Jungle et masques

Un recueil de mini-récits sympathique. On est clairement dans l'élaboration de ce qui sera la moelle épinière de l'œuvre de Pratt, le questionnement au cœur de la série: la liberté. La liberté des peuples sous le giron de l'Occident, la liberté de désobéir à l'ordre établi (avec un récit parodiant l'affaire Dreyfus), la lutte contre la traite d'être humain, etc...

Pour ceux qui n'en n'auraient pas entendu parler, je vous recommande la lecture de cette compilation de récits parus initialement au début des années 70, dans le magazine "Pif Gadget". ( Magazine qui sera pour beaucoup dans la mise en valeur de la BD en tant qu'Art à part entière!).

En effet, il se dégage de cet ensemble une ambiance atypique, dans la mesure ou chaque intrigue peut être suivie indépendamment des autres. Si les thèmes chers à l'auteur sont bien présents, les histoires n'ont que peu de liens entre elles, si ce n'est de faire suite à l'épisode "A cause d'une mouette". Notamment par la réutilisation de certains personnages, que ce soit l'universitaire désabusé et rêveur, Jeremy Steiner, de même que le mélange entre enfant pieuse et femme fatale, Soledad Lockart et son compagnon, le Caraïbe au grand cœur et à l'âme de chasseur Jésus-Marie.

On découvre aussi un personnage qui tranche de par son amoralité et son coté inquiétant, l'antiquaire Levi Columbia (qui reviendra pour le dernier et ultime album, "Mû").

Par ailleurs, certaines expérimentations de forme s'avèrent incroyables, exploitant à fond les possibilités du medium. Je pense à ce destin tragique dans la "lagune des beaux songes" exprimé avec une poésie mélancolique déchirante, de même qu'un sens du cadre et de la narration frôlant la perfection. De même qu'une intro surprenante dans "la conga des bananes", où les armes à feu "échangent" un dialogue sans tirer un seul coup.

En bref, si ce n'est déjà fait, jetez-vous sur cet album: une fois de plus, Hugo Pratt nous emmène vers un Ailleurs pas si éloigné du quotidien.