes il en existe des centaines voir des milliers dispersées dans cet énorme pays.
Et la famille de Malcolm au fait, quel est leur nom de famille ? Eh oui, ils n'ont pas de nom de famille, de même que les habitants des Etats-Unis s'appellent américains (ce qui revient à dire qu'ils n'ont pas de nom aussi), la famille de Malcolm est la famille de tout le monde, une famille américaine typique habitant dans un lieu typique, où chacun peut se retrouver dedans.


Malcolm est aussi la série qui épuise tout, qui gagne en intensité au fil des saisons, quitte à devenir caricaturale, les personnages décrits dans la première saison vont peu à peu voir leur caractère ressortir de plus en plus et devenir de plus en plus omniprésent voir handicapant. Ainsi, la folie de Hal, au départ légèrement paranoïaque, va gagner en intensité et atteindre son paroxysme dans la dernière saison, de même que le caractère obsédant de Lois, la brutalité et la débilité de Reese et l’arrogance de Malcolm. On peut se réjouir que la série ne comporte que sept saisons, car à vouloir renchérir une recette portée sur l’amplification et l’exagération, on peut vite tomber dans la saturation et le cliché, c’était presque le cas pour Malcolm qui s’est heureusement achevée au bon moment.


Et c’est ici qu’on entre dans le registre psychanalytique, car oui cher lecteur, Malcolm in the Middle, derrière sa façade de divertissement familial (voir décérébré, selon un certain public) a sa lecture analytique, je dirais même freudienne et un peu lacanienne sur les bords. Elle est le reflet de tout ce qui ne va pas en Amérique, le point de non retour et la dégénérescence de la civilisation occidentale. Carrément.



La lecture cachée de Malcolm : bilan psychologique d’une Amérique en déclin



Alors il faut savoir que ce qui suit n’a rien de péjoratif ou de critique envers l’Amérique en elle-même ou un type d’individu, de population, ce n’est qu’une analyse en profondeur d’une série bien plus intelligente qu’il n’y paraît.


Le personnage de Malcolm et les moqueries qu’il suscite au quotidien caractérise une Amérique qui a peur de ce qu’elle ne comprend pas, et un enfant surdoué capable de faire des trucs de fous, au cerveau de compétition, ça rentre dans le cadre des freaks aux États-Unis, où la normalité est simplement...la banalité. Face à cet environnement, plusieurs solutions sont possibles, et Malcolm fait le choix d’être égocentrique et arrogant, mécanisme de défense traduisant un complexe d’infériorité, inhérent à pas mal de jeunes américains qui se voient comme sortant d’une norme bien trop serrée pour eux, car trop intelligents, trop différents, glauques, etc. Car l'Amérique décrite par Boomer est une nation très portée sur le paraître et l'appartenance à un carcan, social et mental, et Malcolm, de par son intelligence supérieure à la moyenne et son aptitude à réfléchir lorsque la plupart s'écrase, sort de ce carcan.
Reese est la personnification du psychotique à la personnalité antisociale, et sa propension à violer la loi est compensée par le fait qu’il recherche à tout prix un cadre (il sera question d’une secte dans un épisode, puis de l’armée plus tard), cadre que recherchent souvent les psychotiques. Cette notion de paraître explorée plus haut est valable pour ce personnage, narcissiquement préoccupé par sa coupe de cheveux, mais incapable d'avoir une relation saine avec quiconque (un narcissisme primant sur la relation à l'autre). Reese est aussi le plus aimé des petits-enfants de ses grands-parents, qui enrichissent des valeurs patriarcales (très) archaïques, telles la force, l’expérience de la douleur et des rites de passage tous plus cons les uns que les autres, mais en jetant à la poubelle toute notion de savoir-vivre en communauté, d’intelligence et de culture, d’où le fait que Malcolm soit la bête noire de tels individus. Les grands-parents, irresponsables et incapables de vivre en société (surtout la grand-mère, raciste, hideuse et portée sur la bouteille) voit en leur petit-fils le pur reflet de l'humain tels qu'ils l'idéalisent dans leur culture, fort, méchant, sournois, mais désespérément inculte, préoccupé uniquement par lui-même et disposé à écraser les autres pour son profit. Un individualisme qui, s'il est associé aux grands-parents et donc à un pays imaginaire arriéré de l'est, est aussi présent dans la belle grande Amérique de notre réalité (capitalisme, objectivisme, course à la réussite sociale...), mais présenté d'une manière bien différente, plus subtile. Comme si la patrie des aïeuls de Malcolm, vue comme primitive et dépravée, chérissait les mêmes valeurs que les Etats-Unis, mais était honnête à cet égard.
Francis, qui cherche sa place dans la société, peut-être vu comme le portrait de la génération précédente, comme le vestige d’un passé mort et enterré, un passé placé sous le halo du grunge, du skateboard, d’une attitude auto-destructrice, rebelle et encline à chercher le conflit et à rejeter la société. D’ailleurs la relation orageuse entre Francis et sa mère est une allégorie (limite parodique) du conflit générationnel, le fils ayant besoin de se souvenir de sa mère en tant que marâtre despotique et foncièrement mauvaise pour pouvoir avancer...même s’il n’avance pas beaucoup, car il est incapable de tourner la page. Une métaphore des retombées à l’âge adulte d’une éducation aux valeurs draconienne sur un enfant ? Francis est aussi incapable de prendre la responsabilité de ses propres erreurs, et rejette tout sur sa mère, comme si ce n'était pas concevable que le fait que sa vie soit une succession de ratés soit de sa faute : il lui faut un coupable.
Le père de Malcolm, Hal, est un paranoïaque aux accès hystériques (voir schizophrènes), vivant dans un monde fantasmatique (il préfère par exemple se réfugier dans les jeux de son fils Dewey plutôt que d’affronter certaines épreuves de la réalité), son caractère est à rapprocher du fait qu’il n’ai jamais eu de véritable relation avec son père, et même si quelques fois il essaie de communiquer avec eux, il tend par son caractère irresponsable à répéter le même schéma avec ses propres enfants, et ainsi perpétuer le cycle.
Et comment un être aussi immature et aussi incapable de faire des choix raisonnables que Hal arrive à vivre dans notre société ? En se trouvant une moitié capable de penser, de gérer les problèmes et les aléas de la vie à sa place. Cette moitié, c’est Lois, mère castratrice et tyrannique, disposant parfois de forces dépassant l’entendement (elle peut voir dans l’esprit de ses enfants, accoucher alors que ce n’est pas le moment, faire redémarrer sa voiture en lui criant d’avancer...). C’est elle qui porte la culotte, le «phallus» en termes freudiens ! Elle représente le dernier rempart de la civilisation face à ses fils et son mari qui sans elle seraient retombés à l’état sauvage, à manger tous les jours de la pizza ou des céréales, et à ne plus se laver du tout.
Encore une métaphore ? L’homme a t-il besoin de la femme pour le canaliser, l’aider à ne pas retourner à une forme de vie primitive et l’aider à vivre en société ? Car Lois et Hal, n’ayant que des garçons, sont l’incarnation d’une nouvelle norme familiale bien loin des carcans patriarcaux d’il y a quelques décennies, le père ayant perdu son autorité suprême face à une femme qui mène son foyer à la baguette. Même s'ils sont caricaturaux, Lois et Hal reflètent un couple type d'aujourd'hui, qui depuis 20 ans s'est de plus en plus démocratisé : la femme portant la culotte, la tête sur les épaules, et l'homme, la tête dans les nuages, obéissant à sa femme toute puissante.
Dewey quant à lui, derrière sa facette du petit dernier mignon comme tout (poupipoupipou...) et talentueux, vivant dans l'ombre des bêtises de ses frères et délaissé par son entourage mais se laissant positivement porter par le vent et l’avenir, représente un quelque sorte la passerelle entre une Amérique décadente et malade (symbolisée par sa famille, ses aînés, aïeuls, et le fait qu’il soit des fois corrompu par eux) et peut-être un avenir plus radieux, incarné par Jamie, un enfant qui n’a pas l’air de souffrir de tares, déjà conscient de son intelligence et de son potentiel malgré son jeune âge, qui même différent, s’adapte à son environnement, même s'il lui est hostile. De plus Dewey se promet d’être gentil avec son petit frère, comme s’il venait briser une chaîne de violence et de torture fraternelle ayant débuté avec Francis, comme si Jamie serait l'unique espoir d'un futur adulte non traumatisé par le milieu dans lequel il vit, espoir par extension d'une Amérique bien dans sa tête et psychologiquement stable.


Malcolm in the Middle est donc bien plus qu’un simple show télévisé qui fait passer une fin d’après-midi sur la détente, et à la manière des Simpson, possède sa lecture cachée plus complexe qui mérite d’être mise en avant. Même si cela n’empêche pas d’apprécier la série pour son côté divertissant au contraire !
Certains reprocherons à Malcolm d’être trop cliché voir trop exagéré, on peut leur donner raison, mais le fait est que... Mesdames et Messieurs, avez-vous vu l’état de l’Amérique actuellement ? Avez-vous entendu parler de la famille de l'illuminé Richard Heene et du Balloon Boy Hoax par exemple ? Regardez-vous les biopics américains qui font l'apologie, romancée ou réaliste, du self made man qui parfois vit des situations incroyables, absurdes, dépassant les limites morales et/ou légales ? Avez-vous vu pour quel genre de président improbable les citoyens américains ont voté en 2017 ? En se basant sur le final de la série, Malcolm président, ce n'est pas si hors-propos que ça en fin de compte.


Malcolm in the Middle est à l’image du pays présenté : un show gigantesque, avec des protagonistes à qui une thérapie ne ferait pas de mal, vivant une succession d’histoires complètement déjantées. Reese dira quelques fois j’adore ce pays, car l'Amérique lui ressemble : c’est la seule nation au monde où il se passe des choses aussi dingues, où tout est possible, comme s’engager dans l’armée en étant encore mineur, parcourir une odyssée à travers le pays à la suite de l'attaque cardiaque de votre babysitter qui a l’âge d’être votre grand-mère, rencontrer un voleur de voiture et lui taper la causette, s’envoler avec des ballons pour toucher le ciel, vendre des sapins et faire concurrence à une église, voler une voiture d'auto-école avec une otage sans que cela ne soit volontaire, et j’en passes et j’en passes...
Et, heureux lecteur, si tu es venu jusqu’ici, je te remercie pour ton temps de lecture et souhaite que cette série t’ai procuré le même plaisir que j’ai pu ressentir moi. En récompense, ceci, c’est gratuit, c’est cadeau, c’est pour toi, d'un pur produit de la génération Y à un autre.

Tom-Bombadil
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le 15 avr. 2020

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Tom Bombadil

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