Questions d'Histoire
8.4
Questions d'Histoire

Émission Web (2017)

Sachant à défaut d'être savant (...et c'est déjà pas si mal.)

Parce que je suis enseignant d’Histoire, on me demande souvent ce que je pense des chaines de vulgarisation sur Internet. Or, jusqu’à présent, j’ai surtout répondu à cette question en tirant à boulets rouges sur les pires exemples que j’ai pu croiser sur la toile (et encore, je suis sympa, j’ai pour le moment épargné Herodot’com !), n’ayant toujours pas pris la peine d’aiguiller les gens vers des cas que je jugeais davantage convenables.
Eh bien le temps est justement venu de remédier à cela et pour l’occasion, Questions d’Histoire va grandement m’aider.


Cette chaine, je l’ai découverte il y a peu mais elle est installée sur le net depuis plus de cinq ans.
Réalisée par le seul Florian Guillemin, elle bénéficie aujourd’hui d’une aura loin d’être négligeable puisque, l’air de rien, elle peut aujourd’hui s’enorgueillir de quelques 400 000 abonnés tout de même.
Or pour comprendre pourquoi j’apprécie le travail réalisé par Florian Guillemin sur cette chaine, je pense que le mieux reste encore de commencer par se poser cette question toute bête : qu’est-ce qui fait la qualité d’une chaîne de vidéos de vulgarisation d’Histoire ?


Eh bien pour moi ça tient justement à ce qu’on met derrière ces trois termes : vidéo, vulgarisation et Histoire.


Vidéo d'abord.
Puisqu’une chaine Youtube entend par définition solliciter nos yeux, j’attends d’elle qu’elle sache au minimum exploiter le format.
Or, c’est le premier point fort de ces Questions d’Histoire au regard de la concurrence : formellement c’est plutôt chouette.
Laissez de côté toutes ces chaines qui se contentent de nous offrir le sempiternel même plan fixe de leur auteur en train de parler fadassement face à la caméra.
Ici pas de face cam’, ce qui contraint donc forcément à occuper le champ visuel autrement.
Et à dire vrai, plus qu’à un questionnement visuel, Questions d’Histoire présente même le mérite de questionner le format vidéo comme un tout.
Image. Son. Musique. Montage. Narration. Questions d’Histoire n’élude absolument pas la question formelle.
… Et franchement je trouve que la chaine aboutit à chaque fois à des résultats efficaces, élégants et convaincants.
…Un premier point fort donc.


D’ailleurs, cette bonne exploitation du format vidéo participe clairement au deuxième aspect qui nous intéresse : la vulgarisation.
Bien vulgariser, ça implique de rendre le savoir accessible à la foule, à la multitude. vulgaris
Il y a donc deux éléments à considérer là-dedans. Le savoir d’une part et la capacité à restituer ce savoir de manière accessible mais sans dénaturation d’autre part.
Eh bien là encore, sur ce point, Questions d’Histoire s’en sort avec les honneurs.
Je me suis quand-même enquillé une bonne vingtaine d’épisodes et je n’ai jamais surpris d’erreur factuelle, y compris sur des sujets que je maitrise plutôt bien.
Les épisodes ne tombent pas dans le panneau des images d’Epinal trompeuses, les désossent même parfois.
Les incertitudes et les polémiques d’historiens sur les questions traitées sont évoquées.
Même d’un point de vue illustratif la chaine ne fait pas n’importe quoi.


Bien évidemment l’illustration la plus pertinente reste toujours la photo d’époque, la ruine, ou la carte permettant de visualiser un évènement historique dans l’espace, mais comme la chaîne se risque à souvent parler d’Antiquité et de Moyen-âge (ce qui n’est pas pour me déplaire), Florian Guillemin fait le choix d’agrémenter de nombreuses illustrations – souvent des vues d’artistes – qui présentent le mérite de donner de la texture à ce dont on parle sans tomber dans la représentation trompeuse.


J’ai bien relevé quelques petites erreurs, mais franchement rien de grave :
Une localisation hasardeuse des peuplades barbares dans l’épisode 10 traitant des champs catalauniques.
Un drapeau de la Russie anachronique lors de l’épisode sur la campagne d’Egypte de Bonaparte.
Une phalange grecque illustrée avec une phalange macédonienne lors de l’épisode sur la Guerre du Péloponnèse.
…Bref, vraiment rien de bien grave.


L’air de rien, tout ce matériel iconographique mobilisé permet qu’en bout de course, l’auteur puisse se risquer à un véritable travail de mise-en-scène, lequel vient se mettre au service de l’orchestration du propos.


Parce que oui, pour le coup pédagogie et mise-en-scène participent de concert à l’efficacité de cette vulgarisation.
La méthode est un brin répétitive mais présente ce grand mérite d’être efficace et rodée.
Pour chaque épisode, la vidéo part d’un évènement ponctuel en décalage avec le sujet. Ainsi on aborde la destruction de Carthage en partant d’un tableau de Napoléon faisant une référence à l’offensive d’Hannibal, on amorce la « Saint-Barthélémy » en partant d’une réplique de Mirabeau lors des délibérations au sein de la première assemblée nationale, ou bien encore on questionne la figure d’Ivan le Terrible en revenant sur une polémique suscitée en 2016 lors de l’érection d’une statue à son honneur dans la Russie poutinienne.
C’est rapide et impactant, surtout que derrière une problématique est vite posée.
Pourquoi s’en souvient-t-on ? Qu’est-ce que ça a changé ? En quoi est-ce un tournant ou un révélateur d’une époque ?
Il n’y a alors « plus qu’à » dérouler l’événementiel au service de la question. Sur ce point « Questions d’Histoire » présente aussi le grand mérite de savoir éroder quand il faut, mettre quelques petites touches qui permettent de donner de la chair à l’Histoire en d’autres instants, mais on ne dévie jamais de la démonstration lancée.
Peut-être seule la conclusion est un brin expédiée car il n’est pas rare qu’un épisode oublie l’objet par lequel il s’était pourtant lancé.


Alors certes, parfois c’est peut-être légèrement trop factuel, faisant perdre de vue ce qu’est aussi l’Histoire (et de ça on ne pas tarder à en parler), mais en contrepartie j’avoue que sur certains évènements, ça sait parfois faire son effet de reconstitution.
C’est notamment le cas pour l’épisode consacré à la Guerre en Crimée – guerre peu considérée par les documentaires et autres films de fiction – et pour le coup je n’ai pas rechigné à ce que cet épisode me figure concrètement l'événement.
D’ailleurs l’auteur n’hésite pas à travailler l’ambiance sonore ce qui, couplé à l’effort sur l’illustration et le montage, rend tout simplement la démonstration limpide et fluide.
Preuve en est de l’efficacité de la chose : même sur des questions où je n’avais rien à apprendre, je me suis quand-même surpris à me laisser emporter par l’épisode, juste pour le plaisir de voir les choses prendre corps.
Ça aussi, c’est vraiment un très très bon point.


Ne reste donc plus qu’un dernier aspect à aborder : la question de l’Histoire.
C’est un point qu’on a déjà plus ou moins abordé quand on évoquait la question de la juste restitution des faits – point pour lequel je précisais d'ailleurs que ces Questions d’Histoire s’en sortaient avec les honneurs – mais attention, parce que l’Histoire, ça ne se limite pas qu’à ça.
L’Histoire c’est avant tout une science.
Une science sociale pour être plus exact.
C’est-à-dire que, de par sa nature, l’Histoire a vocation à questionner le réel, à interroger les structures et les phénomènes sociaux à travers notre observation du passé.
Définir les faits ne suffit donc pas. Les interpréter au regard de nos propres questionnements du moment est donc aussi une part intégrante du travail.
…Et questionner les limites de nos propres questionnements fait d'ailleurs aussi partie du job.
Or c’est peut-être sur cet aspect-là que Questions d’Histoire disposerait de la plus grande marge de progression.


Alors attention – ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit non plus – Questions d’Histoire est loin de démériter sur ce point. Bien au contraire.
Comparer d'ailleurs cette chaine aux Nota Bene, C’est une autre histoire, et autres Secrets d’Histoire se fait incontestablement en faveur de la chaîne de Florian Guillemin.
Parce que oui, là au moins on prend la peine de percevoir les évènements et les personnages historiques comme les produits d’une situation globale donnée.
Ça m’a par exemple fait du bien que – pour une fois – on sache présenter la Guerre de Cents ans autrement que comme une simple querelle dynastique, mais qu’on sache aussi l'inscrire dans un contexte de mutations politiques, économiques et sociales profondes.
J’ai aussi beaucoup apprécié comment l’essor et la chute des empires étudiés, qu’ils soient romains ou aztèques, l'ait toujours été au regard de ces mêmes dynamiques démographiques, économiques et sociales.


C’est d’ailleurs une qualité qu’on retrouve aussi dans ces quelques pastilles consacrées à des petits objets du quotidien, comme le vélo ou le stylo à bille.
Au départ j’avoue que j’allais à reculons face à ces petits formats.
Ça faisait vraiment liste à fun facts. Mais malgré tout, en cinq minutes, chaque épisode parvient à chaque fois à dépasser son sujet.
Ainsi, dans Questions d’Histoire, parler de stylo à billes conduit à parler du monde des affaires, de la guerre, d’aviation, de fête des inventeurs en Argentine et du socialisme vu par Umberto Eco. (Rien que ça.)
Alors certes, c’est un brin superficiel, mais ça reste de la vulga. Et pour de la vulga, moi je trouve ça offre un début de regard globalisant qui manque souvent à ce genre d'émissions là.


En termes d’Histoire c’est donc une bonne base… Mais ça pourrait aller plus loin.
En fait ça manque de vraies questions d’Histoire. De vrais dilemmes d’interprétation. De vraies interrogations sur les méthodes…
Par exemple ça pourrait être super-intéressant de questionner la manière dont une société a tendance à autocentrer son Histoire sur elle-même, produisant ainsi des représentations fausses du cours de l’existence. Traiterait-on d’ailleurs la civilisation perse comme une donnée périphérique de notre Histoire si on posait son organisation en fédération de cités autonomes comme ayant grandement inspiré le Royaume d’Alexandre qui allait lui-même servir de modèle à l’Empire romain ?
La chaîne pourrait aussi s’intéresser à comment les découvertes récentes sont liées au renouvellement des approches et des questionnements des périodes. A ce sujet, l'exemple le plus fameux reste cette analyse ADN faite en 2017 sur un squelette de grand guerrier viking et qui s’est avéré être au final être celui d'une grande guerrière, remettant ainsi totalement en cause les représentations qu’on pouvait se faire des sociétés scandinaves de l’époque.
Car si le bouleversement est dans les faits apporté par l’utilisation du test ADN, dans l’idée c’est l’acceptation de la possibilité que ce chef puisse être potentiellement une femme qui a été à l’origine de cette remise en cause.
Ainsi prend-on conscience que l'Histoire ne fournit des réponses qu'en fonction des questions qu'on lui pose.


Ce genre de débats et de questionnements, Questions d’Histoire ne les aborde malheureusement pas. Et je pense qu’elle ne le fait pas tout simplement parce que Florian Guillemin n’est pas historien.
Alors certes, il a fait une licence de communication ce qui lui apporte surement beaucoup de savoir-faire dans sa narration. De même il est aussi méthodique dans son approche des questions, commençant ses recherches sur Internet pour aller ensuite piocher des livres dans sa bibliothèque, ce qui explique pourquoi il échappe aux erreurs grossières. Mais il n’a pas de formation scientifique spécifique à l’Histoire, ce qui fait qu’en définitive, il reste un peu prisonnier de certaines représentations, faisant toujours partir ses questionnements de périodes, de personnages et d'événements connus, et ne sachant pas débusquer un sujet ou une problématique qui permettrait de vraiment décloisonner l'Histoire des représentations trompeuses qu'on s'en fait.


Car l'un des vrais problèmes du rapport qu'entretient la foule à l'Histoire - outre le fait que la première peine à percevoir la seconde comme scientifique - c'est qu'elle est prisonnière de représentations trompeuses, ces dernières ayant été enracinées par une multitude d'institutions qui ont cherché à imposer leur roman national respectif.


Or le vrai avantage dont dispose un vulgarisateur par rapport à un enseignant du secondaire, c'est qu'il n'est pas contraint par un programme officiel.
Il est donc plus à même de restituer l'Histoire pour ce qu'elle est vraiment, libérée des biais induits par l'Éducation nationale ou de ceux que veulent entretenir certains gardiens du temple monarchistes financés par des deniers publics comme Stéphane Bern, Lorant Deutsch ou Franck Ferrand.


Ainsi est-il donc possible pour le vulgarisateur de s'éloigner d'une Histoire occidentalocentrée, d'une Histoire qui iconise les chefs et invibilise les masses, une Histoire qui inciste sur les avancées permises par les nôtres et les massacres accomplis par les autres.


Or, quand bien même Questions d’Histoire fait-il à chaque fois l'effort de moduler et de questionner les sujets qu'il traite qu'il n'en reste pas moins prisonnier des sujets qu'il choisit de traiter.
Ainsi on ne traitera de la Russie qu'Ivan le Terrible, de l'URSS que Staline et de la Révolution que la Terreur.
Enclos par les cours qu'il a reçu au secondaire, les sujets traités par Florian Guillemin se cantonnent souvent à la France, un peu aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon, mais on ne s’en éloigne jamais vraiment.
Le Proche et Moyen-Orient, l’Inde ou la Chine sont totalement ignorés.
L’Histoire sociale des masses l’est d’ailleurs aussi. L’Histoire religieuse également.
De même l’Histoire récente est pas mal absente. Comme un symbole, le générique de l’émission se conclut sur le débarquement des Américains à Iwo Jima, comme si l’Histoire s’arrêtait là. (A part les Khmers rouges, pas grand-chose à se mettre sous la dent après 1945.)
C’est un petit peu comme si la chaine évitait soigneusement de sortir des bornes admises, esquivant ainsi au passage les sujets qui fâchent.
Et ça c'est une vraie limite.


Car je le rappelle, l'Histoire c'est aussi ça. C'est même avant toute chose ça.
C'est une science sociale qui questionne les structures.


Une Histoire qui fuit les questions politiques sous prétexte qu'elle n'est pas là pour participer à des questions d'actualité ou trancher des controverses ne joue pas vraiment son rôle de science sociale.
Et si j'apprécie que parfois cette chaine sache faire des liens avec l'actualité, comme quand elle lie la question des Gilets jaunes à la jacquerie de 1358 ou bien celle de la Fronde des parlementaires du XVIIe siècle aux députés frondeurs face à Manuel Valls, je regrette qu'on se limite à la simple évocation et qu'on semble se refuser à l'exploration.
Ainsi en refusant d'aborder de front des approches plus globalisantes telles que l'Histoire des mouvements politiques, sociaux et religieux ou bien en refusant de questionner des structures sociales ou économiques, Florian Guillemin limite sa chaîne au rang de simple émission récréative, confortant finalement malgré lui cette image faussée de l'Histoire comme n'étant en fin de compte qu'une activité mineure parce que simplement distractive.


Malgré tout je n’en veux pas trop à Florian Guillemin.
J’ai envie de dire « il ne pouvait pas savoir. »
D’un autre côté le problème est aussi là. C’est dommage qu’un vulgarisateur se retrouve soudainement dans une position où « il ne peut pas savoir ».
Car pour savoir il aurait fallu être savant au sens scientifique du terme et non simple « sachant » au sens réducteur d'accumulateur de connaissances.
Et c'est clairement cette subtile distinction qui fait que Questions d’Histoire reste une très bonne chaine de vulgarisation mais tout en peinant à devenir vraiment une bonne chaine d'Histoire...
...Une chaine riche en connaissances à défaut d'être riche en savoirs.


Mais bon, en cette période troublée où même les connaissances et savoirs élémentaires peuvent être remis en cause, on ne se plaindra pas que pour une fois on sache vulgariser sans tromper.
C'est au moins une première pierre saine de posée, loin de toutes les fioritures bavardes et contreproductives des egoconferenciers.

Créée

le 30 juil. 2021

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