Patria
7.4
Patria

Série HBO Europe (2020)

Trop de noiceur et mal construite pour un sujet intéressant. Dommage...

https://seriephiledudimanche.jimdofree.com/2023/03/15/patria/

L’ETA et le sang versé


Un homme sort de sa sieste et s’apprête à retourner au travail. Il boit une gorgée de café froid à même la cafetière, dit au revoir à sa femme et quitte l’appartement sous une pluie battante. Après un petit temps où la caméra se concentre sur la visage de cette dernière, des coups de feu retentissent. Elle se lève, paniquée, jette un coup d’œil furtif à la fenêtre et se précipite en geignant dans la rue déserte. Elle étreint son mari, gisant inanimé sur le pavé et hurle. Bienvenue dans la Pays Basque espagnol dans les années 90. Années où sévissait l’ETA (Euskadi ta Askatasuna), une cellule terroriste qui réclamait l’indépendance de leur province et exigeait de la population un soutien sans faille à leur cause quitte à supprimer les supposés opposants. Dans le cas de Txato, en tant que petit chef d’entreprise de transport, une absence de paiement de l’impôt dévolu à financer l’ETA, et c’est une vie qui s’envole, une famille entière plongée dans le deuil. Il suffit de se rendre sur Wikipédia pour prendre la mesure des malversations de cette organisation fondée en 1959 : À partir de 1968, (...) ETA a tué 829 personnes, fait des centaines de mutilés, commis des dizaines d’enlèvements et de nombreuses extorsions de fonds. Celle-ci a annoncé sa dissolution officielle le 2 mai 2018.



Vivre le deuil

« Patria » suit le parcours de deux familles : celle de la victime bien sûr mais aussi celle parmi laquelle figure un des assassins présumés de Txato, éternel optimiste qui jamais n’avait pu imaginer qu’un Basque puisse en tuer un autre sous prétexte qu’il aime son pays. Concernant la première, on nous expose deux manières distinctes de vivre le deuil : fuir la douleur en même temps que le lieu des événements ou se rendre en partie responsable de ce qui s’est passé et s’interdire toute forme de bonheur. La narration nous présente ce second positionnement plus comme une posture flagellatrice qu’une réelle nécessité. Ainsi, s’il ne nous est pas autorisé de juger des émotions que le deuil impose, le personnage en question se déleste de l’amour qu’on lui prodigue sous prétexte qu’il ne s’autorise plus à être heureux. A défaut de critiquer l’auteur de ces pensées, on en vient plus à reprocher aux scénaristes de l’avoir figé dans un état de contrition sans lui apporter la moindre nuance. Par ailleurs, pas sûr que son père, s’il pouvait encore parler, cautionne le choix de vie de son enfant, ce qui nous autorise à ne pas le faire non plus. En revanche, quand il s’agit de fuir, là, on ressent l’aspect viscéral d’une décision qui n’en est pas une. Alors, si les sourires et la vie semblent ici présentes, le mal enfoui resurgit au détour d’une rue, nouant le bide, insidieux, toxique. Et ça, en revanche, on y croit !



Des personnages crédibles


Du côté de la famille de Joxe Mari, le bourreau potentiel, les enfants sont unanimes : leur frère est un assassin mais il reste leur frère. Alors, s’il est possible pour l’un de fuir tant en prouvant que l’on peut mettre en avant la culture basque sans passer par la lutte armée, le handicap moteur de l’autre l’oblige à vivre chez ses parents. De fait, dans l’incapacité de parler, celle-ci observe impuissante sa mère Miren épouser le combat de son fils pour la simple et bonne raison qu’il est son fils tandis que son père Joxian ne prend pas le risque de s’élever contre les brimades humiliantes de sa femme. Par ailleurs, ce « lâche » comme il se décrit lui-même, tourne le dos au « traître » qui, encore hier, était son meilleur ami. Même si ce volte-face relationnel s’opère de manière trop brutale pour apparaître crédible, ce dernier est sans doute le personnage qui représente le mieux la population locale : il aime son pays, il considère les membres de l’ETA (y compris son fils) comme des assassins, mais il craint à juste titre que l’ETA s’en prenne à sa famille. Alors, il baisse la tête et se tait. Clairement, la force de la série tient à ses descriptions psychologiques subtiles et cohérentes. Et si un dénominateur commun devait en être retiré, ce serait d’être pris en étau entre l’amour qu’ils portent à leur famille et la position intenable dans laquelle la situation politique les confronte. Position qui ne permet pas la neutralité et fragmente les relations intra et inter-familiales.



Un enjeu et des descriptions de qualité


De manière plus globale,la narration de « Patria »oscille entre différentes époques qui vont de la montée des tensions jusqu’à ce que Bittori, la femme de Txato, retourne au village suite à l’arrêt officiel des attentats. Son but avoué est de reprendre contact avec la famille de Joxe Mari pour savoir si celui-ci est le meurtrier avéré de son mari. Et pour cela, elle est prête à affronter le regard haineux de Miren (qui a vu son fils se faire incarcérer pour ses meurtres) et celui, désapprobateur, du curé du village, accusé, lui ainsi que les instances de l’église catholique basque qu’il représente,d’avoir soutenu les agissements de l’ETA. On a beau lui reprocher de venir remuer la merde en ces instants de trêve, elle s’accroche et tient à connaître la vérité. L’enjeu narratif de la série, le voilà ! De fait, en plus du lien qui ne cessera de se rompre entre les deux familles jusque-là unies, on appréhende les exactions et les méthodes de fonctionnement de l’ETA mais aussi la violence commise par le gouvernement espagnol envers les Basques ainsi que la torture dont il a usé pour mater les prisonniers indépendantistes. Il n’y a pas de manichéisme dans la retranscription des faits, c’est une évidence, ce qui procure à « Patria » une visée pédagogique indéniable. Mais malgré toutes ces qualités, on en ressort plutôt frustré.



Un moment sans fin

Si déception il y a, elle se porte plus sur le forme que sur le fond. En effet, on comprend très vite que la narration va nous présenter dans le désordre plusieurs périodes de la vie des protagonistes. Le puzzle des événements va ainsi se reconstituer sous nos yeux. En soi, le procédé est plutôt astucieux. En nous faisant constater ce qu’il en est sans nous dévoiler la teneur du chemin emprunté, il couvre le récit d’une forme de mystère et éveille l’intérêt du spectateur. Or, (et on peut le comprendre), la série a choisi comme point névralgique de son histoire le meurtre de Txato. De fait, en multipliant les points de vue, on en vient à revivre encore et encore la scène de sa mise à mort, en y apportant à chaque fois un élément nous rapprochant de l’identité de l’assassin. Par conséquent, lors d’un final particulièrement décevant, les derniers instants de Txato nous sont resservis au travers de scènes déjà éprouvées antérieurement et ce, pendant une bonne dizaine de minutes. Difficile de savoir si ce procédé répétitif est intentionnel, mais il s’avère en tout cas particulièrement laborieux. A tel point qu’il apparaît comme la goutte de pluie qui fait déborder un parapluie déjà bien rempli par la lenteur extrême que "Patria" nous avait jusque là imposée.



Mais il fait froid !


Car il ne faut pas se le cacher : cette série est lente. Très lente ! Ainsi, pour illustrer la solitude qui habite le quotidien de Bittori depuis la mort de son mari, on l’accompagne dans le bus puis on la voit prendre possession de son ancien appartement. Ce parti-pris est intéressant. Mais quand ces situations tendent à se répéter, on en vient à vouloir prendre la poudre d’escampette pour se soustraire de la morosité que ces humains font naître en nous. La plupart d’entre eux dégagent une sorte d’accablement constant, certes compréhensible, mais qui ne les rend pas vraiment sympathiques, à commencer par les deux figures maternelles qui composent cette histoire. En les voyant, on espère que la violence dont elles font preuve envers leurs proches ne soit en rien représentative de l’ensemble des mères de cette région... Finalement, il est intéressant de constater que s’il y a une communication positive, celle-ci ne passe jamais par l’oral. Même le dernier geste, le plus beau de ces 6 épisodes, se fait dans un silence absolu. Pour le reste, seul l’écrit permet de faire du lien, qu’il se matérialise par un courrier ou par le logiciel de celle qui ne peut plus parler. Cette dernière est d’ailleurs incontestablement le personnage le plus émouvant et tendre de la série. Mais que la parole se libère et la voilà pervertie par le reproche, la culpabilité envers les autres et envers soi-même… Si l’amour est au cœur de « Patria », s’il est ce qui a régi les actions de chacun, le crime commis l’a rendu amer et aigri. Et c’est tout de même assez désespérant...



Et il pleut en plus ?


Tout cela est finalement d’une noirceur sans nom, d’autant plus que les auteurs ont eu l’idée de faire du Bays Basque une contrée où même le ciel ne peut s’arrêter de pleurer. Certes, cela permet de mettre en avant cette splendeur de parapluie rouge qui illumine avec classe le générique de la série. De même, il est indéniable que la vivacité évocatrice de sa teinte sanglante contraste magnifiquement avec le ciel gris dont le ciel ne parvient pas à se départir. Mais au bout du compte, ce temps désespérément pluvieux ne fait que renforcer le spleen mortifère qui nous habite et sur lequel les auteurs ne cessent d’appuyer. Mais à force de tant de désolation, les tragédies elles-mêmes perdent de leur force originelle. Qu’un drame ait lieu alors que tout semble coloré et joyeux et c’est un monde qui s’écroule. Qu’il intervienne dans une atmosphère aussi désolée, et on pense, fataliste, qu’il ne pouvait en être autrement. Bref, de tout cela, il ressort que « Patria » est incontestablement une œuvre qui fera date dans l’histoire des Basques. Mais il convient peut-être mieux de se pencher sur le livre de Fernando Aramburu ou sur la bande-dessinée de Toni Fejzula qui en est inspirée que sur cette nouvelle adaptation maussade et maladroite.


Disponible sur MyCanal

vosarno
5
Écrit par

Créée

le 16 mars 2023

Critique lue 5 fois

vosarno

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