On apprenait fin 2024 via Le Monde que l'une des usines sous traitantes d'Apple en Inde refusait les femmes mariées comme employées. En 2025 on retrouvait Tim Cook à l'investiture de Trump et tout récemment le monde de la tech a le regard tourné vers le prochain Siri dopé à l'IA. Je remettrais tout ça en contexte mais comme ça au moins ceux qui ont la flemme de lire ou sont un peu à droite peuvent arrêter là.
Tout avait déjà été bien dit sur Severance en 2022, un 9 et plein de top 1 pour ma part. Coup de cœur dans une décennie où le monde des séries tirait bien la gueule, ne proposant plus rien. En fait Severance est pour moi un peu plus qu'une série que j'adore. C'est un game changer. A l'époque je viens tout juste de rentrer dans une boîte de comm, format familial mais avec tout de même un patriarche et une matriarche qui dirigent d'une main de fer une dizaine d'employés. Je le voyais très bien avant le visionnage des 9 épisodes mais Ben Stiller m'a ouvert les yeux (aurais-je un jour pensé écrire ça ?), mon travail était stupide. Ça peut paraître terriblement naïf mais Severance m'a en partie aidé à quitter mon taf et chercher une herbe plus verte ailleurs. J'imagine que son Walter Mitty a fait le même effet sur des quarantenaires qui ont tout plaqué pour aller en Islande et que plein d'autres œuvres ont su se révéler inspirantes parce qu'elles sont arrivées au bon moment dans la vie de personnes qui étaient réceptives. La dimension objective d'un produit culturel même sur un site comme Senscritique a son importance.
Ici, Severance a fait ce que peu d'œuvres fictionnelles osaient alors, contrairement à nombres de bouquins de socio, nous parler du monde du travail. En y intégrant juste ce qu'il fallait de science-fiction, en mâtinant le tout d'une esthétique old school et avec un lore absurde mais qui n'en dit pas trop, l'opération était assez formidable car elle touchait le quotidien de beaucoup et s'offrait comme une magnifique métaphore du monde moderne. Pourquoi tout les soirs en arrivant épuisé (psychologiquement surtout, physiquement un petit peu) chez moi je me promettais de quitter mon travail insupportable alors que tout les matins j'oubliais tout mes rêves, mes aspirations et me concentrait pour donner le meilleur de moi-même et ramener un peu d'argent à la maison ? Au-delà de cette pirouette qui définit toute la série, d'autres problématiques étaient soulevées comme la hiérarchie verticale où la méchanceté ruisselle et finit toujours par retomber sur le simple employé mais aussi l'ultra libéralisme qui nous incite autant à être toujours plus performant qu'on se doit de s'amuser le plus possible dans notre vie.
Severance est à mon sens une des rares mini séries modernes qui touchait l'excellence. Et vous voyez donc tout le problème. Mini série.
Je n'ai pas plus que ça creusé le sujet et il est de toute façon dur dans ce genre de cas de savoir qui croire surtout vu l'argent en jeu mais ce que l'on sait du développement de la saison 2 est qu'il était chaotique. Un scénariste rappelé en urgence, un autre qui ne voulait pas poursuivre l'histoire, un tournage qui vire au vinaigre. On pourra supputer tout ce que l'on veut et à l'image d'un Squid Game 2 dont je n'ai pas la force d'écrire de critique, la raison d'être d'une suite, peu importe qui l'avait souhaité se comprend aisément par la simple motivation de l'argent. Et les créatures lovecraftiennes qui brassent les billets ne sont plus de misérables petites chaînes télé mais bien des compagnies de la Silicon Valley, préférant le mot Contenu à Film ou Série. Du contenu qui doit toujours être attractif, conséquent et arrangeant pour toute les audiences. On pense en algorithmes, taux de rebond et buzz plus qu'en audience. Un enfer se détruit, un autre se crée.
On ne pourra alors qu'applaudir Michaela Coel une des rares artistes ayant revendiqué haut et fort avoir tenu bon face aux sirènes de Netflix pour réaliser I May Destroy You. Car le gain aurait été considérable, la liberté d'écriture un peu moins. Et pire que des ABC ou NBC du vieux monde, un Netflix peu s'il le souhaite annuler votre série sans aucun post-it annonciateur. Se gargarisant alors de faire revenir ses contenus avec moult annonces si le public l'avait demandé à corps et à cris (coucou Sense 8). Ce n'est pas une révolution mais une continuité d'un marché de l'art télévisuel qui s'enfonce toujours plus dans la complaisance du tout public et la désacralisation de l'art puisqu'on le rappelle Netflix, encore lui, a pour volonté de créer du contenu qui puisse être mis en fond en même temps que l'on fait sa vaisselle. On gardera bien deux trois œuvres de réalisateurices connu•es pour aller masser les chevilles du comité de sélection des César ou se faire bien voir dans un top quelconque.
Et donc il est important là le contexte politique et économique. Car si on ne peut pas prétendre que la liberté était totale sur le petit écran, il serait bien compliqué d'en avoir plus sur tablette ou smartphone. Si Netflix autorise l'auto critique ce sera de manière purement sarcastique avec un épisode interactif de Black Mirror, série qu'elle a totalement vidé jusqu'à la moelle, en en faisant un pur objet edgy, qui se regarde le nombril ("méta") et prétend réfléchir sur le monde tout en se retrouvant dans le même catalogue que de la télé-réalité bas du front, des films d'actions de seconde zone et Squid Game NOM DE DIEU VRAIMENT POUR L’ARGENT ON SERAIT PRÊT A TUER TELLEMENT DE GENS VAS-Y ON VA FAIRE UNE ADAPTATION SUR LES CHAMPS ELYSEES LOL faut vraiment que je fasse une critique un jour. Pour Amazon et Apple, pour ne citer qu'eux, le streaming n'est même pas le cœur d'activité mais juste la dernière corde à leurs arcs, les problèmes intrinsèques de ces marques rendent donc encore plus difficiles la capacité qu'ont les auteurices à pouvoir être de véritables poils à gratter et de dénoncer de profondes injustices. Severance de par son subtil postulat SF aurait pu être de cette trempe.
Car oui, de prime abord elle nous parle à nous. La frange CSP pas +, qui aime moyennement son taf et donnerait potentiellement un bras pour juste vivre une vie de loisirs, tout en gagnant sa croute. Ce monde occidental qui peut maintenant payer quelqu'un pour aller en manif à sa place, qui fait pédaler un livreur précaire en pleine pluie parce que le Monoprix de la rue d'à côté est un peu loin et qu'on a oublié le sucre. Ce monde capitaliste -parce que ça y est j'ai enfin dit le gros mot- qui ne peut à aucun moment penser une société sans travail mais doit bien reconnaître que celui-ci est de plus en plus mal vu par les jeunes générations. C'est l'uchronie de la COGIP qu'adore tant Bolchegeek mais c'est aussi celui qui met les auteurs de développement personnel en top des ventes de livres. On ne doit plus seulement avoir le meilleur smartphone, la dernière console de jeu ou faire les vacances les plus incroyables, on doit être la meilleure version de soi-même. Notre montre connectée nous renseigne sur notre nombre de pas, on a une application qui nous dit si le sommeil de lundi dernier était bon et on pense bien à scanner tout les produits achetés pour faire ce petit dahl de lentilles. Mais le développement personnel a tout à jouer dans le monde du travail. Car le management doit se réinventer. Ça passe par un novlangue où nous somme toustes des collaborateurices, les n+1 sont bienveillants et on oubliera vite l'ironie du terme ressources humaines. Pourtant c'est toujours ce que l'on est, bien plus qu'avant, un peu moins que demain, une ligne dans un tableau Excel, qui aura une prime en fonction de ses performances et qui au moindre arrêt maladie peut être perçue comme un handicap.
Quand est-ce qu'il va parler de Severance bon dieu de merde ?
Alors moi je veux bien écouter Kyan Khojandi euh pardon Macron et aller chercher un travail en traversant la rue mais on le sait, de moins en moins de gens s'épanouissent au boulot. Non pas que nos ancêtres adoraient faire les trois 8 mais bon gré mal gré, il y avait une fatalité toute faîte quand nous, malheureux•ses que nous sommes lisons, regardons et écoutons même des podcasts qui nous disent de changer de travail à la moindre contrariété, de faire une année sabbatique et ô malheur, d'aller dans l'auto-entreprenariat. Notre quête du job parfait devient désabusée, ironique. Car à l'image de tout les travers de la société, non content•es d'être insatisfait•es de nos emplois, on en rigole (t'as vu mon t-shirt "j'aime pas le lundi" hihihi pète moi le crâne s'il te plaît), on fait fonctionner tout un système autour (le tourisme qui vous rappelle dans le métro que votre vie est merdique et que vous avez besoin d'aller aux Baléares) et on finit même par créer de l'art avec ça. Moi le premier je me suis enfilé l’entièreté de The Office avant de réaliser que j'avais potentiellement une situation professionnelle moins enviable que Pam, Jim et Kévin parce que je n'avais même pas les moments drôles qui ponctuent mes 35 heures quotidiennes. Alors Severance intervient comme une douche froide, en nous disant que le job parfait n'existe pas et que tant qu'à faire autant ne même plus se souvenir que l'on travaille. Une ultime fuite en avant où il n'y a pas besoin de voir de psy puisqu'on ne sait même plus qu'on est malheureu•ses.
Mais crotte de bique cette saison 2 ruine absolument tout les efforts. Déjà de par sa simple existence car que pouvait-elle bien nous dire qui n'ai pas déjà été dit ? J'avais pour ma part la crainte d'un effet Squid Game (encore)/Hunger Games avec un retour aux sources mais cette fois-ci en connaissant les tenants et aboutissants pour ensuite mener à une éventuelle saison 3 sur un air de révolution (de plus grande ampleur que celle de la saison 1, où il faudrait réellement convaincre, épisode par épisode tout les départements de se soulever). Pourquoi pas un contre pied total à la Good Place où toute nos attentes seraient déjouées pour partir sur totalement autre chose ?
Il y avait beaucoup à prédire, à fantasmer sur un retour après plusieurs années. Parce que finalement la série pouvait aller plus loin dans la noirceur. Parce que nos 4 héro•ïnes emblématiques n'en étaient finalement pas. Quatre lâches qui décident de créer un alter égo d'elleux qui ne verra que des bureaux tout le temps. Une saison 2 qui aurait pu raconter comment les jeux de chaises musicales au sein de la direction recréaient toujours les mêmes vices, comment toute résistance était inutile.
Mais pire problème que la saison 2, c'est bien la fin de la saison 1.
Severance était pour moi proche de l'excellence, axant son propos sur l'aliénation du travail, sur les dérives du libéralisme et en occultant beaucoup de poncifs des séries US. The We We Are, ultime épisode laissait entrevoir un potentiel échappatoire, une découverte d'un monde extérieur pour des innies n'ayant connu que mur blanc et moquette verte. C'était sans compter les dernières minutes qui révèlent un plot twist que peu d'éléments laissaient prévoir. Elle est en vie.
Alors voilà, la saison 2 se trouve un synopsis tout trouvé, Mark, doit retrouver sa femme, prisonnière des bureaux de la Cogip. Et je vais tout de suite le préciser je n'ai rien contre l'amour dans l'art. J'ai pleuré quand Everything Everywhere All At Once nous dit frontalement "IL FAUT AIMER", j'ai pleuré devant un mec qui devient pote avec une loutre et j'ai encore revu la scène de l’ascenseur de Drive récemment (ce qui fait quand même 2 refs sur 3 qui font de moi un hipster lambda). Mais Severance avait-il besoin de ça ? Une histoire d'amour il y en avait déjà une petite qui naissait et qui pouvait donner le développement qu'elle a donné dans cette saison 2. La quête, il y en avait déjà une, celle de vivre une vie d'humain libre, hors d'une entreprise qui vous manipule, vous blesse, vous torture mentalement et ne vous laisse aucun répit.
Pendant des années une unique phrase m'a hanté : "Let's burn this place to the ground". J'ai quand même développé une partie de mon esprit anarchiste et anti-capitaliste sur un John Turturro, la soixantaine passée et la cravate autour du cou qui vient de perdre l'amour de sa courte vie.
La vérité, c'est qu'assez ironiquement, j'ai probablement trouvé un travail pire que mon ancien. Toute créativité est partie, je ne comprends littéralement pas la moitié des manipulations que je fais, je maudis 90% des gens que je côtoie et je me suis déjà chopé deux tendinites. Secrètement j’espérais retrouver dans cette saison 2 un carburant à mon moteur pour reprendre mon envol. C'était sans compter que comme ma situation, Severance est devenue terriblement ironique. Déjà parce qu'il faut faire l'inventaire des scènes où l'on voit encore des employés travailler. Non pas que je me tapais le cul par terre à voir des chiffres rentrer dans des boîtes mais parce que c'est le fondement de la série. C'est même encore au cœur de beaucoup de discussions de la direction et c'est normal. J'en veux pour preuve un épisode lunaire où Milchick dit à Miss Huang de bien surveiller l'activité des raffineureuses et que le reste de l'épisode tout le monde est en vadrouille dans les locaux de Lumon sans aucune conséquence. En vérité la série se retrouve le cul entre deux chaises car son postulat de base dévie pas mal pour passer d'une envie de libération à une volonté de rester dans l'entreprise pour sauver la princesse en détresse. C'est d'abord assez habile avec le premier épisode où on laisse croire qu'une révolution a eu lieu, que nos 4 personnages auront le droit à de meilleures conditions de vies et qu'il n'y a donc pas de raison de partir, une aubaine puisqu'il y a du pain sur la planche. Le problème c'est que cette opération de sauvetage se dilue vite dans des sous intrigues voir non intrigues (t'inquiètes pas j'arrive mon épisode 8 tu vas avoir ton tarif) et que je sens dans tout mes globules rouges que Ben Stiller et sa bande sont en sous régime constant pour garder des munitions pour le dernier épisode. Certes pourquoi pas puisque finalement la saison 1 se gardait bien la réunion inner inter pour le final mais encore une fois, la recherche de Gemma se perd en cours de route dans des épisodes de purs exercices de styles narratifs et/ou visuels, un besoin de garder l'histoire principale sur le travail et chié d'intrigues amoureuses.
Tout le monde y a le droit cette fois-ci et la dissociation est l'occasion parfaite de décliner les concepts éculés de triangles amoureux, quiproquo, tromperies et autres joyeusetés. Outre le twist improbable de Mark qui couche avec Helly/Helena (ramenant du sexe dans une série où je ne voyais pas trop l’intérêt d'en mettre) j'avais bien aimé le début de traitement de Dylan dont l'exter est peut-être le plus nuancé. C'est juste un peu faiblard puisque forcement il n'est pas dans le triangle amoureux principal et qu'on restera avec un personnage qui est juste jaloux de soi-même plutôt que de se remettre en question. En soi la question de l'amour peut être intéressante dans les multiples personnalités mais renvoie aussi beaucoup au fait que les inners sont d'incroyables personnes comparées à leur exter. Et pour autant que j'aurais aimé que soit abordé la cruauté des exter, il y a tout de même bien là un message assez positif sur le travail et sur le fait que notre meilleure version de nous-même est peut-être celle dévouée corps et âme à son entreprise, non pervertie par les tentations du dehors, toujours propre sur soi. Là où la saison 1 laissait entendre que par de subtiles manipulations managériales, les innies n'étaient pas tendre entre elleux, dans l'espoir d'une gratification, de se voir apprécié•e de la direction ou de simplement se donner une raison de vivre (si je me rebelle, qu'ai-je donc fait pendant tout ce temps à rester un bon toutou ?). On avait presque un début de série où à part Helly qui sert de repère pour lea spectateurice, tout le monde était matrixé par l'entreprise et qu'il y avait peu d'espoir de changer le statut quo. Ça na faisait pourtant pas d'un Irving un mauvais bougre, juste un mec qui n'a vécu que par son job et était devenu très servile, voyant alors d'un mauvais œil une nana fraichement arrivée qui réfléchit un peu trop.
Le dernier épisode de la saison 2 est celui qui va le plus loin dans les réflexions que j'ai quand même attendu pendant 9 semaines avec deux Mark qui se posent enfin les vrais questions. Parce que oui la quête de Gemma est purement égoïste, tout comme l'est l'amour d'Helly/Helena, parce que oui nous sommes porté•es par des vents contraires et animé•es de conflits intérieurs. Seulement là aussi je trouve que la culpabilité des exters est assez vite éludé. Ça passe par un timide "désolé" en début de vidéo sur le caméscope et on ne se pose jamais vraiment la question de comment des gens peuvent accepter d'infliger des journées de travail discontinues à une version d'elleux-mêmes. En fait si mais c'est souvent par le prisme d'un malheur personnel qui devrait être oublié. On revient alors à des problématiques que j'avais trouvé dans The Substance (qui traitait encore moins bien la dissociation puisqu'elle est même physique) avec des personnes qui cèdent à la séparation de leur propre personne sans pour autant que leur problèmes soient réglés. The Substance se ratait carrément dessus puisque Demi Moore vivait par procuration... d'une autre actrice qui lui volait sa santé et son argent quand au moins Severance ne diffère pas trop les inners et exters. Cependant la vie de Mark ou Irving reste tout aussi misérable une fois rentré à 18h et on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a surtout une vraie volonté de vouloir gagner de l'argent à moindre peine, ce qu'un Black Mirror a sa grande époque aurait pu exploiter en un épisode d'une heure. De toute façon d'argent il est très peu question puisque les innies ne bénéficient pas des retombées économiques de leur propre labeur et que les exters ne savent pas quel salaire méritent un travail dont ils ignorent tout. La encore il y a matière à beaucoup d'interrogations sur la vraie valeur du travail et comment le monde managériale vous fait oublier votre condition misérable en vous offrant des bonbons ou des nouveaux stylos.
Et Severance ne creusera pas du tout son fond politique. Lumon existe, il y a eu des protestations mais l'entreprise vit très bien, sans le moindre contrôle (c'aurait été drôle de voir la direction devoir faire bonne figure devant un employé administratif) et visiblement seul sur ce créneau (imaginez une concurrence avec d'autres boîtes pour faire toujours mieux dans la dissociation). Certes la technologie est surréaliste mais l'horreur est-elle si loin d'un Amazon qui avait breveté une cage pour que ses employés perdent le moins de temps possible en pause et détour ? La série apparaît dans les années Biden mais est-il si déconnant d'imaginer des États-Unis baignant dans une technocratie qui ne demanderait aucun compte à une entreprise totalement opaque sur ses activités et ce qui arrive à ses employé•es dans son enceinte ?
De fait en une saison, Severance pouvait soulever des questionnements sur le fonctionnement de son univers mais un relatif voile d'incrédulité subsistait. La s2 se veut futée et développe son lore. Un lore que je dois admettre dans la s1 ne m'avait laissé que peu de trace car le propos de la série fonctionne très bien sans la surcouche de mysticisme.
Les nombres dans les boîtes ? Une expérience psychologique ou une usine d'armement. Tout pouvait marcher et c'était l'absurdité de la tâche plus que sa réelle application qui comptait.
Le personnage de Cobel ? Un pion qui se pensait reine comme tout les autres.
Sauf que dans un cas la série trouve une explication très alambiquée (et qui rajoute encore de la science-fiction, on peut donc classer des émotions, mais alors que faisaient les 3 autres persos ? Du coup Mark était en cdd ?) dans l'autre on a le droit à un épisode hors série qui en plus d'être long, tape-à-l'œil et chiant à en mourir s'intéresse à un des personnages les moins intéressants. Et honnêtement assez mal joué, parce que je n'ai rien contre Patricia Arquette mais son personnage est monolithique au possible et devient tellement cliché dans ses expressions faciales et sa grosse voix, retirant alors toute l'humanité que la back story tente d'insuffler (avec quand même son pote qui l'attend 5h dans une voiture dans le froid pendant qu'elle dort dans un lit de macchabée).
La farce finit par sauter au visage. A commencer par cette esthétique des années 70. En une saison je n'avais pas le temps de me demander pourquoi une entreprise avec une si grande technologie et autant de pognon tenait tant à garder des écrans cathodiques et des vêtements bien coupés. La vérité c'est que ça ne fait plaisir qu'à nous, spectateurices lassé•es des startup futuristes, des méchants high techs et finalement lassé•es de la réalité, bloqué•es dans un présent qui n'avance jamais mais qui rêverait de réaliser ses fantasmes virtuels. C'est ce qui a participé au succès de la série et c'est indéniable que c'est réussi mais ça ne fait plus du tout sens, justement parce que la saison 2 cherche à faire sens. Plus on découvre le fonctionnement de l'entreprise plus on se demande comment un architecte a pu valider autant de couloirs ("tu comprends pas c'est pour perdre l'employé, ça représente son cerveau, ça évite les communications entre les secteurs"), pourquoi il fallait dissocier toute une fanfare et même pourquoi des employés du dehors viennent fringués dans un style qui sied parfaitement à un univers rétro. Mais voilà, ça rend bien, on a notre backroom en 4K et cette fois-ci les monstres ont des cravates. Le propos aurait pu être le même avec n'importe quelle entreprise moderne mais qui aurait donné une chance à cette série ?
Il ne faut pas se mentir, Severance n'a plus rien de l'ovni qu'il a prétendu être, d'ailleurs est-ce qu'une série Apple pourrait prétendre être un ovni sériel ? Severance est devenu un produit de pop culture, avec le bouquin de Ricken Hale dispo sur Amazon et des playlists officielles pour travailler chill pendant 8h sur Youtube. Et j'aimerais qu'on prenne un instant pour saisir la violence de cette ironie. Car Severance n'a pas volonté à bruler tout l'open space, il doit le sacraliser, le rendre cool. On réitérera alors la scène musicale de la saison 1 (le gros malaise fantastique entre Milchick et Dylan en moins car ici notre couple star attend passivement pour se barrer alors qu'on leur avait bien dit de faire vite, mais ce serait passer la scène de l'automate et la danse d'un Tramell Tillman qui se régale). On tentera de trouver une nouvelle accroche visuel sympa avec des ballons bleus pour faire de beaux posters et un beau générique. Oui la saison 1 avait le pansement mais il avait un peu plus d'importance et elle pouvait de toute façon jouer sur sa nouveauté. C'est quand même un comble que dans la communication visuelle il n'y ai toujours que Mark là où déjà Helly était la vraie héroïne de la s1.
Et surtout on fera une saison 3. La révolution au sein de Lumon, je finis par m'en fiche comme de l'an 40 car il est maintenant acquis que la série est devenue la poule aux œufs d'or d'un service de streaming qui doit compter au doigt mouillé 5 succès (dont certains achevés) et qu'elle continuera autant que possible. Le début de saison laissait présager une nouvelle équipe et une redistribution des cartes. L’entreprise qui vous change de service ou de collègues sans vous demander votre avis, la perte de repère, le besoin de mobiliser tout les individus à une même cause bref syndicaliser-vous quoi. Sauf que c'est un trope éculé de séries US, le postulat alléchant qui ne dure qu'un épisode, c'est Doctor House qui se retrouve en hopital psy, c'est Jake Peralta qui va en prison. Et ensuite le format feuilletonnant qui revient au galop. Brosser le public dans le sens du poil car on est pas dans une anthologie non plus hein (et Black Mirror va pour la première fois faire revenir le casting d'un épisode).
Severance ne peut se séparer des 4 acteurices, seul vraie bouée de repère dans un monde aseptisé, comme il ne peut totalement les blâmer pour leur errances. Il ne peut pas non plus totalement blâmer un néo capitalisme, il crée donc un chef d'entreprise que Bioshock n'aurait pas renié, alors que Musk ou Besos nous tendaient les bras. La réalité est devenue un formidable roman anxiogène mais les séries ont pourtant encore la nécessité de créer des méchants fantasques qui ne pourraient pas être confondus avec des psychopathes objectivistes.
La série ne s'interrogera que sur le dernier épisode de la vraie mortalité de ses personnages, qui enfin se disent que démissionner c'est mourir (alors que dans la s1 le sacrifice ne se questionnait même pas, travailler à Lumon n'était plus supportable et de toute façon une autre version de nous existera toujours). Mais ça aussi c'est violent comme message. Et pas parce qu'on nous dépeint un contexte économique rude (encore une fois y a que Lumon qui fait ça donc tu peux très bien aller bosser ailleurs si tu as une once d'âme) mais parce qu'on nous dit que le travail crée une version de nous même qui mérite de vivre. Que le taf le plus con du monde nous permet tout de même de rencontrer de chouettes personnes, voir même l'amour et que les vrais méchants sont ceux qui mettent des coups de poings à leurs employés (parce qu'il est gros et méchant j'imagine) mais pas du tout une société qui laisserait penser que se rendre esclave et tenter de l'oublier est acceptable. Parce que Mark finalement, il est quand même plus heureux avec sa petite roulette dans la main à ne jamais voir de fenêtre, de manger de vrais plats, de vivre des expériences plutôt que d'essayer de faire le deuil de sa femme. Et je m'en fout qu'il avoue en toute fin de saison qu'il est alcoolique qu'il a perdu son taf de prof, encore une fois il ne devient pas amnésique, il ne fait pas une Eternal Sunshine of the Spotless Mind, il se rend juste la vie plus supportable en ne travaillant plus. Je ne voulais pas un flash back sur sa vie avec sa femme car je peux très bien l'imaginer et ça sert juste à le rendre encore plus appréciable, je voulais voir le vrai point de bascule où tout ces gens décident, sous contrat, de perdre 8h de leur vie par jour, de revenir avec des blessures et de ne jamais, JAMAIS se renseigner un minimum sur l'entreprise qui les embauche (parce que me faîtes pas croire qu'il n'y a aucune photo publique de la fille du patron ou qu'elle a même dû faire des prises de paroles dans des débats médiatiques).
Il n'y a pas de deuil car tout le monde finit par revenir à Lumon, et ce n'est pas un message fataliste sur les entreprises qui gagnent toujours, c'est un signal rassurant envoyés aux amateurices de "contenus" qui ne veulent pas perdre leur personnages préféré•es. Et parce qu'ironiquement là où le final de cette saison 2 sera le plus débattu, ce sera probablement à la machine à café avant de reprendre des bullshit jobs qui n'ont aucune volonté de rendre le monde meilleur ou nos sociétés plus justes et humaines.
Pourquoi vouloir quitter son travail si on y trouve l'amour ? Alors on oublie tout ses tracas du dehors, on enferme son deuil derrière une porte et on cours au ralenti, l'image freeze, fondu au rouge, hommage à Paul Bass et même petit grain sur l'image parce que souvenez-vous que le siècle dernier était bien moins angoissant, on aimait son travail, on pouvait fumer partout comme dans un Mad Men (d'ailleurs vous avez vu qu'on pouvait acheter les tenues officielles sur le web ?) et les femmes mettaient de jolies jupes. Tout va bien, la chèvre est sauvée, Chistopher Walken peut se payer du vin hors de prix grâce à son inner (mais il dit qu'il voulait oublier ses pêchés en allant travailler...) et vous n'avez pas payé votre abonnement à Apple TV+ pour rien.
Il faut rendre à César ce qui appartient à César, Tim Hook même s'il est allé à l'investiture de l'ennemi public numéro 1 était le seul à faire la mou. Il est aussi l'un des rares à ne pas avoir ENCORE appliqué de retour en arrière sur les chartes de diversité. Mais surtout il a du se plier aux politiques isolationnistes de l'idiocrate et investir massivement aux États-Unis. Les chiffres restent bien flous et on imagine vite le peuple américain découvrir que travailler à l'usine pour une poignée de dollars ce n'était pas le rêve qu'on leur avait promis. Car jusqu'à là le capitalisme nous proposait une dissociation. D'un côté on vivait dans de supers open spaces, à travailler dans le tertiaire, les marques privilégiant alors le concept au produit. Des bureaux géants remplis de commerciales, d'office managers, d'ux designers qui pensaient l'image de marque. Et de l'autre côté de la Terre, des journées à 17h de travail, dans des pays qui défiscalisaient massivement l'arrivée de nouvelles usines, bâillonnaient les syndicats et jetant les droits de l'Homme à la cuvette. Une misère qu'on connaissaient mais qu'on pouvait décider de ne pas voir car on séparait le produit de la marque, comme on sépare l'animal de la viande. Une violence de tout les jours qui ne passaient pas les portiques de sécurité de la Californie.
Qu'on se rassure c'est parti pour durer, l'AFP titrait ainsi : "Le groupe industriel indien Tata a annoncé jeudi la reprise partielle de la production dans son usine du sud du pays qui fabrique des composants pour les téléphones portables d’Apple, interrompue samedi par un incendie."
Let's burn this place to the ground qu'il disait.