Nurse Jackie n’est pas simplement une série hospitalière – c’est une incursion frontale dans l’espace trouble de la moralité moderne, portée par une héroïne dont la complexité psychologique constitue à la fois la force et la limite du récit. Si je lui accorde une note de 8/10, c’est parce qu’elle réussit à capturer quelque chose de profondément vrai, sans toutefois toujours maîtriser le déséquilibre qu’elle cultive.
Le cœur de la série, c’est Jackie Peyton : une infirmière brillante, compatissante, mais irrémédiablement prise dans l’engrenage de l’addiction et du mensonge. Ce n’est pas tant la dépendance qui choque – les séries n’ont pas attendu Nurse Jackie pour évoquer les excès – mais plutôt la manière dont celle-ci est intégrée à son efficacité professionnelle. Jackie n’est pas en déclin : elle excelle malgré tout. Ou à cause de tout ? La série ne tranche jamais, et c’est là, selon moi, le pari le plus audacieux, mais aussi le plus clivant de l’écriture.
Dans un paysage télévisuel souvent prompt à simplifier les enjeux moraux, Nurse Jackie maintient un flou volontaire. Loin d’offrir une trajectoire de rédemption linéaire, elle explore une spirale de contradictions : Jackie soigne les autres tout en s’autodétruisant, ment pour protéger, trahit pour survivre. Ce réalisme psychologique, d’une rare lucidité, est porté par une interprétation habitée d’Edie Falco. L’actrice ne cherche jamais la sympathie facile ; elle expose, sans fard, les tensions internes d’un personnage constamment sur la corde raide.
Ce choix artistique, aussi salutaire soit-il, n’est pas sans contrepartie. À force de complexité, la série en devient parfois déroutante, voire frustrante. Certaines saisons peinent à renouveler les enjeux, et l’entourage de Jackie – pourtant prometteur – reste souvent cantonné à des rôles de faire-valoir ou de ressorts narratifs. Les scénaristes flirtent avec le répétitif, donnant l’impression de tourner en rond autour d’une figure fascinante, mais statique.
La mise en scène, sobre, presque clinique, accompagne ce réalisme sans artifices. Elle refuse le spectaculaire, laissant l’intime envahir l’écran. Une décision cohérente, mais qui peut désarçonner ceux qui attendent un souffle dramatique plus soutenu ou une progression narrative plus marquée.
Malgré ses limites, Nurse Jackie reste une série précieuse, parce qu’elle prend le risque de ne pas juger, de ne pas conclure. Elle interroge sans imposer, montre sans commenter. C’est une œuvre qui laisse une trace, non parce qu’elle rassure, mais parce qu’elle dérange. Et c’est peut-être cela, finalement, son geste le plus politique.