Mr. Robot
7.6
Mr. Robot

Série USA Network (2015)

"Flow my tears, the hacker said..." [Critique de "Mr. Robot" saison par saison]

Saison 1 :
"Mr. Robot" est une série importante, dans la façon dont elle nous parle de notre monde, de son inhumanité - la domination absolue de quelques méga-corporations, mais aussi notre individualisme fondamental qui bloque toute prise de conscience politique face à cet état de fait - comme de sa fragilité - Internet et la technologie comme outils de toute-puissance, mais, logiquement, comme talon d'Achille de la Société. Ne serait-ce que pour son propos, et la manière dont elle laisse entrevoir, dans le dernier épisode de cette première saison, l'éventualité d'une victoire (temporaire, on s'en doute) de David le Hacker contre Goliath le système bancaire, "Mr. Robot" est indispensable. Maintenant, la série de Sam Esmail n'est pas exempte de gros défauts : la fascination de Esmail envers le travail de Fincher phagocyte largement la manière froide, méthodique dont le récit est construit et mis en scène, mais envahit même le scénario, qui fait plus que loucher vers "Fight Club" (les septième et huitième épisodes sont saisissants mais frôlent le plagiat - avec "Where is My Mind" des Pixies en effet de signature !). De plus, "Mr. Robot" s'égare régulièrement, en particulier en son centre, dans des épisodes laborieux sur les addictions et les troubles de son héros, alors que le téléspectateur trépigne en attendant de découvrir ce qui adviendra, en particulier à l'un de ses magnifiques personnages, l'effrayant psychopathe Tyrell Wellick, joué par un Martin Wallström beaucoup plus convaincant que Rami Malek, un peu répétitif dans son interprétation d'Elliot, hacker schizophrène décidé à "sauver le monde". Ces baisses de rythme déçoivent un peu, mais ne gâchent pas notre plaisir devant une œuvre aussi originale et stimulante, que l'on suivra avec joie dans sa deuxième saison, après une belle et complexe conclusion (post générique du dernier épisode). [Critique écrite en 2016]


Saison 2 :
La saison 2 de "Mr. Robot" s'affiche comme une rupture de ton significative par rapport à la première, rupture pour le moins déstabilisante pour le téléspectateur qui aurait pu développer une certaine addiction au principe de ce thriller cybernétique "post-finchérien". Grosso modo, les 5 premiers épisodes, ennuyeux au delà du supportable, donneront à toute personne normalement constituée l'envie de retirer définitivement sa confiance à Sam Esmail - seul maître à bord puisqu'il réalise aussi TOUS les épisodes, une pratique rarissime dans le genre... : ce sera un superbe twist (encore un, il faudrait voir à ne pas en abuser !) qui nous permettra de retrouver nos marques dans une série qui se complexifie sévèrement, s'ouvrant à d'autres personnages que celui d'Elliott, tout en explorant de manière un peu pesante (quand même...) la schizophrénie galopante de ce dernier. L'aspect géo-politique de "Mr. Robot" reste passionnant, en particulier le volet "chinois" de l'histoire, qui offre à B. D. Wong l'opportunité de "voler le show" aux autres acteurs avec son personnage transgenre saisissant. Même si l'on peut déplorer une volonté exagérée de nous perdre dans des labyrinthes mentaux très "phildickiens" (voir la remarquable scène du "test" dans la pièce obscure), et des acteurs souvent bloqués dans des mimiques répétitives, la beauté de la mise en scène garantit notre adhésion quasi inconditionnelle à la seconde partie de la saison : utilisation de la musique magistrale, décadrages soignés (un style inventé par la série anglaise "Luther", me semble-t-il...), superbe douceur cotonneuse de nombreuses scènes, recul bien vu par rapport aux quelques scènes de violence qui déchirent le cauchemar planant vécu par les personnages... "Mr. Robot" vole formellement très haut. [Critique écrite en 2017]


Saison 3 :
Cette troisième saison de l’étonnante série "Mr. Robot", qui suscite beaucoup de polémiques entre ses défenseurs, admiratifs devant l’intelligence des sujets « de fond » traités par Sam Esmail, et ses détracteurs, l’accusant de superficialité du fait de la manière dont elle colle à l’actualité : entre hacking croissant, réseaux sociaux, terrorisme, guerre économique de plus en plus brutale, en particulier entre Chine et USA, "Mr. Robot" ne choisit pas et nous parle de tout.


Il y a pourtant une véritable rupture cette fois vis-à-vis des deux premières saisons, c’est que les scénaristes ont largement abandonné les mécanismes du « twist » qui étaient au cœur de celles-ci, pour faire réellement progresser la fiction : beaucoup, sinon la plupart des énigmes développées jusque là se voient résolues – en particulier ce qui était arrivé à Tyrell Wellick, véritable point aveugle de la précédente saison -, et les motifs, sinon même les stratégies de chacun des joueurs, sont désormais exposés. Bien sûr, cette clarté nouvelle du récit ne va pas jusqu’à la simplicité, et, que l’on ne s’inquiète pas, suivre "Mr Robot" reste un véritable casse-tête pour le spectateur, qui continuera donc, suivant son humeur, à se sentir fasciné ou exaspéré…


On goûtera donc l’aspect – relativement nouveau – uchronique d’une histoire qui voit un Donald Trump, candidat à la succession de Barack Obama et supporté par les Chinois, et surtout une population américaine – et sans doute mondiale – littéralement jetée à la rue par le crash du système bancaire déclenché par Elliot. Et qui décrit surtout le lobbying de gigantesques corporations prenant le contrôle de pays entiers (ici, le Congo, convoité par la Chine…) : de quoi alimenter savoureusement notre paranoïa et nos théories complotistes !


Ceux qui déplorent la froideur théorique d’une série profondément cérébrale savoureront sans doute le huitième épisode de cette saison, tentative rare et réussie de conférer une âme et des sentiments à des personnages qui peuvent sembler en manquer, mais c’est définitivement l’extraordinaire personnage de Whiterose qu’incarne BD Wong qui continue à s’imposer comme la plus belle création de la série.


Par contre, on ne pourra que trouver discutable l’apparition tardive dans l’histoire de Irving, interprété par un Bobby Cannavale pas forcément toujours à l’aise, et surtout regretter l’usure de la représentation de la double personnalité d’Elliot / Mr. Robot, désormais usée jusqu’à la trame.


Malgré l’intérêt soutenu que présente "Mr. Robot", avouons que c’est un soulagement d’attendre la conclusion que devrait apporter la quatrième saison.
[Critique écrite en 2019]


Saison 4 :
Rien de tout ce qui avait précédé ne nous préparait réellement à l’expérience qu’est le visionnage de la dernière saison, qui, à notre avis, permet à "Mr. Robot" de rejoindre le peloton de tête des très grandes séries TV de l’histoire contemporaine. Parce que ces 13 derniers épisodes, tous co-écrits et dirigés par Sam Esmail témoignent d’une vision artistique claire, qu’ils répondent à toutes les questions qui ont pu se poser dans tout ce qui a précédé, qu’ils offrent une variété inhabituelle d’expériences formelles et émotionnelles différentes, bref qu’ils respectent parfaitement le contrat de conscience passé entre un showrunner – qui est ici clairement un véritable artiste – et son public… à la différence de tant de séries qui se moquent visiblement de l’intégrité intellectuelle, voire même « morale », qui est généralement attendue d’eux. Il est ainsi facile de comparer la démarche j’menfoutiste, à la limite de l’irrespect, d’un Damon Lindelof toujours prêt à l’enfumage systématique de ses téléspectateurs pour sortir des constructions absurdes qu’il a créées – on se souvient ici douloureusement de "Lost" ou de "Leftovers" -, avec la rigueur et l’intelligence déployées par Esmail dans la construction scénaristique de ce "Mr. Robot" pourtant tout aussi risqué.


Il s’agit donc ici de conclure toutes les pistes empruntées par la série, depuis l’angle psychanalytique – le dédoublement de personnalité d’Elliot Alderson (répétons combien Rami Malek fait ici un travail formidable, bien supérieur à son interprétation de Freddie Mercury dans "Bohemian Rhapsody") – jusqu’à l’angle conspirationniste – comment une petite bande de hackers idéalistes peut mettre à mal le pouvoir secret régissant les systèmes financiers et donc le monde entier – en passant par le sujet S.F. soigneusement évité jusque-là – mais à quoi sert donc cette fameuse « machine » construite sous une centrale nucléaire, et que Whiterose veut absolument déménager au Congo ? Et tous ses fils narratifs seront donc bouclés, certains avec une indéniable logique – les plus rationnels d’entre nous en conviendront -, d’autres avec des tours de force d’imagination qui nous obligent à nous incliner.


Et si à la fin, après les 3 derniers épisodes qui viennent étrangement conclure l’affaire alors que la partie thriller de l’intrigue est bouclée, on sort de "Mr. Robot" avec une vague gueule de bois (il peut être difficile de trouver le sommeil après tout ça, vous êtres prévenus !), on ne peut s’en prendre qu’à soit même : on attendait des mondes parallèles, de la SF pure et dure, et on revient plein pot, grâce à un ultime twist qui s’avère en fait parfaitement logique, au cœur de ce qui a toujours été le véritable sujet de la série : la question de notre équilibre mental dans une société – la famille, l’entreprise, le gouvernement, la loi – qui nous veut foncièrement, depuis notre plus tendre enfance, du mal.


Il serait criminel d’en dire plus, il vaut mieux laisser chacun savourer l’habileté de cette conclusion… qui nous refusera jusqu’au bout l’unique chose qui nous aurait satisfait : le plan sur un visage, un seul, que nous aurions désespérément voulu voir… Il y a quelque chose de réellement magistral dans cette déflation conclusive, qui permet à la fin de "Mr. Robot" de s’inscrire parmi les plus belles fins de séries TV.


Mais, ne négligeons pas pour autant le parcours que nous avons effectué pour en arriver là : oh, non, pas une ligne droite de tout repos, mais un véritable parcours du combattant, qui va nous valoir de ces surprises et de ces émerveillements qui sont rares dans notre quotidien de « consommateur » de série : il y a cet épisode "404 (Not Found)", avec sa ballade improbable de Tyrell, Elliott et Mr. Robot dans les bois glacés où rode le danger, tandis que, en parallèle, Darlene explore la profondeur du désespoir ordinaire en compagnie d’un Père Noël en état d’ébriété ; lui succède son exact opposé, le radical "Method Not Allowed (405)", qui emballe et impressionne en nous contant en cinquante minutes de tension permanente un casse et une poursuite sans qu’aucun mot ne soit prononcé ; et il y a bien sûr le sommet absolu de toute la série, le septième épisode ("407 Proxy Authentication Required") – noté en ce moment 9,9/10 par les utilisateurs de l’IMDb ! -, mise en scène radicale, théâtralisée, en 5 actes, et ultra-formaliste, de la séance de psychanalyse qui nous révélera « l’origine du mal ».


Vous l’aurez compris, « l’expérience totale » que propose Sam Esmail dans cette dernière saison, traduit une ambition dont on n’a plus guère l’habitude dans le monde inflationniste de la série TV « de consommation courante ». Ce qui ne veut pas dire que les basiques du spectacle ne soient pas remplis : excitation du thriller lorsque nos héros dysfonctionnels essaient d’échapper aux sbires de la Dark Army, émotion du drame sentimental quand deux personnages se manquent – pour toujours – dans un hall de départ d’aéroport, etc.


Quant à confirmer l’intégrité des créateurs de "Mr. Robot", il faut rappeler ici qu’il était originellement prévu, du fait de l’immense succès de la série, une cinquième saison, et que c’est Esmail et son équipe eux-mêmes qui en ont refusé le principe, déclarant que la fin offerte ici était la meilleure possible.


On est bien d’accord avec eux !
[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/03/03/prime-mr-robot-derniere-saison-un-final-exemplaire-et-un-parcours-incroyable-pour-y-arriver/

EricDebarnot
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les plus belles claques esthétiques et Les meilleures séries de 2015

Créée

le 29 oct. 2016

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Eric BBYoda

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