Top of the Lake
7.3
Top of the Lake

Série SundanceTV (2013)

Comment saborder un potentiel terrible en corsant, plus que de raison, les ramifications d’une histoire sordide, rendue faussement complexe par une écriture qui ne connait ni la subtilité, ni la mécanique du mystère. A tel point qu’au bout de 3 épisodes, toutes les trames sont déroulées, les personnages n’ont plus rien à dire (ce n’est pas la trame « t’es mon papa ou pas ? » qui change la donne) et les twists à venir se sont tellement annoncés qu’on les attend sans réel engouement.


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Spoiler en vue, suite à cette jolie déception en 7 épisodes, il est possible que cet avis soit motivé par un état d’esprit un peu grognon et pas forcément très constructif, j’en conviens. [o.o]
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Jane Campion gère sa mise en scène, à ce niveau là, rien à dire, Top of the lake, c’est du grand art, et je pèse mes mots. Les lieux sont exploités avec un sens de l’image à faire pâlir les plus farouches photographes naturalistes et les grands espaces investis pour l’occasion sont superbement mis en valeur, filmés aux moments propices pour que les lumières qui les dessinent mettent en exergue leurs plus belles courbes. En outre, la cinéaste sait filmer les corps, mettre en valeur ses acteurs. Formellement parlant, il faut se lever tôt pour reprocher quoique ce soit à cette série en 7 épisodes, aussi magnifiques les uns que les autres.


Mais voilà, quand on s’embarque dans un thriller aussi noir, la forme ne fait pas tout, je dirai même qu’elle ne fait qu’accompagner le cœur de l'exercice : son script. Si l’écriture ne suit pas, que les personnages s’égarent plus que de raison, la raison même qui leur a donné naissance, celle qui insuffle la vie à chaque épisode, perd sa légitimité, pour ne laisser en tête qu’une déception à la hauteur de la prise de risque manquée. Et dans le cas de Top Of The lake, série à l’ambition farouche, la chute fait mal, très, très mal.


La première marche manquée concerne ses personnages et les acteurs qui les incarnent, les deux n'étant pas toujours en phase. Elisabeth Moss trouve la note sans forcer, confirmant tout le talent qu’elle a dévoilé au monde du petit écran dans la très bonne série Mad Men. David Wenhan ne s’en sort pas mal non plus dans un rôle assez ambigu et forme, avec elle, un duo tout à fait crédible. Ils sont servis par des personnages intéressants qui ont des choses à dire.
Mais autour d’eux, ça se corse bien rapidement. Écriture sans nuance pour la plupart des autres personnages, trait tellement forci qu’aucun des acteurs ne parvient réellement à compenser ; il est bien difficile de trouver jeu juste quand sur le papier, déjà, quelque chose cloche. La palme du loupé étant généreusement attribuée à l’agaçante Holly Hunter, qui ne parvient, à aucun moment, par son cabotinage atroce, à n’insuffler, ne serait-ce qu’un atome de mysticisme à la chef spirituelle qu’elle est censée incarner. Par son jeu unidimensionnel et la caricature qu’est ce camp de repos pour femmes en détresse, chaque séquence y prenant place fait l’effet d’un calvaire dont on souhaite s’échapper le plus rapidement possible.
Autre manqué, Peter Mullan : il est tellement dirigé de manière à nous faire comprendre ce qui va se passer (c’est limite s’il nous fait pas passer des petits cartons …), tellement desservi par un script bas de plafond (coucou, je suis un personnage bizarre, trèèèès bizarre) que son savoir-faire ne suffit pas : son personnage doit être le plus chaotique de tous, même celui de Holly paraît équilibré à côté, c’est dire le niveau.


Quant au contexte qui les fait évoluer il prend la forme d'un script qui part dans tous les sens, s’autorise toutes les folies, en espérant que, parce qu’il est bien filmé, personne ne lui en tiendra rigueur.
A commencer par la trame de Rahanne, fille farouche (il faut la voir faire le chat sauvage qui défend son petit, soufflant entre ses dents entre deux coups de chevrotine), qui, à 12 piges à peine, enceinte et sans ressource, parvient à mettre à l’amende tout un groupe d’intervention qui ratisse le coin sans jamais la trouver, alors qu’elle se fait ravitailler par un copain qui parle avec ses mains (non mais sérieux ? oO).
Histoire de noyer le poisson, hop là, Jane Campion sort de son chapeau un méchant très très très, mais alors TRÈS méchant ; du genre qui bute ses partenaires quand ils lui font faux bond, tabasse des femmes quand elles l’ouvrent un peu trop et cuisine un peu de Meth (Walter va faire la tronche) sous sa douche pour arrondir ses fins de mois ou pour tromper l’ennui, au choix.
Comme ça ne suffit pas, la réalisatrice/scénariste barbouille le tout avec une pincée de cancer, de femmes perdues qui se baladent dans leur plus simple appareil (du plan boobs flouté, c’est concept), de jeunes désœuvrés qui bossent dans un bar expérimental, de quelques Redneck hauts en couleur, d'un vieux fou qui n’est pas si fou que ça, et cerise sur le gâteau, d'un flic un peu bizarre qui se demande si ses jambes rasées ne sont pas repoussantes quand il ne propose pas, à une femme qui sort d’un coma éthylique, de l’épouser …


Less is more comme disait l’autre … là pour le coup, c’est tellement alambiqué pour pas grand-chose qu’on finit par enchaîner les épisodes sans motivation, en jouant au jeu du « ça va pas quand même pas être ça » au début de l’épisode, et de le finir en se disant « ben si, c’était ça, pfffff ».


Quant au final, évidemment il faudrait avoir un cœur en granit pour ne pas sentir ce sentiment de révolte monter en soi quand le pot au rose est confirmé. Mais c’est tellement attendu, tout a tellement été sous-entendu pendant les 7 épisodes, que la surprise n’est pas au rendez-vous.
J’irai même jusqu’à dire qu’à mon sens, le glauque de cette fin est un choix d’écriture facile, limite roublard: qui ira remettre en question l’atrocité dont il est question ? Personne, parce que c’est atroce, effectivement. Mais c’est tellement mal amené : Al bourré qui fait n’importe quoi sur la terrasse, si ce n’est pas l’aveu d’impuissance d’une réalisatrice qui ne sait pas comment faire ENFIN exploser sa bombe, je ne sais pas ce que c’est…
Bref, alors qu’on devrait, à ce moment là, être en emphase totale avec ce qui se passe à l’écran et se sentir mal, on se contente de soupirer, presque pressé d’en finir.


Alors oui, la série de Jane Campion est superbe d’un point de vue formel : ses ambiances visuelles sont très soignées. Et il est vrai que la réalisatrice parvient à en tirer quelques moments de fulgurances qui font mal au ventre (la fin de vie de la mère de Robin ou cette chute sourde dans les montagnes et l’enterrement qui suit), mais la plupart du temps, émane de sa proposition, un sentiment de superficialité, qui rend caduque toute tentative d’y faire naître la tension qu’on s’attend à trouver dans ce genre de thriller.
Un beau pétard mouillé pour moi, qui promet le meilleur pendant un ou deux épisodes, mais finit par s’enliser à force d’en faire toujours trop et d’étirer au maximum une intrigue qui aurait pu être bouclée en moitié moins de temps.

oso
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le 25 oct. 2014

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