Wave Makers (人選之人-造浪者) suit une campagne électorale pour la présidence taiwanaise entre deux grands partis (fictifs), le Parti de la paix et le Parti de la justice. Cette série a été comparée à A la Maison Blanche*, mais pourrait être davantage comparée à certains éléments de la saison 3 de The Wire pour son parti pris de se concentrer sur les petites mains derrière les élections.
Cette démarche louable amène Wave Makers à traiter avec justesse de grands sujets clivant la société taiwanaise (notamment le racisme que subissent les « nouveaux migrants » d’Asie du Sud-est, la difficulté d'abolir la peine de mort, mais aussi d’obtenir justice pour les victimes d’agressions sexuelles, la persistance du rapport traditionnel à la famille, le besoin de reconnaissance des LGBT, la manière d’effectuer la transition énergétique). Son traitement du monde politique est assez intéressant, ne versant pas dans un cynisme un peu facile à la House of Cards, mais montrant plutôt des personnages souvent en tension entre leurs idées, les manoeuvres et concessions politiques nécessaire pour gagner la lutte politique, arriver au pouvoir et changer les choses, et les pressions provenant tant du parti que des différents milieux de la société taiwanaise. De plus, la série a très bien intégré l’impact d’internet dans des conflits politiques de la sorte. Néanmoins, tout ceci n’est valable que pour les sept premiers épisodes et éventuellement le début du huitième.
En effet, la deuxième partie du dernier épisode finit par montrer une réponse politique très idéalisée à la lutte contre les agressions sexuelles, au service d'une idéalisation de la démocratie taiwanaise qui contraste avec les angoisses d’une démocratisation trop fragile ou insuffisante exprimées dans le film Super Citizen Ko (超級大國民) de Wan Jen (萬仁) 27 ans plus tôt, au moment de la première élection présidentielle taiwanaise au suffrage universel. Cette manière de présenter la démocratie tant comme une fête, que comme un moment solennel qui, après bien des difficultés, permet au progressisme de triompher possède un côté rafraîchissant (surtout qu'il faut reconnaître qu'elle a eu le mérite d'être une source d'inspiration politique à Taiwan et même en Chine*) et en même temps donne à voir un dénouement qui parait tout de même assez naïf, voire forcé, et affaiblit la démarche des épisodes précédents.
Autre idéalisation et pas des moindres : S'il est possible de faire un parallèle entre les noms des deux partis fictifs (Parti de la justice et Parti de la paix) et les positions des deux principaux partis politiques sur la position que Taiwan doit adopter pour défendre sa souveraineté vis-à-vis de la Chine, comme le suggère Wafa Ghermani**, les créateurs de la série disent avoir explicitement choisi de ne pas parler de politique internationale, en particulier du poids que fait peser la Chine sur les débats politiques concernant Taiwan, et ce, alors que la série traite des grands sujets clivants dans la société taiwanaise. Pour les créateurs de cette série, aucun des sujets traités n'est plus clivant que de se demander la position concrète que Taiwan doit adopter avec la Chine. Traiter de ce sujet aurait, au passage, rendu la série bien plus difficile à produire et à diffuser étant donné la pression du marché chinois qui rend producteurs et distributeurs frileux sur le sujet, même à Taiwan (comme en témoigne par exemple Cheng Hsin-mei (鄭心媚) la showrunneuse de la série Jour Zéro (零日攻擊)***). D'ailleurs, en présentant deux partis fictifs, la série efface l'héritage chinois à Taiwan (en effet, dans cette fiction le Parti Nationaliste Chinois n'est pas responsable de quarante ans de loi martiale à Taiwan puisqu'il n'existe pas, et même si le passé autoritaire de Taiwan est mentionné, ce n'est que quelques secondes, sans parler précisément de la violence de la « terreur blanche », ainsi que de la place de Chiang Kai-shek (蔣介石), de son héritage et de sa « dynastie »). Malgré l'absence de toute mention à la Chine, même si Wave Makers a suscitée un intérêt sur Weibo, elle a vite été censurée en Chine.* Néanmoins, les créateurs de la série justifient leur non-traitement de ce sujet car ils cherchaient à montrer que la population taiwanaise est davantage qu'un simple « pion » dans un « échiquier » géopolitique sino-américain, ce à quoi la population taiwanaise est très (trop) souvent réduite quand ce sujet est abordé. Ne pas parler de la relation avec la Chine permet alors de laisser aussi de la place pour d'autres sujets qui animent la vie politique taiwanaise.* En ce sens, ce parti pris me semble très intéressant, mais sert malgré tout - et au même titre que l'idéalisation finale de la culture démocratique taiwanaise - une certaine vision du soft power taiwanais (celle de la Milk Tea Alliance ou du Parti Démocrate Progressiste) qui cherche à distinguer politiquement et culturellement le régime taiwanais du régime chinois dans le cadre d'un conflit que paradoxalement les créateurs de la série disent pourtant n'avoir pas voulu traiter.
* Voir : https://www.latimes.com/world-nation/story/2023-06-13/netflix-show-wave-makers-taiwan-election-no-china
** Voir : Ghermani Wafa, Le cinéma taiwanais. Fictions d'une nation. 2024.
*** Voir : https://ghostisland.media/zh/shows/taiwan-take/zero-day-attack-tv