Le biopic politique est un exercice casse-gueule, car il n'y a qu'un pas du chez d'oeuvre à la brouette à Oscars maquillée comme une voiture volée, ou au docu-fiction naphtaliné. Et ça tombe bien car Joe Wright, qui réalise tous les épisodes de cette mini-série 100% européenne (et pourtant pas diffusée en France, au cas où vous n'étiez pas convaincus que le fascisme a déjà gagné ici en voici une preuve), n'est pas n'importe quel gugusse en la matière: si je suis loin d'avoir vu tous ses films, il avait déjà ébouriffé son petit monde avec ses Heures Sombres portant sur une figure difficile car des plus rebattues, en l'occurrence un certain Churchill.


Tout aussi casse-gueule est l'exercice consistant à chroniquer un tel projet en évitant les tartes à la crème lénifiantes du genre, à base de "oeuvre coup de poing", "faisant écho à la situation actuelle" sans oublier l'inévitable "oeuvre nécessaire". C'est ici que les Romains s'empoignèrent, au travail.


En 8 épisodes, Joe Wright nous fait plonger à toute berzingue dans les arcanes de ce fils du siècle, dans un espace de temps assez réduit, de la création des Faisceaux de Combat en 1919 à l'assassinat du député socialiste Matteotti en 1924, moment dramatique actant la véritable bascule de l'Italie dans la dictature.


La prestation inouïe de Luca Marinelli, bovin et théâtral, éructant, roulant des mécaniques, débordant de charisme tout autant que de vices, fracassant régulièrement le 4eme mur à coups de matraque, démontre que le fascisme n'est pas tant une idéologie structurée que le produit d'une époque. Mussolini c'est une anguille, une bête qui flaire l'air du temps, qui surfe sur les aspirations et la détresse des âmes en peine qu'on a sorti de la boue après les avoir obligés à s'éventrer dans les tranchées pendant 4 ans. Qui se nourrit des hommes comme il se nourrit des femmes qu'il met un point d'honneur à attraper par la chatte et à traiter comme de la merde -sauf sa maîtresse et éminence grise, la spectrale Margharita Sarfatti. Cessez de diaboliser Trump car il n'a rien inventé, et si ce n'était lui, un autre aurait pris sa place. L'occupation permanente de l'espace, dire une chose et son contraire, étourdir son prochain dans une logorrhée verbale, saccager le langage, vider de leur sens les concepts, les lois et les usages, ne pas hésiter à trahir du moment qu'on se met du côté des puissants, saper patiemment la démocratie à petits pas (à ce titre, le passage sur la réforme électorale est édifiant), utiliser toute la force de frappe des médias (Mussolini était journaliste de profession, 1er d'une longue série de communicants-trublions-apprentis dictateurs à la noix de coco, de Berlusconi à Trump en passant par Zemmour ou encore Hanouna depuis que ce dernier a troqué ses nouilles dans le slip pour le débat politique), et, lorsqu'on est pris la main dans la bonbonnière: nier lâchement en bloc, rejeter ses responsabilités sur les autres, pour, in fine et pour reprendre un terme très actuel, tout assumer crânement.


Le fascisme est souvent réduit -et ce par les fascistes eux-mêmes pour discréditer leurs détracteurs, à un bruit des bottes lointain. Comme un phénomène sinistre, pas séduisant pour un sou, limite incompréhensible, qui serait subitement devenu has-been aussitôt qu'une balle de 7.65 eût posé ses valises dans le crâne d'un certain peintre autrichien le 30 avril 45. De là, tous ces gens qui roulent des yeux lorsqu'on leur dit que Bruno Retailleau, Pascal Praud et autres fils de tchoin Hyperbolloréens sont factuellement des fascistes, pas des fachos comme l'entendrait un lycéen en sarouel, mais des fascistes pur jus. Le fascisme, c'est pas que des brassards et des claquements de talons, c'est un énorme travail sur la séduction, sur l'image, et tant que Pascal Praud restera le mec le mieux sapé du PAF nous sommes foutus. Le fascisme c'est du style, de l'émotion, des titres accrocheurs, de la rage, de l'espérance, bref, le fascisme, c'est cool. A ce titre, la série déploie un style flamboyant, frénétique, faisant une peinture crue et décadente de l'Italie des années 20. Joe Wright y va à fond dans sa démonstration: bouillonnement visuel limite expérimental tah Oliver Stone période JFK, de montages parallèles en plans débullés à foison, sa mise en scène fait feu de tout bois. C'est sensoriel, ébouriffant, manipulatoire, les 2 mains dans le cambouis, c'est du cul à gogo, de l'action, des bacchanales et des bagarres de rue, une violence crue et sordide, des alcôves grouillant de complots, de viols et de règlements de compte, c'est la solution à tous les problèmes et en plus les chemises brunes sont vachement stylées avec leurs torches et leurs têtes de morts. Cela transparait à chaque instant, des scènes de rassemblements fachos filmés comme des concerts de rock, aux moments de liesses goguenardes très Goodfellas qui donneraient presque envie de fracasser des culs de socialistes pour vivre une beuverie avec ces bandes de brutes joviales. Le tout soutenu par la bande-son électro anxiogène très acérée de Tom Rowlands, cofondateur des Chemical Brothers, qu'a du s'injecter du Laibach et du Alberich en intraveineuse pendant 6 mois pour aboutir à un tel trip. Pour un bon aperçu de ce que j'entend par tout cela, se référer à cette excellente scène où Mussolini déchaîne les enfers en décidant de s'allier à la bourgeoisie, trahissant par la même ses prétentions ouvriéristes et attrape-tout.

Il va de soi qu'une série au style aussi tranché gagne à ne pas être binge-watchée, prenez le temps de la digérer entre chaque épisode.


Bref, Mussolini la série, ce n'est pas tant l'histoire de Mussolini que la peinture d'une époque. Et c'est là une de ses grandes réussites. On pourrait lui reprocher d'aligner des personnages peu ambivalents, manquant de profondeur à l'image des pied nickelés assassins de Matteotti, mais ce serait passer à côté du propos. Ce serait passer passer à côté de cette mise en scène viscérale, de ces plans incroyables débordant de vie, de grogne et de figurants, à l'image de l'air du temps fondé sur les masses en mouvement. Fondamentalement, le fascisme est instinctif, reptilien, réflexe, un truc qui parle aux couilles et aux phalanges, vulgaire et brutal, qu'il soit le fait d'un homme de main plantigrade ou d'un milliardaire à la tête d'un groupe de presse. Pas venue là pour beurrer les sandwiches, pas analytique pour un sou, Son of the Century nous emporte comme un train fantôme dans le torrent inexorable de l'histoire et de ses spirales de violences et d'abus. C'est finalement l'histoire d'un p'tit mec, un de ces cons qui se branlent sur la guerre sans l'avoir faite, un mec pas spécialement exceptionnel, pas spécialement intelligent et ne parlons pas des nervis de sa garde rapprochée: le passage très drôle sur le choix des candidats n'est pas sans rappeler nos périodes électorales durant lesquelles des galériens du RN sont régulièrement épinglés tant pour leurs bafouillages à la télé que pour leur passion dévorante pour les artefacts de la Wehrmacht. Un mec même franchement abject par bien des aspects, justifiant ses revirements de crotale et ses moults tours pendables par son dégoût nihiliste de l'humanité, et qui pourtant va se constituer un noyau dur de quelques manches à couilles à force de remuer la vase, susciter l'intérêt des puissances dominantes et finalement subjuguer un pays qui croyait pouvoir le dompter lui, ses discours démagos et ses méthodes qu'on qualifierait aujourd'hui de disruptives. Tiens tiens tiens.


Si la série pèche par moments, mais vraiment par moments, d'être trop didactique notamment via quelques clins d'oeil trop appuyés (le "make Italy great again", pour amusant que ce soit, n'était pas ultra-nécessaire, on avait compris), elle reste une réussite envoutante et aussi percutante qu'un coup de batte dans la mâchoire. A voté.

Biggus-Dickus
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le 28 sept. 2025

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Biggus Dickus

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