Merteuil
4.4
Merteuil

Série HBO Max (2025)

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En 1991, les Inconnus sortaient un sketch culte parmi tant d'autres: "Les miséroïdes, d'après l'adaptation fidèle du roman de Victor Hugo". "Jean-Claude Van Damme, enfin dans le rôle de Jean Valjean", disait l'introduction. Un Javert musclé en moto de police et lunettes de soleil donnait le ton des dialogues ciselés: "Valjean, t'es qu'un pédé!"


J'ai beaucoup repensé aux Inconnus, décidément intemporels, en m'infligeant le premier épisode de Merteuil, la série censée adapter "librement" mon roman préféré, "Les liaisons dangereuses", que j'attendais pourtant avec tant d'espérance. Mais à ce niveau-là, ce n'est plus de la liberté, c'est de la souillure. Vincent Lascoste, enfin dans le rôle de Valmont ! Demain, Aldo Maccione dans le rôle de De Gaulle ? "Valmont, vous n'êtes qu'un pitre" lui lance Lucas Bravo, qui incarne de manière ridicule le comte de Gercourt, transformé en improbable "Prince des Libertins" qui tient plus de Tony Montana que de Casanova. Le pire, c'est qu'il n'a pas tort. Outre le fait que Lascoste, qui n'articule pas et qui n'a aucune prestance, est à Valmont ce que McDonald's est à la haute gastronomie, tout n'est que pitrerie dans cette série. « Une nuit entière à te faire pilonner, tu dois avoir besoin d’un repos bien mérité », entend-on. Mais quel beau langage du XVIIIème siècle ! Laclos doit se retourner dans sa tombe...


Passons sur le fait que l'histoire, censée être un préquel, est totalement incompatible avec le roman. Dans le livre, Madame de Rosemonde a 84 ans, elle symbolise la sagesse et le respect des lois et de la religion. Ici, elle est jouée par Diane Kruger, 49 ans, encore désirable, même si elle (son personnage du moins) commence à s'inquiéter sérieusement pour sa quote sur le marché de la chair. Car la réalisatrice a osé la détourner en libertine accomplie, qui devient le mentor de la jeune future marquise de Merteuil. Laquelle, présentée comme une roturière (rien de de tel dans le roman) est dépucelée par un Valmont utilisant une ruse grotesque et impensable (un faux mariage), avant de se marier, de son propre chef et par intérêt, avec le vieux marquis de Merteuil, qui la force à lui faire une gâterie. Exactement le contraire du roman, dans laquelle la marquise, dans sa fameuse lettre autobiographique - LXXXI - à Valmont (qu'elle n'a rencontré donc qu'après son auto-formation au libertinage) , déclare que son mariage a été arrangé par sa mère, et qu'elle arrivait vierge entre les bras de M. de Merteuil, dont elle reconnaît qu'elle n'a jamais eu à se plaindre.


Je dis passons, car après tout, la liberté artistique aurait pu donner une adaptation intéressante à défaut d'être fidèle. Mais d'intérêt, hélas, il n'y a point. Car la réalisatrice, Jessica Palud, sous couvert des poncifs à la mode (moderniser, dépoussiérer, actualiser) ne fait qu'exploiter sans vergogne la réputation sulfureuse d'une œuvre raffinée du XVIIIème pour y plaquer son idéologie Me too du triste XXIème. Fusse au forceps, et au prix d'anachronismes et de contresens historiques dignes de Kaamelott (lequel a au moins le mérite de ne pas se prendre au sérieux, et d'assumer sa dimension parodique et comique). On a écrit la conclusion avant tout reste : la société est ignoblement patriarcale, les hommes sont d'affreux dominateurs, et les femmes leurs pauvres victimes esclaves, mais l'une d'entre elles, tel un Spartacus femelle, va oser se dresser contre cet ordre infâme et venger ses compagnes d'infortune ! Ne manquerait plus que la musique de Hans Zimmer pour transformer Merteuil en Gladiatrice !


Alors on va tordre l'histoire pour coller à ce narratif caricatural: Dans le roman, la société noble du XVIIIème est montrée - à juste titre - comme feutrée, hypocrite, tout le monde sait que tout le monde couche, mais c'est discret à défaut d'être secret, comme disait Coluche, ça n'a lieu qu'à deux dans les alcoves et les petites maisons, pas à cinquante dans un salon public ? Qu'importe ! Montrons des scènes de partouses au grand jour, ça en jetera plus pour le bobo parisien ! Foutez du cul partout, enfin ! comme disait la marionette d'Étienne Mougeotte, l'ancien directeur général de TF1 ! Dans l'éthique libertine du XVIIIème siècle, il était fondamental d'obtenir non seulement le consentement, mais même l'enthousiasme de la femme convoitée ? Valmont refuse même de profiter de l'absence de résistance de Tourvel, voulant qu'elle se donne totalement et non la prendre ? On s'en tamponne le coquillard ! Montrons Gercourt forçant Merteuil physiquement tel un Visigoh, ça fera de l'action ! Dans le roman, la tentative de viol avérée était punie de mort sociale, c'est d'ailleurs ce qui arrive à Prévan après une machination de la marquise ? Arrête de chipoter, montre-moi donc des violeurs jouissant de l'impunité totale de la société, ça fera plus Balance ton porc !


Au-delà de la lettre, la série trahit totalement l'esprit du roman, dans lequel la marquise de Merteuil n'est pas franchement l'héroïne féministe avant l'heure qu'on veut en faire. Elle est certes en révolte contre un ordre social qui traite les femmes "en mineures pour leurs bien, en majeures pour leurs fautes", comme l'écrit bien Beaumarchais; mais elle évolue dans un milieu noble, à l'abri du besoin, au sein d'une caste oisive, qui, femmes comme hommes, n'a d'autres préoccupations que ses plaisirs futiles. Elle tire sa grande autonomie de son veuvage précoce, et n'a subi aucun traumatisme qui l'excuserait de devenir la reine des garces. La seule inégalité entre les sexes à laquelle elle est confrontée, c'est le fameux "un homme qui couche est un séducteur, une femme qui couche est une salope", qu'elle exprime avec la langue délicate du XVIIIème: "pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succès de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, et votre malheur de ne pas gagner." Elle qui veut pouvoir coucher à droite et à gauche à sa guise, a donc du acquérir des qualités de ruse dont les hommes peuvent se passer, afin de ne jamais se faire prendre et ainsi de perdre sa position de femme vertueuse dans la hiérarchie sociale. Voilà tout son combat, ni plus, ni moins.


Mais ce combat n'était sans doute pas assez radical pour la réalisatrice néo-féministe, qui a jugé utile d'aller massacrer une œuvre prestigieuse pour faire passer son message "moderne" au prétexte de l'intemporalité de l'œuvre. Oui, les liaisons sont intemporelles, mais pas parce qu'elles feraient écho à l'idéologie actuelle. Elles le sont par ce qu'elles révèlent de la nature humaine, immuable. "Où nous conduit pourtant la vanité ! Le sage a bien raison, quand il dit qu'elle est l'ennemie du bonheur", écrit Merteuil à Valmont après l'avoir manipulé pour qu'il quitte Tourvel. C'est là, et pas ailleurs, que réside le véritable message humaniste des Liaisons.


Ce massacre ne serait encore pas si terrible, si la critique était lucide et courageuse pour éclairer le bon peuple sur l'ampleur de ce désastre. Mais, hélas, du Monde au Huffpost, en passant par Première, on ne trouve que des articles flagorneurs, qui font mine de croire au chef-d'œuvre culturel d'adaptation raffinée, histoire de ne pas aller contre la doxa du politiquement correct. Seule exception, à laquelle il convient de rendre hommage: Le Parisien, sous la plume de Stéphanie Guerrin, qui a le courage de titrer sur la "trahison abberante" du roman, et qui conclut fort judicieusement: "Alors oui, les comédiens sont plutôt convainquants [...]. La réalisation de Jessica Palud [...] ainsi que la reconstitution forte de riches costumes et de magnifiques décors sont réussis. Mais cela ne suffit pas à sauver ce gâchis qui parviendra peut-être à convaincre un public ignorant tout de l’œuvre originale. Et lui donner envie de s’y plonger. Ce serait au moins ça de gagné."


Je poussoie. Et j'ajouterais juste, si vous voulez voir une adaptation respectueuse du roman, de la vérité historique et de la langue, retournez donc voir le film de Stephen Frears de 1988, avec John Malkvitch, Glenn Close et Michelle Pfeiffer, cela avait quand même une autre gueule !

Herlock73
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le 15 nov. 2025

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