Painkiller
6.9
Painkiller

Série Netflix (2023)

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Comment Purdue Pharma a légalisé les opioïdes

S’inscrivant entre la fiction dramatique et le documentaire, la mini-série Painkiller, produite par Netflix, dépeint avec acuité la crise des opioïdes sévissant aux États-Unis depuis (au moins) le milieu des années 2000. Exploitant récits personnels, affaires judiciaires et regard critique sur la stratégie marketing mise en œuvre par la famille Sackler, responsable de la commercialisation du puissant anti-douleur OxyContin, la série de Noah Harpster et Micah Fitzerman-Blue emboîte le pas de Dopesick (2021, Disney+) pour illustrer la collision dévastatrice entre l’avidité corporative et les fragilités humaines.


La mini-série de Netflix Painkiller déconstruit avec talent, et de manière glaçante, la crise sanitaire que traversent actuellement les États-Unis. Au cœur du scandale : la famille Sackler et leur produit-phare, l’OxyContin, un dérivé de l’opium prescrit à large échelle ces vingt dernières années. Richard Sackler, médecin et président de Purdue Pharma, est présenté comme la figure de proue, obstinée et amorale, de la promotion de cet opioïde, si proche de la morphine et de l’héroïne qu’il fait l’objet d’un véritable marché parallèle. Particulièrement retorse quand il s’agit de concevoir des campagnes marketing spécieuses et de lancer ses jeunes représentantes à l’assaut de la médecine, de ville comme hospitalière, l’entreprise pharmaceutique va décliner son médicament sous forme de peluche enfantine, communiquer de manière tronquée, voire mensongère, mettre en place et ensuite consolider un réseau médico-commercial nappé de corruption et de faux-semblants. 


Si Painkiller fait largement état de ces agissements contraires à l’éthique et à la loi, la série gagne en densité en entrelaçant les histoires de ses différents protagonistes. Ceux gravitant autour de la famille Sackler, bien entendu, mais aussi une avocate déterminée travaillant pour le bureau d’un procureur et les victimes de l’OxyContin, au premier rang desquelles un garagiste blessé au dos et soulagé à l’aide de cet anti-douleur. Ce dernier, bientôt toxicomane, passe en situation de rupture familiale et en arrive à sniffer le médicament écrasé dans l’espoir d’en décupler les effets. Bien que Painkiller utilise dans son récit des éléments de fiction, elle reste profondément ancrée dans la réalité, déchirante, comme en témoignent les séquences d’ouverture de chaque épisode, où des personnes exposent les conséquences délétères de l’OxyContin sur leur vie et celle de leurs proches. L’approche de Noah Harpster et Micah Fitzerman-Blue a ainsi le mérite de donner une incarnation humaine à la crise des opioïdes, souvent dissimulée derrière les statistiques sanitaires ou criminelles, alarmantes dans les deux cas, et étroitement indexées au scandale occasionné par Purdue Pharma. Plusieurs éléments en attestent dans la série : les morgues se remplissent en raison des overdoses, les vols et trafics de drogue se multiplient, l’économie du pays en ressort affectée.


Qu’est-ce qui pourrait bien réunir le mécanicien Glen Kryger, typique de ces cols bleus vivant au fil du rasoir, et les nymphes qui circulent en Porsche d’un cabinet médical à l’autre ? Vous l’avez, c’est l’OxyContin. Toute l’entreprise de Painkiller consiste précisément à objectiver les liens entre la perdition de l’un et les activités des autres. La chaîne commence par un praticien recevant le temps de quelques minutes une représentante de Purdue Pharma, forcément jeune et avenante : elle récite avec conviction un discours parfaitement rôdé, calibré pour capter l’attention et convaincre, mettant l’accent sur les bénéfices du médicament, dont elle ne manque pas de louer la sûreté et l’utilité. Cette même chaîne se conclut avec des Américains ordinaires, comme Glen, séparés de leurs proches, privés de leur emploi, gagnant en assuétude ce qu’ils perdent en dignité, s’évanouissant, momentanément ou définitivement, après avoir ingurgité ou inhalé le cachet de trop. Pour les uns, c’est un cercle infernal, que Peter Berg met en scène de manière efficace et démonstrative : le soulagement est de plus en plus court, les doses de plus en plus fortes, le manque de plus en plus criant et rapide. Pour les autres, c’est un travail de persuasion et d’auto-persuasion, qui aboutit, quand il est bien mené, à l’opulence et à un sentiment d’appartenance rendu enivrant à force de matraquage publicitaire et de réceptions fastueuses.


Le style de Painkiller, combinant le drame et le documentaire, rappelle des œuvres comme The Big Short d’Adam McKay ou Margin Call de J.C. Chandor. Les éléments didactiques ne viennent cependant jamais emboliser les poumons narratifs de la série, qui excelle dans l’énonciation des techniques de manipulation – et de prédation – de la société Purdue Pharma. Les performances des comédiens, et notamment de Matthew Broderick, Uzo Aduba, West Duchovny et Taylor Kitsch, apportent une profondeur remarquable à leurs personnages, qui forment le carré autour duquel se structure la série. Chacun d’entre eux symbolise en effet un aspect de la crise des opioïdes : le scandale pharmaceutique et la relative impuissance des régulateurs (la FDA), la difficulté de documenter certaines activités illicites (qui se parent volontiers de respectabilité), les possibles dilemmes moraux entre l’éthique et l’argent, l’accoutumance et ses nombreux contrecoups. Insuffisant pour épuiser une problématique qui tourmente l’Amérique depuis plus de vingt ans, mais idoine pour en comprendre les tenants et aboutissants.      


Reprenons le fil de l’histoire. L’OxyContin, introduit sur le marché en 1996, est un analgésique opioïde. Sa formule à libération prolongée a été présentée comme une innovation majeure dans le traitement de la douleur. Elle offrait un soulagement continu sur une période de 12 heures. Gagnant rapidement en popularité, le médicament a généré des revenus proprement colossaux. L’un des aspects les plus controversés de l’histoire de Purdue Pharma relève de sa stratégie de marketing agressive. L’entreprise a massivement promu l’OxyContin auprès des médecins, en minimisant systématiquement ses potentiels addictifs et en surévaluant ses bienfaits. Des campagnes publicitaires, des séminaires commerciaux et des incitations financières ont été utilisés pour accroître le nombre de prescriptions. Cela a rapidement conduit à une crise des opiacés qui a engendré un bilan humain catastrophique. Des centaines de milliers de décès par surdose ont été recensés, et des millions d’Américains ont été ou sont aujourd’hui affectés par un phénomène de dépendance. Ce scandale a exacerbé des problèmes de santé publique connexes et débouché sur une multitude de poursuites judiciaires.


En six épisodes d’une cinquantaine de minutes, Painkiller donne à voir l’ensemble de ces faits. La série de Noah Harpster et Micah Fitzerman-Blue n’omet pas non plus les praticiens résistants, les usages non médicaux occasionnels (et tout aussi problématiques) de l’OxyContin, le détournement intéressé des publications scientifiques ou les arcanes du processus d’homologation des produits pharmaceutiques. La caractérisation des personnages mérite aussi une attention particulière. Si associer de la sorte Richard Sackler à la folie (il est régulièrement assailli d’hallucinations) semble un artifice un peu grossier, l’abnégation et le courage de l’avocate Edie Flowers, mêlés à une histoire personnelle complexe, qui opère en miroir, rehaussent encore l’intérêt de la série, au même titre que les dissensions cognitives qui frappent de plein fouet la commerciale Shannon Schaeffer. Il y a là, de toute évidence, suffisamment d’arguments pour se laisser appâter.


Article initialement publié sur RadiKult'

Cultural_Mind
8
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le 3 déc. 2023

Critique lue 286 fois

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Cultural Mind

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