Stranger Things
7.6
Stranger Things

Série Netflix (2016)

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Il y a des succès qui ne trompent pas…
…Ou pour être plus exact il y a des succès qui en disent beaucoup.
Et c’est peu dire si, à ce sujet, Stranger Things ne peut être ignorée.


Au moment où cette critique est rédigée (septembre 2021), cela fait désormais un peu plus de deux ans que la dernière saison en lice – la saison 3 – a été diffusée. Et alors qu’elle avait déjà explosé tous les records de visionnage de Netflix à l’époque de sa sortie (40 millions de vues en quatre jours), il se trouve qu’encore aujourd’hui elle arrive à se maintenir dans le top 5 des visionnages de 2021 (64 millions de spectateurs sur l’ensemble de 2021 selon le dernier décompte d’août).
Strangers Things est donc une série qui – l’air de rien – est parvenue à s’inscrire dans le paysage culturel du moment au point que les gens y reviennent régulièrement.
Un attachement qui parait d’autant plus enraciné que la série jouit de statistiques plus que flatteuses sur les différents sites de référencement. Sur IMDB par exemple elle est même carrément la deuxième série la plus vue et commentée derrière le géant Game of Thrones
Ça se pose quand même là…
…Et, franchement, je peux comprendre.


Je peux comprendre parce que Strangers Things est arrivée avec les bons éléments, au bon endroit, au bon moment.
Les bons éléments ce sont bien évidemment toutes ces références faites à cet héritage culturel des années 80 ; le genre de prousterie dont les générations x et y deviennent de plus en plus friandes, leur âge avançant.
Netflix quant-à-lui a su être le bon endroit. En 2016 – année de sortie de la première saison – le diffuseur de contenus en ligne était au sommet de sa gloire ; là où se retrouvait toute cette génération de trentenaires avides de nostalgie.
D’ailleurs on serait sûrement en droit de se demander si Strangers Things aurait connu le même succès si elle était sortie plus tard, à une époque d'un stream davantage écartelé entre différentes plateformes comme il peut l'être aujourd'hui…
Seulement voilà, l’histoire est désormais écrite et Stranger Things se retrouve donc installée parmi les séries les plus populaires et il y a fort à parier que sa quatrième saison sera encore un succès…


Malgré tout, je pense que cette saison 4 je ne la regarderai pas.
Et je ne la regarderai pas parce que – dejà – je n’avais pas jugé à l’époque opportun de regarder la saison 3.
Pourquoi ?
Eh bien justement parce que je considère que – malgré le fait que Stranger Things dispose de qualités indéniables qui expliquent en partie son succès – elle n’a selon moi pas l’ampleur des grandes séries…
…Ces séries qui savent imposer leur marque.


Alors pourtant – oui – Stranger Things a su imposer une marque. Ça c’est certain.
Cette marque, elle se ressent notamment à son seul générique.
Police rouge massive et empâtée rappelant les vieilles couvertures de Stephen King ; déplacement sur fond noir comme pour un Star Wars ; usage d’un rétro-éclairage sur pellicule pour retrouver ce côté granuleux et imparfait des années 80… Et bien sûr ajoutons à cela une musique tout en synthétiseur pour qu’on obtienne un objet marquant, efficace et qui fasse ressurgir à lui seul tout l’esprit d’une époque…
…Une réussite, indéniablement.


Et si on peut louer les mérites de Stranger Things, à mon sens, c’est bien sur cet aspect là.
Des pulls aux bicyclettes, des intérieurs aux gadgets informatiques, des coupes de cheveux aux parties de Donjons et Dragons : tout participe à la reconstitution d’un univers.
Et quand bien même n’a-t-on jamais rien connu de la vie américaine dans les années 80 qu’on saura retrouver toute l’iconographie des productions culturelles qui la sublimaient à l’époque.
Ainsi, plus que d’ouvrir une porte vers un quotidien, c’est davantage vers un univers de représentations mentales que renvoie Stranger Things.
En cela l’angle fantastique / science-fiction choisi par les frères Duffer – auteurs de la série – n’a rien d’anodin, car en procédant ainsi c’est davantage des œuvres qu’on réinvestie plutôt qu’une époque à proprement parlé, tout ceci aboutissant à un savant mélange entre les principaux succès populaires d’il y a quelques décennies.
Citons les Goonies et E.T. pour ne se retenir que les plus évidents, mais soulignons aussi The Mist histoire de mobiliser aussi une référence « Stephenkinguienne ».
Or je dois avouer que sur moi ça a su fonctionner…
…Du moins que ça a su fonctionner un temps.


Car Stranger Things a le mérite d’assumer mais aussi de gérer en contrepartie.
D’accord le postulat de départ repose essentiellement sur la fibre nostalgique, mais c’est exécuté avec beaucoup de cohérence, de propreté et – on ne peut pas le nier – avec beaucoup de respect.
On ressent un vrai soin apporté aux personnages, aux lieux et aux situations afin que tout cet ensemble traduise au mieux la culture d’une époque et c’est indéniablement séduisant.
Seulement, les épisodes avançant, les limites de la démarche ont fini par devenir de plus en plus apparentes…
…Et les limites de la démarche, pour moi, c’est clairement le manque d’ambition de la série.


Tout pourrait finalement se lire au regard de la seule intrigue de la saison 1.
Certes, à bien la considérer, elle s’ancre parfaitement dans la culture des années 80 (expériences secrètes de l’armée, théorie du complot, fibre fantastico-science-fictionnelle), aussi bien dans le fond que dans la forme, mais cependant – à bien la décortiquer – on constate qu’elle ne va malheureusement pas au-delà.
On est juste dans la citation, mais pas dans l’exploration.
Strangers Things fait revivre les années 80 mais sans véritable recul.
Et non seulement cette série ne dit rien de la période mais en plus elle ne dit rien de notre période à travers celle que la série entend faire revivre sous nos yeux.
En fait Stranger Things se contente juste de reconstituer, mais jamais de questionner…
…De dire quelque-chose.


Or si ce manque d’ambition peut passer le temps d’une seule saison, il devient clairement le cœur du problème sitôt aborde-t-on la seconde.
Car si l’intérêt et l’enjeu d’une série comme Stranger Things ne reposent que sur la reconstitution d’une atmosphère, où se trouve dès lors le gain à se contenter d’une simple prolongation sans redéfinition complète du paradigme ?
Sans angle d’approche nouveau, une saison 2 ne pouvait qu’être condamnée à une certaine forme de dilution de sa démarche…


Et en disant cela je tiens à préciser que ces angles alternatifs existaient. Pour se renouveler Stranger Things aurait par exemple pu prendre pour parti celui de changer d’endroit, changer d’époque, changer d’intrigue… Voire même la série aurait pu créer une réalité alternative avec les mêmes personnages, le tout en s’amusant à créer des passerelles avec la saison précédente.
…Mais non.


Et c’est justement parce que les frères Duffer se sont simplement contentés de poursuivre avec les mêmes pour recommencer la même histoire que, par cette seule saison 2, Stranger Things s’est mise à transformer ses atouts en fardeaux.


Parce qu’autant un stéréotype peut avoir du charme quand il est ravivé après une longue période d’oubli – générant dès lors facilement et mécaniquement une part de nostalgie – autant ce même stéréotype aura de quoi lasser celui ou celle qui l’a déjà fraichement à l’esprit.
Or c’est tout le problème que génère chez moi cet enchainement de saisons. Ce qui était séduisant la première fois devient pesant la seconde… (…Et j’ose imaginer pour la troisième.)
Alors après c’est sûr que si on regarde ces saisons avec espacement – ce qui fut d’ailleurs mon cas – on peut encore se laisser prendre le temps de deux ou trois épisodes.
Fringues. Bagnoles. Musiques. Bornes d’arcade… Avec l’efficacité de la mise en scène et l’élégance de la plastique des frères Duffer, il y a encore moyen d’être séduit.
Et si quelques pistes d’intrigues peuvent aussi participer à entretenir un minimum d’intérêt lors des premiers épisodes…


Je pense notamment à l’exploration du « monde à l’envers » par Will, à la maturation d’Eleven en vivant à part avec Hopper, ou bien encore au mystère tournant autour de Max et de son frère…


…Il n’empêche qu’arrivé à la moitié de cette seconde saison, tout finit par rentrer dans le rang.


Ainsi on n’explorera rien du monde à l’envers et on ne verra rien de la bête.
A la place on va revenir dans ce bon vieux modèle où Dany redevient la victime de service et où maman Wynona va devoir à nouveau s’agiter dans tous les sens pour être en mesure de le sauver.
Eleven va de son côté se lancer dans un arc très long, très répétitif et très pauvre qui au final la ramènera à sa position basique de la saison 1, c’est-à-dire à son rôle de meuf du groupe de potes du patelin local.
Enfin, pour ce qui est du mystère de Max et de son frère et bah – tadah ! – en fait à la fin on découvre qu’il n’y avait aucun mystère. (Super… Plus foutage de gueule que ça : tu meurs…)



En conséquence, un constat finit rapidement par s’imposer.
A sans cesse reproduire les mêmes stéréotypes et les mêmes atmosphères, Strangers Things en vient à transformer la référence en carence.
Car si une bande de gamins un peu simpliste peut s’avérer sympathique et charmante le temps d’un clin d’œil, elle peut vite devenir horripilante sur le long terme par manque de profondeur, d’enjeux et de subtilité.
Et ce qui est valable pour les gosses l’est au fond aussi pour les adultes, pour les lieux, pour l’intrigue…


Pour ma part, que cette saison 2 ait osé tenir près de quatre épisodes sur le seul ressort scénaristique de « il y’a un monstre qui vit dans un réseau de tunnels en dessous de la ville : trouvons-le et tuons-le », j’ai quand-même trouvé ça plus que léger.
Ça veut donc dire que la moitié de la saison n’a reposé que sur cet embryon d’intrigue que tout le monde a plus ou moins déjà vu cent fois !



D’ailleurs, comme tout un symbole d’une série qui commence à tourner à vide, Strangers Things en vient assez rapidement à multiplier les arcs narratifs pour meubler, tous étant plus stériles les uns que les autres.
A ce jeu-là, le champion toutes catégories des arcs moisis jusqu’à la moelle fut celui de Jonathan et Nancy. Ces deux personnages passent toute la saison à prendre des décisions aléatoires, lesquelles ne sont là que pour justifier l’arrivée de certains éléments d’intrigue que j’ai trouvés pour le moins factice…


…comme la rencontre avec ce détective barbu totalement insignifiant et dont j’ai déjà oublié le nom.


Tout ça en plus pour aboutir en eau-de-boudin.


…Parce que bon, à bien tout considérer, tout l’arc Jonathan / Nancy n’aura fait que les servi qu’à les ramener au même endroit que notre troupe de gamins pour que s’opère le grand final. (Tout ça pour ça ? Rololoh mais quelle farce !)


Une logique assez ridicule donc mais qui, malheureusement, peut s’appliquer à pas mal d’autres arcs…


…On pourrait l’appliquer par exemple à l’arc qui amène Dusty et Steve à passer leur temps à une chasse au monstre (qui n’aboutit d’ailleurs à rien) ; ou bien encore à celui de Caleb et Max qui passent leur temps à fuir le vilain Billy qui se révèle au final n’être qu’un simple frangin un peu chiant, mais pas un serial killer en puissance comme le laissaient suggérer les premiers épisodes ; ou bien tout simplement de l’arc assez pathétique dédié au personnage d’Eleven qui se retrouve tout de même – après un trip ultra-répétitif à la Under The Skin – à intégrer une ligue de super-héros (!)… Et tout ça pour au final revenir à son point de départ avec un blouson en cuir et du maquillage, reprenant sa place initiale bien gentiment et sans que ça ait changé quoi que ce soit… Non mais quelle blague.)



Alors du coup, forcément, arrivé au bout d’une deuxième saison pareille, j’avoue avoir du mal à imaginer ce qu’une troisième déclinaison pourrait m’apporter.
…Mais bon, pourtant la série continue de fonctionner auprès du grand public.
64 millions de spectateurs entre janvier et août sur Netflix pour la seule saison 3 vous disais-je… Et cela pour une saison sortie il y a plus de deux ans.
Or pour moi cette longévité elle dit quand même quelque-chose.
De mon point de vue il parait assez inconcevable que ces 64 millions de spectateurs soient des néophytes découvrant la série.
Parmi eux il doit forcément y avoir un certain paquet de nostalgiques qui y retournent juste pour le plaisir de se replonger dans cet univers qu’ils chérissent tant.
Un constat qui nous oblige à tirer une conclusion : les Duffer n’ont donc pas été totalement à côté de la plaque en faisant les choix qu’ils ont faits.
Il y a un public qui veut ça – un public qui veut qu’on lui resserve en permanence les mêmes stéréotypes dans les mêmes univers – et qui ne s’en lasse pas.
Tant mieux finalement…


Néanmoins, le spectateur que je suis ne peut que s’attrister quelque-peu d’une telle posture.
Citer plutôt que questionner. Tourner en rond plutôt qu’avancer. Diluer plutôt que complexifier…
En fait Stranger Things ne se pose pas comme un parcours, mais plutôt comme un parc tout court.
On y vient pour se reposer, se ressourcer, s’enjailler… Et puis on repart jusqu’à la prochaine balade…
On n’attend rien de spécifique. On n’espère même pas être bousculé. Au contraire : on aime cette série parce qu’elle nous offre exactement ce à quoi on s’attend…
Rien d’étonnant au fond que ce « contenu » soit l’un des plus gros succès de Netflix…
…Parce qu’au fond – et à bien y réfléchir – cette série C’EST Netflix.


Il fut un temps pas si lointain où les séries ce n’était pas ça.
Il fut un temps où les séries bousculaient les codes et les mœurs.
Il fut un temps où les séries exploraient et questionnaient leur temps.
…Des séries d’une autre époque.
…Des séries qui apportaient quelque-chose de neuf sur la table.


Face à ça, Stranger Things s’impose comme l’expression-type d’un contre-modèle.
Elle est – par essence – la série qui n’est pas là pour apporter du neuf.
Elle prend de l’ancien, elle nous le restaure, et elle nous le ressert « comme neuf ».
Alors je ne dis pas que c’est déplaisant en soi. Loin de là. D’ailleurs si j’ai décidé au final d’attribuer la moyenne à cette série c’est que j’estime y avoir tout de même trouvé un minimum mon compte.
Néanmoins je ne pense pas qu’un jour j’y retournerai.
Et je n’y retournerai pas parce qu’au fond, cette série n’a laissé en moi aucune marque.


D’ailleurs, quand bien même est-elle populaire que je doute que Stranger Things laisse vraiment sa marque.
Elle laissera une marque à n’en pas douter. Mais cette marque ne sera pas vraiment la sienne.
Elle sera la marque d’une période qui elle-même était une projection vers une autre période ; une marque qui, finalement, sera à l’image d’une série qui n’a rien fait d’autre que citer au lieu de parler…


Or, tout ça, je l’avoue, me rend un peu amer…
J’ai du mal à me retrouver dans une œuvre qui n’est qu’une fenêtre vers autre chose…
…Une fenêtre élégante et propre certes, mais une fenêtre qui en nettoyant ce qu’elle a voulu enjoliver en est arrivé aussi en certains points à l’édulcorer.
Aussi, sitôt me parle-t-on de Stranger Things que mon réflexe n’est pas de penser à l’œuvre des Frères Duffer mais plutôt à celles des Spielberg, King et Richard Donner.


Or je ne peux m’empêcher de me dire qu’il y a un problème, quand une œuvre ne sait faire qu’une seule chose : nous donner envie d’aller voir ailleurs…
Car au fond c’est bien ce que m’inspire l’œuvre des frères Duffer…
…Et je ne peux m’empêcher d’y voir un petit malheur.

lhomme-grenouille
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Créée

le 23 sept. 2021

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