Sherlock
8.1
Sherlock

Série BBC One (2010)

Brillant.

Sherlock est une série au format atypique.
90 minutes ce n'est pas si fréquent, même si le choix est loin d'être inédit dans le petit monde des enquêteurs.
Ainsi Maigret, Poirot, se verront attribuer des durées similaires, avec des effets comparables.
Le point commun, sans pour autant mettre par exemple Maigret au niveau de Holmes, est un intellect hors-norme, un schéma de pensée qui diffère des autres mortels.
Or ceci, on peut difficilement le montrer en 50 minutes (ne parlons même pas de 20).
Le piège, pour compenser ce manque de temps, serait soit d'opter pour des intrigues simplistes, bien dérisoires pour ce type de génies, ou au contraire de sombrer dans une complexité extrême, auquel cas non seulement le spectateur ne pourrait jamais, pas même a posteriori, retrouver les éléments qui ont conduit notre homme sur la piste de la vérité, mais aussi -par conséquent- produirait un désagréable effet Deus ex machina, où la solution serait le résultat d'un esprit si invraisemblable qu'elle ne peut qu'émaner directement du cerveau des scénaristes.
Certains Poirot ont d'ailleurs un peu ce travers.

Tout ceci pour dire que je comprends, et cautionne, parfaitement le choix effectué par les auteurs.

Ceci m'amène également à un autre aspect essentiel de la série, en lien direct avec le côté enquêtes.
La transposition dans le monde moderne présentait un écueil majeur : le risque "Google", c'est à dire que si les intrigues étaient un peu bâclées, on aurait pu penser régulièrement "bon ok mais il lui aurait suffi d'aller taper ça dans Google".
L'écriture est suffisamment bonne pour qu'on se dise régulièrement que l'éclaircissement des énigmes demande les capacités de déduction hors du commun de Sherlock, et ceci dès le premier épisode.

Hormis la durée, la série se démarque par des saisons ultra courtes de 3 épisodes.
Si on concède aisément que ça évitera un essoufflement prématuré, c'est frustrant d'une part, et d'autre part cela conduit à un découpage et un schéma quelque peu discutables.
En effet, sur les deux premières saisons, on trouve un premier et un dernier épisode axés autour de la trame principale, et très dynamiques, celui du milieu emprunte un arc narratif annexe, pour un rythme bien plus posé, d'aucuns diront mou.
Ça ne m'a pas particulièrement choqué pour la première saison, mais dans la seconde c'est flagrant, d'autant qu'ils ont choisi de s'attaquer à l'une des histoires les plus connues, le chien des Baskerville.
L'hommage aurait pu être délicieux, à l'image des clins d'oeil récurrents au chapeau emblématique de Holmes qui parsèment les épisodes, mais la mise en oeuvre est poussive et la transposition tombe dans des facilités, raccourcis et clichés (base militaire secrète avec expérimentations...).

Du coup pour revenir à cette adaptation à notre époque, elle est faite avec talent.
Exit l'époque victorienne, bienvenue au XXIème siècle, mais avec tout le decorum Holmesien intégré d'une façon ou d'une autre.
Les éléments canoniques sont là, le 221B Baker Street, Mrs Hudson, Watson, Holmes arrogant, drogué, génial...
Les enquêtes sont intéressantes, je l'ai déjà dit, la mise en scène nerveuse et moderne.
La relation crypto-gay entre les deux protagonistes principaux n'est plus très crypto, et ce côté décomplexé est à la fois frais et reposant.

À deux bémols près, le casting est splendide.
Holmes impeccable de froideur, Watson tout de dévotion et malgré tout compensant certains travers de son compagnon, Mrs Hudson dégourdie et parfois même un peu taquine, Lestrade juste ce qu'il faut de candeur et d'incompétence...
Non en ce qui me concerne le bât blesse plutôt du côté des "méchants", malheureusement.
C'est souvent un élément essentiel qui rend une série intéressante, surtout quand les antagonismes sont aussi marqués, et ici c'est l'une des faiblesses majeures.
Irene Adler est un peu âgée, relativement quelconque et par trop squelettique.
Ça encore, ça irait.
Mais surtout Moriarty, si je n'ai rien à redire sur sa psychologie et son machiavélisme, manque dramatiquement de charisme, ce qui est regrettable pour un tel génie du mal.
En plus c'est très bien de vouloir moderniser, mais si James Moriarty a une certaine crédibilité, Jim Moriarty en impose tout de suite moins. Pourquoi pas Jimmy tant qu'on y est ?
Indéniablement le choix de ces deux acteurs pèse lourdement dans le point que je retire à cette excellente série.

Enfin dernier point, pas des moindres car souvent délaissé dans les séries : la musique.
Excellente, même si on peut reprocher un peu de facilité par rapport au travail fait dans les films de Guy Ritchie, dont elle a pu s'inspirer, cela reste un atout pour l'immersion, un thème récurrent sautillant mais pas prise de tête.
De la très très belle ouvrage.

Vous l'aurez compris, foncez sans hésiter sur Sherlock, l'une des meilleures surprises de ces dernières années pour ma part.
Si vous regrettez une seule chose, ce sera probablement la rapidité avec laquelle on dévore les 6 pauvres petits épisodes disponibles pour l'instant.
SeigneurAo
9
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le 3 mai 2012

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SeigneurAo

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