Les meilleurs films de 2019 selon Patrick Braganti

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Déconcertant, irritant, excitant, jouissif, audacieux, littéraire et politique à la fois, les qualificatifs loin d'être synonymes ne manquent certes pas pour tenter de définir, de cerner et d'appréhender ce drôle d'objet qui donne l'impression si rare et tellement profitable au spectateur de s'inventer à chaque séquence. Regardant aussi bien du côté de Godard et Despleschin que du palestinien Suleiman, le réalisateur culotté et lettré, irrévérencieux et néanmoins respectueux, remet à sa façon certaines pendules à l'heure et la claque, burlesque et cérébrale, dadaïste et savamment élaborée, fait du bruit et du bien. Il parvient dans un maelstrom de scènes surprenantes et inattendues à nous faire rire et réfléchir. Un futur sur la liste des meilleurs de l'année.

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C'est l'enfermement qui caractérise le mieux Pablo, quadragénaire pratiquant, marié et père de deux enfants qui,en tombant amoureux de Francisco, déclenche les réactions de sa famille et de son église pour le remettre dans le droit chemin. Toute la mise en scène du nouveau film du réalisateur guatémaltèque contribue à faire ressentir cet enfermement mental résultant de la pression des groupes qui entourent Pablo. Les espaces clos sont sombres, abrités derrière de lourds rideaux et la lumière y entre avec parcimonie. Ce n'est pas tant l'homosexualité qui pose problème (cette scène étonnante où Francisco, dont c'est l'activité, masse la mère de son amant) que le choix d'une autre vie et de rejeter ainsi les règles édictées. Jayro Bustamante dépeint une société corsetée par une religion omniprésente où les évangélistes se taillent la part du lion, et par des traditions machistes et misogynes. Si les tremblements sismiques blessent régulièrement le pays, celui que connait Pablo est aussi dévastateur. Un très grand film qui allie la puissance de son sujet et son exigence formaliste.

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Un premier long-métrage thaïlandais qui fascine par sa beauté visuelle en en faisant un objet singulier, poétique et onirique. Derrière les motifs languides et vaporeux où l'élément aquatique est déterminant, il y a aussi la réalité, celle de l'exode impossible des Rohingyas vers la Thaïlande. Sur les deux rives de la rivière qui sépare cette dernière de la Birmanie, c'est aussi l'improbable rencontre entre deux hommes que tout sépare. Découpé en trois fragments, ce poème nous projette dans une autre dimension en nous plongeant dans une expérience sensorielle hélas plutôt rare. Sensuelle et douce, une ode à une certaine notion de la résilience et de la fraternité qui révèle du coup un nouveau cinéaste venu d'Extrême-Orient.

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Si la marque des grands artistes est de pouvoir se renouveler, on a donc la confirmation - mais en fait on le sait depuis longtemps - que Arnaud Desplechin est un grand, et même un très grand. Rapidement catalogué comme un polar, son nouveau film qui s'articule autour d'un fait divers sordide (et réel ayant fait l'objet d'un documentaire en 2008) est d'abord un film sur des policiers, leur vie quotidienne et leur rapport à la violence et à la détresse. Au premier rang desquels le commissaire Daoud, solitaire et d'un calme à toute épreuve - interprété par Roschdy Zem qui tutoie les étoiles avec son jeu d'une sobriété et d'une intériorité ahurissantes. Le réalisateur prend le pouls d'une ville qui l'a vu naître, rongée à présent par la misère et la déshérence, terreaux propices à la délinquance et à la criminalité. La bienveillance et l'empathie de Daoud semblent dès lors les derniers remparts à la barbarie. Dans les nuits de décembre, froides et sombres, l'illumination se produit parfois. Ce qui est certain, c'est que ce film en est une. Qui enchante le cinéphile et dévaste l'humain.

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La relation souvent conflictuelle entre père et fils traverse et structure la filmographie de James Gray. En abordant le genre de la science-fiction et de l'exploration spatiale, il n'abandonne pas pour autant cette thématique. Bien au contraire, il semble la transcender et la magnifier dans une odyssée grandiose de beautés qui, en lorgnant de plus en plus vers le métaphysique très mélancolique, renvoie directement à Kubrick et plus récemment à Chazelle ou Nichols dans une démarche qui allie l'intime au collectif. La réussite se situe ici dans la sobriété des moyens et le soin formel à imaginer les ambiances astrales : Lune, Mars puis Neptune. Le voyage est donc double : au cœur de l'âme humaine et dans l'espace infini, à la fois protecteur et anxiogène. Il n'y a aucune raison de ne pas embarquer de suite.

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Le cinéaste qui sait toujours jouer du savant mélange entre gravité et légèreté ne renie rien de sa marque de fabrique en y ajoutant la dualité entre simplicité (unité de lieu et quatuor de personnages) et sophistication des strates temporelles et des mises en abyme. L'exercice est donc ludique et brillant au sens intellectuel, faisant ainsi le pont entre Guitry et Resnais. Les deux figures tutélaires n'empêchent aucunement la modernité du propos et on loue la liberté sexuelle permise à Maria - Chiara Mastroianni à qui Christophe Honoré offre décidément de superbes rôles. Ce film est donc une petite merveille, une gourmandise sucrée et salée, qui divertit aussi bien qu'il fait profondément réfléchir.

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Sans aucune fioriture, refusant l'émotion facile et l'escalade lacrymale - telles qu'on pouvait les reprocher au dernier Ken Loach - le dernier film du réalisateur marseillais a de quoi plomber le moral du spectateur. Il n'avait pas été aussi noir (mais aussi réaliste et juste) depuis La Ville est tranquille en 2001. En deux décennies, rien ne s'est arrangé. Au contraire : la solidarité et le collectif disparaissent, le fossé entre générations se creuse, les pauvres et les démunis se livrent entre eux une guerre cynique où ne s'exprime plus aucune compassion. Même la ville se transforme et se déshumanise : loin des quartiers typiques, bruyants et bigarrés, Marseille prend des allures de ville américaine. Tout finit par être douloureux dans ce film qui laisse les derniers élans de bienveillance et de générosité aux aînés, tandis que les plus jeunes avides de réussite et d'argent, se rêvant en premiers de cordée, ont dorénavant comme credos l'exhibition sexuelle, l'écrasement impitoyable de leurs congénères encore moins bien lotis. Constat accablant et nécessaire qui fait du crû 2019 Guédiguian un grand film politique et social. Un grand film tout court.

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Entre Chaplin et Tati, le palestinien Elia Suleiman se campe en observateur mutique et bienveillant de ses contemporains. D'abord de ses voisins envahissants puis d'étrangers occidentaux (à Paris puis New-York) en proie à la paranoïa et à l'isolement social. Le dispositif n'a jamais été aussi minimal et, pourtant, il fonctionne à merveille. Le mélange discret entre burlesque et mélancolie sert l'intelligence du propos. Sans filmer de combats ni de scènes misérabilistes en Palestine, le cinéaste touche néanmoins du doigt l'essence même de la singularité de son pays, là où les gens boivent non pour oublier, mais pour se souvenir. L'ensemble fourmille d'idées et de trouvailles qui déclenchent un rire presque enfantin qui se mêle de tristesse face à l'absurdité du comportement des hommes. Avec une légèreté qui confine à l'élégance, Elia Suleiman réalise un petit bijou qui tient du miracle. Le voyage vaut largement la peine.