Quoi vous n'en avez jamais entendu parler ?

Malgré tous les mystères de son intrigue ou liés aux complexes personnalités de ses protagonistes, le plus grand mystère de Rectify est que pas grand monde ne semble avoir entendu parler de cette série, alors qu'elle mériterait de figurer régulièrement dans les listes des meilleures de tous les temps. Elle n'a à la fois rien à envier aux meilleures séries policières de longue haleine dans la manière dont se dévoile peu à peu son mystère principal, à des œuvres comme Six Feet Under dans le registre chronique familiale douce amère, et à celles de David Simon dans l'évocation d'un cadre social (ici celui des petites villes de l'Amérique profonde, mais sans trop tomber dans la caricature des "white trash" ou les excès de misérabilisme auxquelles les tentatives des élites côtières américaines de s'intéresser au sujet ont pu nous habituer), et des faces sombres de la société américaine. Le tout avec en plus un cœur qui lui est propre, une véritable exploration de l'âme de son protagoniste principal, servant une réflexion universelle sur la difficulté à ne pas rester prisonnier de son passé (et non seulement du regard des autres mais du sien même qui en découle).

Alors que le sujet (la libération d'un ex condamné à mort) aurait facilement pu donner une lourde série pamphlet, sur la peine de mort ou la difficulté des "bonnes gens" à accepter que la justice s'avoue faillible ; ou son affaire une série-mystère policier entièrement axée sur la découverte de la vérité et les doutes que le spectateur lui même est amené à avoir sur son innocence, on se retrouve en effet très vite (si ces autres aspects y demeurent aussi) devant un propos beaucoup plus original, profond et intimiste.

Où la grande question devient comment l'ex-condamné, après des années dans le couloir de la mort, toujours menacé d'y retourner au caprice de la justice, et n'étant même pas totalement certain d'être innocent, peut parvenir non seulement à accepter ce qui lui est arrivé mais à s'accepter lui-même, et en particulier le lui-même que cette expérience a construit. Et comment ses proches (sa sœur en particulier), après des années à ne vivre que pour se battre pour sa libération, peuvent parvenir à vivre le vide découlant de la réalisation de cet objectif, et supporter l'écart entre l'homme qu'ils ont connu et celui qui leur revient. Ou encore comment la famille peut elle survivre au fait que tout le monde n'a pas la même certitude sur son innocence (et que pour son demi-frère, qui avait été amené à le remplacer, dans l'entreprise familiale et comme homme de la famille après le père, son retour sonne comme une menace existentielle, faisant peu à peu exploser l'image de gendre idéal qu'il s'était construite).

Et le tout, malgré ce thème très sombre, dans une série qui n'oublie pas de respirer, en nous offrant pas mal de pittoresque sur le milieu dont elle parle (sur le mouvement évangéliste par exemple dont la femme du demi-frère est une fervente adepte, ou l'autre face des habitants de la petite ville, les fêtards invétérés) et quelques moments carrément amusants quand quasiment tous les personnages en viennent à contredire l'impression d'eux mêmes qu'ils donnaient au départ, et souvent se contredire eux-mêmes à quelques scènes d'écart (mais sans que ça apparaisse jamais gratuit, simplement aucune persona ne survit au bouleversement d'un retour que la plupart espéraient, mais auquel ils n'ont que plus de difficultés à se faire).

Toujours est il que cette série est une claque d'intelligence à de nombreux niveaux, au point que ce que je vais avoir le plus de mal à justifier est de ne lui accorder qu'un 8. Je dirais quand même que la partie mystère policier est un peu son parent faible, avec une histoire, et des motivations de personnages, et des révélations sur la victime, un peu trop tarabiscotées pour ne pas friser la rupture de suspension d'incrédulité. Et que le soin mis à nous montrer l'évolution de tout l'entourage du personnage principal ne va pas sans quelques impressions de longueurs (si au final aucune scène n'apparait totalement superflue). Enfin le plus poignant, les flashbacks de la période où le protagoniste se trouve dans le couloir de la mort, a peut être le tort d'être un peu trop démonstratif.