Soupçons
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Soupçons

Série Netflix (2004)

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Michael Peterson est un auteur vivant à Durham, Caroline du Nord, avec sa large famille recomposée. Entre le succès de ses livres semi-autobiographiques sur la guerre du Vietnam et les revenus de sa femme, occupant un poste de direction dans une grande entreprise de télécommunication, ils ont de quoi faire vivre tout ce petit monde sans problème dans une superbe villa. Les enfants, bien que provenant de trois couples différents, semblent tous heureux, élevés par des parents très ouverts d’esprit et bienveillants. Mais le 9 décembre 2001, Michael appelle le 911 à plusieurs reprises, paniqué, en état de choc, implorant qu’on lui envoie de l’aide. Il vient de trouver sa femme, Kathleen, inconsciente au pied des escaliers, dans une mare de sang. D’après son témoignage, il était resté presque deux heures au bord de la piscine à méditer après qu’elle soit partie se coucher. Elle mourra avant que les ambulances ou la police n’arrivent. Commence alors un feuilleton judiciaire dément, aux multiples rebondissements à peine croyables, parsemé de profonds questionnements sur le système judiciaire américain.


Sur notre blog, avec des images qu'elles sont belles


Jean-Xavier de Lestrade, le réalisateur français derrière cette série documentaire, dit avoir eu l’intime conviction qu’il devait filmer cette affaire après avoir interviewé l’équipe de l’accusation, qui lui semblait bien trop sûre de son coup pour une affaire aussi trouble. On pourra dire qu’il a eu du nez, mais surtout de la chance, tant le sujet s’est révélé en or. Pendant presque deux ans, lui et son équipe suivent la famille Peterson au quotidien, n’ignorant rien ni personne. Ils accumulent ainsi plus de 600 heures d’images, dont il ne gardera « que » 6 heures pour la série. Par rapport à la récente Making a Murderer, le choix est clairement fait de passer moins de temps sur le procès, aussi passionnant qu’il soit, pour embrasser une vision plus large de l’affaire. On reste encore une fois du côté de la défense, mais le regard qui est jeté sur la famille me semble aussi neutre que possible. Rien n’est filtré, je pense notamment de nombreuses blagues que l’on n’a pas l’habitude de voir dans ces situations (mention à David Rudolf, l’avocat de la défense). Lestrade est plus intéressé par ce que l’affaire révèle de la société, de la justice, par les drames personnels, que par une simple défense biaisée de l’accusé.


Certaines séquences m’ont paru être l’exemple parfait à donner à ceux qui critiquaient Gone Girl sur sa représentation soi-disant caricaturale de la presse et des médias. En voyant certains journalistes prendre parti de façon éhontée et tirer leurs propres conclusions en se basant sur des rumeurs, difficile de ne pas enrager. Certains de leurs collègues font vraiment leur travail et remettent en cause les contradictions de l’accusation comme de la défense, une nuance bienvenue. Un autre point évoqué dans la série est l’assimilation des faits par le grand public. Il a été prouvé à de nombreuses reprises que la façon dont ils nous sont présentés, avec quel degré de certitude apparent et surtout quelle interprétation, nous influence durablement et qu’il est nettement plus difficile de changer d’avis. Qui n’a jamais appris un jour qu’il avait tort sur un point depuis des années, simplement parce que cette connaissance n’avait jamais été remise en cause ? Notre société a le tort de présenter et de traiter les suspects et les accusés avec bien trop de certitude, de méfiance, chacun va livrer sa petite théorie, les journalistes vont les harceler, sans avoir vraiment conscience de détruire leur vie s’ils sont innocents. C’est pourtant ce qu’est censée garantir la présomption d’innocence, mais comme le dit Michael, il semble depuis le début être coupable avant d’être prouvé innocent.


Difficile donc de continuer sans évoquer ce que je pense de l’affaire, autant le dire tout de suite : je suis fermement convaincu que Michael Peterson est innocent. Je peux tout à fait comprendre que certains nourrissent de sérieux doutes sur Steven Avery (Making a Murderer), que l’enquête ait été une farce ou non, car il n’inspire pas forcément confiance à tout le monde. Dans le cas de Michael Peterson, j’ai été convaincu parce que le documentaire montre tous les points de vues, notamment ceux des membres de la famille qui ont fini par se retourner contre lui, et parce qu’il apparaît comme un homme profondément bon et humain sur les six heures à notre disposition. Sa famille et ses amis l’aiment (ou l’aimaient) sans réserve, tout le monde décrivait leur couple comme fusionnel, son appel au 911 est déchirant, bref il ne m’en aurait pas forcément fallu plus pour le croire. Si on y ajoute les preuves scientifiques des experts de la défense et les nombreux rebondissements qui suivent, il n’y a plus tellement de place pour le doute, à mon humble avis. Je préfère le donner, même si la série ne se limite en aucun cas à un simple suspense sur sa culpabilité, car il impacte forcément mon appréciation.


Ce qui captive dans cette série, qu’on pense le personnage innocent ou non, est encore une fois la méticuleuse démonstration que dans l’enquête et le procès, rien n’a été épargné à l’accusé pour l’envoyer en prison. Michael a un monologue où, tirant sur sa pipe, il se demande comment peuvent bien faire les pauvres pour se défendre, s’il n’y arrive pas avec un excellent avocat et de nombreux experts. Il est possible de trouver des secrets sur n’importe qui, à partir du moment où l’on se met à disséquer sa vie personnelle et intime. Une fois certaines informations divulguées au grand public, les interprétations seront légion et pourront peindre cette personne comme coupable, quoi qu’il dise. Un exemple flagrant nous vient de l’accusation, qui n’hésite pas à mettre en avant la profession de romancier de l’accusé, comme un atout pour masquer le meurtre de sa femme en accident (alors qu’il n’écrit que sur la guerre du Vietnam). Je m’étais fait la réflexion que Stephen King serait définitivement foutu si sa femme venait à mourir d’un tel accident, et qu’il se retrouvait face à une accusation qui ne recule devant aucun coup bas. Un ex-alcoolique ayant eu des accès de violence, à l’imagination aussi débordante que morbide, en couple depuis 45 ans, que de ragots peut-on imaginer ! Il serait tellement facile, comme dans la série, de citer des passages de ses livres où il expose des pensées très noires et légitimement terrifiantes en les sortant de leur contexte.


Ceci m’amène à un autre sujet excessivement passionnant et trop vite laissé de côté à mon goût dans la série diffusée par Netflix, ce sont les jurés. En France, les six jurés civils, le président de la cour d’assises et ses deux assesseurs votent à bulletin secret après délibérations, il faut au moins 6 voix sur 9 pour prendre une décision défavorable à l’accusé, sans quoi il sera acquitté (merci Wikipédia, j’avais un doute là-dessus depuis longtemps). Aux Etats-Unis, le système est très différent car, comme on peut le voir dans l’excellent 12 Hommes en colère, c’est un jury populaire de douze personne qui doit parvenir à un verdict unanime, aussi absurde que cela puisse paraître dans des affaires complexes. Cela entraîne, en cas de désaccords majeurs, des débats interminables dans lesquels certains tenteront d’imposer leurs convictions avec plus de véhémence que d’autres, où la psychologie et la dynamique de groupe pourront prendre plus d’importance que l’affaire elle-même. Certains vont craquer parce qu’impressionnables, d’autres par lassitude ou fatigue au bout de plusieurs jours, et il apparaît que c’est souvent ceux qui votent coupable qui l’emportent dans ce genre de cas. De plus, n’avoir que des civils dans le jury implique un certain manque de recul et d’expérience par rapport aux affaires sordides qui peuvent être traitées, où l’émotion et les préjugés l’emporteront trop souvent sur l’étude minutieuse des faits et des témoignages.


Les innocents envoyés en prison, les fausses accusations, la corruption, les pressions, cela existe aussi en France, je ne dis en aucun cas que notre système est parfait. Comme le démontre très bien l’avocat de la défense, le système américain est volontairement imparfait pour que des innocents ne soient pas condamnés, en théorie. Seulement il semble que les jurés prennent parfois leur rôle trop à cœur et cherchent à déterminer par eux-mêmes si la personne est coupable ou innocente, alors qu’ils ne sont pas là pour ça. Voter coupable signifie que pour chacun, en son âme et conscience, l’accusation a présenté un dossier sur lequel ne plane aucun doute raisonnable. A nouveau, le verdict non coupable indique seulement que la culpabilité n’a pas été prouvée au-delà de ce doute, pas que la personne est innocente.


Pour revenir au sujet, un aspect du procès abordé dans la série que l’on voit rarement dans la fiction est l’étude des réactions probable des jurés. Une partie de l’argent consacré au procès va à des questionnaires, des enquêtes d’opinion, des sessions avec des volontaires que l’on confronte aux pièces à conviction, aux vidéos, à l’appel au 911 et bien d’autres éléments. Un processus riche d’enseignements, qui montre bien vite à la défense ce qui pourrait se retourner contre eux, surtout sur le plan émotionnel. L’experte engagée sur ce domaine leur fera même remarquer que l’on peut apporter toutes les preuves scientifiques irréfutables du monde, si des jurés doutent, ils auront tendance à se replier sur le versant affectif, sur l’histoire tissée par le procès.


Bien que j’ai envie de vous conseiller la série et de ne rien raconter de son déroulement, je suis bien obligé de vous parler du téléfilm sorti huit ans après la série et suivant les nouveaux développements de l’affaire. Partant de là, vous vous doutez que s’il existe une suite, c’est que tout ne s’est pas déroulé comme prévu pour Michael Peterson et la défense (même si on le sent venir). Ce téléfilm reprend étrangement trop d’extraits de la série pendant une vingtaine de minutes, rendant le début assez pénible, même si on peut comprendre qu’un rappel était nécessaire après tout ce temps. Comme dans la trilogie Paradise Lost, on retrouve avec émotion les protagonistes de l’affaire des années plus tard, qui ont vieilli, grandi, mûri, qui attendent avec espoir l’élément qui fera basculer l’affaire, ou bien restent fermement convaincus de la culpabilité de Michael. On retrouve également l’attention du détail de Lestrade, sa capacité à saisir les moments poignants en toute sobriété, son étude minutieuse de la famille. Des révélations fracassantes (que je ne dévoilerai pas, elles) vont permettre à la défense de repasser devant le juge pour demander un nouveau procès, en démontrant que Michael Peterson n’a pas eu droit à un procès équitable en 2003. Le tout forme un documentaire édifiant et profondément nécessaire, et je peux jurer que je n’utilise pas cet adjectif souvent. Si tout ceci vous a intrigué (je l’espère), foncez regarder la série et le téléfilm sans chercher d’informations sur l’affaire, je vous promets que vous le regretterez pas.

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le 17 févr. 2016

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