Judge
5.7
Judge

Manga de Yoshiki Tonogai (2010)

Permettez que je crache un instant sur une émanation des éditions Ki-Oon ? C’est de circonstance, et la chose à quelque chose d’inaugural pour mieux entamer cette critique ; comme quelques gouttes d’eau bénite jetées en guise d’extrême onction. Car Judge, à l’issue de cette critique, sera enterré plus profondément encore qu’il ne l’a été par mes prédécesseurs. Je peux le dire pour avoir arpenté les rubriques manga de SensCritique : rarement un manga aura autant consolidé le consensus contre sa personne. Depuis la créature de Frankenstein, rien ou presque n’aura mieux justifié qu’on brandisse torches et fourches pour improviser un lynchage.


Mais avant que cette créature de Frankenstein de substitution ne soit allégrement déchiquetée chapitre après chapitre, il convient, je pense, d’agonir ses créateurs. Yoshiki Tonogai ? Cet homme-là s’est suicidé artistiquement parlant avec Doubt. Judge aura été écrit d’une plume agitée par les seuls asticots qui se meuvent dans son cadavre boursouflé. De lui, il ne fallait pas espérer autre chose que le pire. Non… ce sont ses mécènes – ses complices – qui ne demandent qu’à être ciblés par une lapidation de bon aloi. Et ses complices en France, on les trouve plutôt du côté de chez Ki-Oon.


Je lis, avec des années de retard ; comme un charognard venu délester les cadavres au lendemain de la guerre, que Judge aura bénéficié d’une promotion en fanfare à sa sortie. Il fallait oser. Je ne m’abaisserai pas à citer Audiard sur ces gens qui osent tout et qui auront été défini en conséquence… mais je gage que vous avez une idée du fond de ma pensée (ce qui prouve que vous avez vous aussi très mauvais esprit). Les éditions Ki-Oon avaient en effet saturé leur lectorat potentiel à l’occasion d’un battage médiatique on ne peut plus inapproprié. Et la bande à Ki-Oon, je crois bien qu’elle me débecte plus encore que la maison Glénat. C’est dire si je la tiens en basse estime.


Ki-Oon… c’est sa Genèse avant son catalogue qui trouve le moyen de m’horripiler. La maison d’édition du diable ; celle bâtie sur les putrissures de Tetsuya Tsutsui (bruit de tonnerre en fond). Je ne crois pas avoir à me justifier plus que de rigueur sur mon parti-pris et mes a priori incombant aux éditions Ki-Oon à compter de l’instant où j’ai écrit Tetsuya…. Tsutsui. Un homme dont j’ai légitimement fait ma baleine blanche – chose amusante puisque ce monsieur défendait à mots couverts la chasse à la baleine. Je vous parle d’un homme – avant même de considérer l’auteur – qui incarne tout ce que je méprise politiquement et humainement. À croire que cet énergumène-ci n’est fait que d’un concentré de mauvais goûts.


Alors certes, de même qu’une horloge cassée – et ici bien cassée – donne la bonne heure deux fois par jour, Ki-Oon peut séduire. C’est à eux, après tout, que l’on doit l’édition française de Golden Kamuy. Golden Kamuy dont j'aurais alors acheté les tomes d'occasion par principe. C’est pour cette raison, et pour cette raison seulement, que je retiendrai mes coups les concernant. Mais je n’oublie pas à qui j’ai affaire. Je n’oublie pas non plus les mièvrerie de A Silent Voice, la forfaiture de Shônen qu’incarne My Hero Academia – et sa traduction somptueuse qui fleure bon la saine éloquence telle qu’on la conçoit à Trappe où les éditions Ki-Oon y ont leur siège social –, je n’oublie pas non plus la prétention lyrique des Fleurs du Mal ou même le pourtant très oubliable Green Blood. Mais des reproches sur le catalogue, je pourrais en faire presque autant si ce n’est parfois plus chez la concurrence.


Il n’empêche : Tetsuya Tsutsui.


Avec une bonne fée pareille penchée sur son berceau, on est voué à échouer dans la vie. Et de ce postulat, Judge en est l’illustration la plus criante. Et quitte à parler d’illustration, autant parler du dessin. Il faut bien le faire après tout.

Courage, ça n’est qu’un mauvais moment à passer.


Voilà, et ce sera tout pour le dessin. En espérant avoir été suffisamment éloquent quant à ce qu’il m’a évoqué. Comment ? Une ellipse dans l’écriture de ma critique ? Pas du tout. C’est que, de ce dessin, il n’y a rien à en dire, aussi, autant ne pas en rajouter. Le style graphique est pauvre, impersonnel, vu partout et nulle part à la fois ; ce serait lui faire un compliment que de dire de lui qu’il est seulement quelconque. Les planches, rien que par le dessin, nous crachent leur inanité à la gueule pour mieux nous rebuter à la lecture de l’œuvre.


Afin de ne pas heurter les plus distingués de mes lecteurs, je ne vous dirai pas avec quel orifice Toshiki Tonogai tenait son crayon lorsqu’il décida d’écrire la psyché de ses personnages. Dire d’eux qu’ils sont clichés reviendrait à supposer au moins un semblant de contenance. Mais ils sont creux ces gens-là, ils sont plats aussi, ils n’ont à faire valoir que les traits dont ils sont constitués. Et pas des traits bien fameux, je vous prie de le croire. Je vous parle d’archétypes de personnalité que vous avez vu cent si ce n’est mille fois ailleurs, mais en moins élaborés. Il y a, avec Judge, une fainéantise dans l’écriture qui vous engourdit les muscles rien que lorsque vous la côtoyez du regard.


Nous retrouvons donc le même cadre scénaristique que Doubt, ici vaguement remanié pour donner au moins une impression de nouveauté. Si avez vu Saw, vous avez tout vu. On passe un chapitre à se dire ce qu’on fait là et les suivants à laborieusement analyser leurs alentours pour comprendre de quoi il en retourne. Tout prend un temps interminable à s’établir alors que toute la plèbe réunie ici se perd à jargonner pour le plaisir d’aménager le vide d’ici à ce que le vif du sujet ne soit enfin écorché. J’apprécie néanmoins – oui j’ai apprécié quelque chose – que les personnages ne soient présentés que derrière leur masque. La personnalité est souvent mieux affirmée lorsqu’elle est associée à un visage ; qu’elle soit ici dissimulée derrière un masque rend lesdits personnages plus impénétrables. Ils ne peuvent se distinguer les uns des autres du fait de la présence des masques et sont obligés de compenser avec des traits de caractère spécifiques. Sauf que de caractère, ils n’en ont aucun. C’était une bonne idée abominablement mal exécutée. Ça vaut un demi point sur la copie. Puis ça vaut zéro puisque tout le monde finit très rapidement par ôter un masque qui, finalement, ne servait aucun propos.


On passera sur l’infinie originalité des personnages associés à des péchés capitaux, je crois que ça n’a jamais été fait…. plus d’un million de fois déjà. D’ailleurs, le contexte carcéral avec le système de vote rappellera Alice in Borderland mais…. si l’on se fie à la chronologie des deux œuvres, la primeur de ce cadre revient à Judge. Sauf que de ce système de jeux psychologiques, Alice in Borderland a su en faire quelque chose de plus palpitant… qu’il a cependant bel et bien plagié chez Judge, c’est indéniable.


Judge, malgré toutes ses carences béantes, reste objectivement bien meilleur que ne l’a été Doubt. Je l’avait condamné d’avance, mais, je dois l’avouer à contrecœur, j’ai apprécié certaines manœuvres du scénario. Les stratégies de vote pour rester en vie sont plutôt bien trouvées et appréciables pour ce qu’elles ont à faire valoir. Savoir jouer de la psychologie des personnages, de la constitution de groupes, des éléments du jeu (le coup des photos était bien trouvé), des inévitables traîtrises, tout ça s’inscrit fort bien dans le cadre du récit. Les personnages sont certes d’une pauvreté indigente, mais ils occupent leur rôle de variables permettant de faire tourner les rouages de la machine. Faire preuve d’honnêteté intellectuelle m’impose de faire abstraction de leur écriture comme j’ai pu le faire pour un Liar Game du fait de ce que celui-ci avait de plaisant eu égard à son scénario.


Mais naturellement, il faut que ceci soit en partie – et en partie seulement – gâché par les discours lénifiants et geignards sur l’importance de la vie humaine. « Mais enfin, ce n’est pas un jeu ! Les gens meurent ». Cela va sans dire, mais il faut que ce soit ici répété à l’envi pour mieux souligner à quel point le personnage principal est vertueux et ce, de sorte à mieux exercer le contraste entre lui, les méchants déclarés, et les traîtres potentiels. Sans compter qu’on nous détourne des séquences de vote pour des découvertes dispensables motivées à grand renfort de pêchés capitaux qui nous éloignent du seul point intéressant du manga. Alice in Borderland, pour plagiaire qu’il fut, a eu le mérite d’expurger le superflu pour ne conserver que l’essentiel lors de l’épreuve des votes. Le résultat fut au rendez-vous.


Seules les séances de vote sont intéressantes, le reste n’est qu’élucubrations et agitations stériles qui, jamais, qui de surcroît, ne mènent jamais où que ce soit. Judge, il s’en serait fallu de peu pour que ça soit quelque chose. Que personne n’ait compris que la fille en surpoids sur la photo était Miku étant jeune tient de la stricte suspension de crédibilité ; ce qui découle du malentendu qui s’ensuit est tout aussi improbable et absurde.


Et puis à quoi bon s’essayer à un jeu psychologique de désignation d’une victime par le vote si c’est pour finir tout le monde au ciseau, au couteau et à l’arbalète ? C’est à croire que l’auteur a délibérément visé à côté de la cible que s’était désignée son œuvre. Ce qui s’est accompli le temps de Judge est un travail de sabotage qui ne rapporte rien à celui qui le perpétue, et encore moins au lecteur qui en fait les frais.


Nous ne parlerons pas des révélations en cascade – marque de fabrique d’un auteur qui ne sait ni surprendre et encore moins se renouveler – pour rajouter du spectacle à la farce qui nous est livrée ici. « Voyez-vous, en réalité, c’était moi qui était derrière tout ça, parce que... » rarement vous aurez autant roulé des yeux de votre vie qu’en lisant les deux derniers chapitres. Le tout mâtiné d’une affaire de machination à dormir debout. Judge se pensait comme une partie d’échec méthodique qui, après que les joueurs aient avancé deux pièces chacun, se sera conclue par un violent coup de tête venu frapper l’échiquier. L’idée de base gravitant autour du vote était correcte, c’était même la seule valable. Mais elle fut bien mal exécutée. Ou plutôt si, exécutée elle le fut, mais à bout portant par son auteur.


Il faudra un jour rappeler que pour surprendre un lecteur en lui dévoilant le coupable…. Il faut au moins avoir distillé quelques indices préalables. Le cas contraire, la conclusion de l’enquête sortirait de nulle part. Et c’est le cas ici. Avec son lot de révélations ampoulées qui n’en finissent plus.


Lire Judge vous fera prendre conscience du gâchis que fut celui d’une idée mal exploitée, mais la présente critique vous encouragera néanmoins à aller lire l’arc du vote d’Alice in Borderland qui, quant à lui, a parachevé ce qui, ici, a été lamentablement jeté aux orties. Quant un plagiaire fait mieux que l’original, quelle conclusion en tirer, je vous le demande…

Josselin-B
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le 25 août 2023

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Josselin Bigaut

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