L’anti-Friends

Il y a Jerry, l'humoriste sarcastique, égoïste et phobique, Elaine, l'éditrice insensible, roublarde et teigneuse, George le névrosé frustré, colérique et lâche, et Kramer (Cosmo de son petit nom), le grand dadet, gaffeur, oisif et gratiné. Ce quatuor d'amis est au centre de cette série culte créée par l'humoriste Jerry Seinfeld et le producteur George Shapiro (le découvreur d’Andy Kaufman), et dont chaque épisode est construit sur un MacGuffin et l'effet boule de neige qui en résulte. Gaffes, quiproquos, causalités catastrophiques et moments délirants s'enchainent sans discontinuer tout au long de ces neuf saisons cultissimes parmi lesquelles nos héros mettront à l'épreuve tout bon sens et croiseront une tripotée de personnages bien syphonnés. De Jerry qui n'ose plus embrasser sa petite amie parce que la brosse à dents de celle-ci est tombée dans les toilettes, à George qui, en pleine fête pour enfants, bouscule tout le monde, parents et gamins, pour se sauver le premier d'un début d'incendie, en passant par Elaine qui ne peut pas voir Le Patient anglais sans piquer une crise de nerfs parce que c'est trop loooong, ou encore Kramer qui, pour passer le temps, fait à peu près toutes les conneries imaginables, nos héros n'arrêteront pas d'accumuler les désastres jusqu'à finir leurs aventures derrière les barreaux pour moqueries, non assistance à personne en danger et outrage aux bonnes moeurs. Et ce ne sont ni Newman, le voisin machiavélique, ennemi juré de Jerry, ni Monsieur Peterman, le patron mythomane d'Elaine, ni même les parents de George, couple colérique, incapables de communiquer sans s’engueuler, qui instilleront un semblant de raison et de normalité à la série. Une série où l'on trouve aussi bon nombre de têtes connues, le plus souvent, avant même qu'elles soient connues : Teri Hatcher, Bryan Cranston, Bob Odenkirk, Courtney Cox, Michael Chiklis, Stephen McHatty ou encore James Spader.

Produite et diffusée de 90 à 98, Seinfeld s'imposait comme une alternative irrévérencieuse, corrosive et burlesque à la plus sage et politiquement correcte Friends, autre sitcom culte des années 90, débutée quatre ans après le début de Seinfeld. C'est d'ailleurs marrant de voir que la seconde s'inspirera souvent des gags de la première mais en jouant sur un ton plus léger.

Dans Seinfeld, il s'agit aussi d'une bande d'amis vivant à New York. Mais Jerry, Elaine, George et Kramer n'ont rien, mais alors absolument rien, des amis que l'on voudrait avoir, contrairement aux héros plus jeunes, sympas et fringuants de Friends : égoïstes, jaloux, asociaux et manquant souvent de bon sens, ils sont plus proches d'un Charlie Harper que d'un Chandler Bing. Et c'est surtout pour ça qu'ils sont si drôles. On se marre à chaque entrée en scène de Kramer, à chaque crise de nerfs de George, à chaque déconvenue sentimentale d'Elaine et à chaque vanne bien placée de Jerry. On en veut encore et on en redemande tant la sitcom regorge d'idées hilarantes et de scènes cultes (en vrac : la série dans la série, le resto chinois, la fille aux mains d'homme, la brosse à dents, le cuistot nazi fana de l'abus d’autorité, le parking sous-terrain, la place handicapée, le tabassage de Kramer par des gosses, la poursuite en voiturette de personnes âgées, la danse d'Elaine, le rencard avec Marisa Tomei, le jaccuzzi en apart, la calzone, la vanne des crevettes, la puanteur dans la voiture, le road trip avec le concessionnaire auto, le mécano fou, le scénariste psychopathe, l'enfant bulle...).

Et c'est sans lassitude mais plutôt par habitude, voire addiction, qu'au terme de ces neuf saisons, on se remet le premier épisode, faute de mieux, pour se remater à nouveau et avec plaisir toute la série. Certainement la sitcom la plus drôle, la plus irrévérencieuse et la plus cynique qu'Hollywood ait jamais osé produire.