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Smoke
6.3
Smoke

Série Apple TV+ (2025)

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On était en droit d’attendre beaucoup de Smoke, la nouvelle création de Dennis Lehane pour Apple TV+. Après tout, Lehane est l’auteur d’au moins deux polars de légende, qui ont donné lieu à deux grandes adaptations au cinéma – il est vrai par des réalisateurs majeurs : Mystic River et Shutter Island… Et son dernier livre, le Silence, s’est avéré remarquable. Mais il a été aussi le scénariste de ce qui reste, de l’avis de nombreux « cinéphiles », la meilleure série de la télévision moderne, The Wire. Et puis, il a réalisé de bonnes adaptations pour des séries TV d’un auteur très difficilement adaptable, Stephen King, Mr. Mercedes et The Outsider. Et enfin, pour terminer cette longue énumération qui établit le sérieux du bonhomme, il a été le showrunner pour Apple TV+ d’une véritable merveille, Black Bird (déjà avec Taron Egerton) ! Autant dire que la promesse d’un thriller centré sur le sujet des incendies criminels, pas si fréquemment traité au cinéma – mais ô combien d’actualité en cet été où la planète entière est en train de flamber – avait de quoi nous séduire.

Le pitch de Smoke n’a rien de follement original : une détective qui traverse de graves difficultés personnelles et professionnelles (Jurnee Smolett, très bien) et un enquêteur pour le moins « flamboyant » (jeu de mot pourri), spécialisé dans les incendies criminels (Taron Egerton), sont sur les traces de deux pyromanes en série. Mais très vite, grâce à un rythme mesuré (qui a indisposé nombre de téléspectateurs pressés), les premiers épisodes intriguent. L’atmosphère est sombre, les flammes sont régulièrement présentes à l’écran, comme représentation de la destruction toujours possible, et de sa fascination, et surtout l’ancrage « réaliste » se fait de manière pertinente dans un Nord-Ouest américain (pourtant fictionnel) brumeux et humide, dans une cité où tout le monde a l’air de se connaître et où le passé de chacun pèse sur la communauté : il est intéressant de noter que Lehane s’est gardé d’utiliser un ville réelle, comme Portland ou Seattle, peut-être parce que Smoke a été tourné au Canada, mais aussi parce que cela lui permet de planter le décor qui lui convient pour sa fiction. Et puis survient le twist, pas forcément difficile à anticiper, qui rend l’histoire un peu plus passionnante…

Curieusement, le rôle de Gudsen, l’enquêteur extraverti et séducteur, cachant à peine une violence intense, tenu par Taron Egerton, a été remarqué positivement par la critique US. Il nous semble au contraire qu’Egerton manque régulièrement de subtilité dans son jeu, trop appuyé, outrancier, avec ses grimaces convenues, et devient vite lassant. À ses côtés, Jurnee Smollett impressionne davantage avec le personnage de Calderone, profondément fracturé. Mais c’est surtout Ntare Guma Mbaho Mwine qui emporte le morceau. Terrifiant et bouleversant à la fois, il donne à son personnage de pyromane une dimension quasi mythologique, tout en ajoutant à la série un « commentaire social » bienvenu : c’est simple, il éclipse tout le reste du casting. A noter quand même que c’est un vrai plaisir de retrouver John Leguizamo dans un rôle secondaire complexe, chose devenue trop rare dans sa carrière récente.

Hélas, plus les épisodes avancent, plus la série se perd dans une sorte de labyrinthe psychologique, parfois à la limite du cliché. La catastrophe survient au huitième – et avant-dernier – épisode, qui marque un point de non-retour : le comportement insensé du personnage de Calderone, qui crée en effet un choc, fait basculer l’intrigue dans le grand n’importe quoi. Quant au final du dernier épisode, censé conclure avec force, il aligne au contraire une longue séquence WTF, totalement invraisemblable, au milieu d’un incendie certes spectaculaire, mais peu réaliste.

Alors oui, Smoke n’est pas sans qualités : quelques scènes brillent d’une réelle tension, l’esthétique générale est réussie, et les interprètes sauvent souvent la mise. Mais la série s’étouffe dans ses propres artifices : là où Lehane aurait pu livrer un polar enflammé et tendu, il s’égare dans les excès, dans l’esbroufe… soit une dérive scénaristique décevante de la part d’un auteur aussi chevronné…

Smoke dégage en effet beaucoup plus de fumée que de feu.

Critique écrite en 2025

https://www.benzinemag.net/2025/08/18/apple-tv-smoke-de-denis-lehane-plus-de-fumee-que-de-feu/

Eric-BBYoda
6
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le 20 août 2025

Critique lue 106 fois

Eric BBYoda

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