C’est avec surprise que je découvris que Sangokushi était un manga dont le nombre de copies vendues comptaient parmi les plus notoires au monde. Devant Full Metal Alchemist, Kinnikuman et l’exécrable Fairy Tail – pardonnez le pléonasme – ce titre est un de ces mangas dont le succès national n’a jamais pu outrepasser les flots, resté circonscrit au Japon uniquement.


Un tel succès, le manga le doit d’une part à l’époque de sa publication. Entamé en 1971, l’œuvre, accessible au grand public pour ce qu’elle a d’abordable dans son histoire et sa narration, avait pu brasser large. Le manga n’avait rien de clivant ni de spectaculaire et, parce qu’il était simple sans jamais se vouloir simpliste, il s’agglomérait facilement un contingent de lecteurs fidèles qui, de par leur plébiscite, le consacrèrent comme un Shônen à succès.


S’il a vendu de volumes, c’est aussi parce que Sangokushi se sera étendu sur pas moins de soixante volumes de 1971 à 1986. Une parution remarquable pour l’époque et même encore pour aujourd’hui puisqu’il se positionne dans le top 100 des mangas classés en fonction du nombre de volumes parus. C’est donc une épopée particulièrement longue qui nous est proposée ici. Et pour cause, le récit s’attarde sur rien moins que la Romance des Trois Royaumes.


« Encore ?! » s’exclament ceux qui, de longue date, ont éprouvé cette histoire sur tous les supports qui soient. L’œuvre originale datant de bien des siècles déjà, nous narrant – avec moult approximations – l’époque des Trois Royaumes en Chine, a en effet été adapté à toutes les sauces. Films, séries, mangas pléthoriques, jeux-vidéos, tout y sera passé. Mais figurez-vous qu’en 1971, Sangokushi avait le mérite de la primeur alors que ces chroniques n’avaient été encore qu’assez peu été exploitées dans les médias populaires. Il avait non seulement ce mérite, mais il a, encore aujourd’hui, l’infini vertu d’être devenue l’œuvre de référence populaire la mieux désignée pour s’essayer à la Romance.


Simple sans être simpliste écrivais-je précédemment ; ce seul postulat revêt en réalité une force insoupçonnée que je vais chercher à expliciter. Le manga est quelque peu daté – plus d’un-demi siècle nous sépare à l’heure de cette critique – mais sans jamais être rebutant. Les dessins, pour commencer, sont rudimentaires ; presque rupestres. On les tiendrait pour des dessins du Tezuka du début, mais ici, sans même un style franchement défini. Les graphismes sont fonctionnels à outrance en s’en tenant à la portion congrue pour ce qui est de nous dispenser le trait de son auteur. Il n’y a, en outre, presque pas de mise en scène, rien pour suggérer l’emphase ou un quelconque sentiment. C’est donc sans une afféterie ou le moindre éclat tapageur que s’écrit Sangokushi, donnant presque lui à un récit naturaliste mais, toujours pétris de fonctionnel. Ce qu’on lit ici, on pourrait jurer que cela a été écrit par une machine… et on s’en contente. Pire, on s’en pourlèche.


La Romance des Trois Royaumes n’est ici pas romancée plus que de rigueur ; elle applique à la lettre le texte original sans rajouter son sel. L’auteur, quand il adapte, s’efface ici derrière l’œuvre originale qu’il cherche à faire parvenir à son public de par un support destiné aux masses. Jamais il ne cherche à se réapproprier l’histoire ou à y laisser une griffe ostensible ; il adapte et c’est tout.


Ceux qui auront ruminé devant The Ravages of Time trouveront ici leur médicament. Sangokushi, quand il nous raconte les chroniques de la Chine antique, le fait sans les exagérations d’usage. En ce sens, il est l’anté-Kingdom dont les frasques m’as-tu-vu et chaotiques ont peu à peu entamé le moral de son lectorat. Or, sur le fil de l’eau sur lequel vole Sangokushi, il n’y a pas un remous, pas une vague. La lecture ne sera pas palpitante, c’est entendu, mais le voyage ne variera jamais pour ce qui est de la qualité du séjour.


Je me dis que les Shônens contemporains ont aujourd’hui tout à gagner à adapter des classiques – anciens ou récents – de la littérature. Que les auteurs se gardent cependant de toucher aux œuvres sérieuses ou même à la poésie. Non, qu’ils cherchent plutôt du côté des romans où l’aventure y a la part belle afin de les adapter en conséquence. C’est une idée jetée comme ça, puisse-t-elle atterrir dans l’encrier d’un auteur consciencieux, disposé lui aussi à s’effacer derrière l’écriture d’un autre.


La Romance des Trois Royaumes aura donc été narrée en ce pages comme nulle part ailleurs : simplement. Pour ceux qui seront repus pour ne pas dire dégoûtés de ces adaptations où l’on rajoute des artifices et du superflu guignolesque à ce qui constitue l’œuvre originale, vous voudrez nécessairement vous tourner vers Sangokushi afin de lire un récit posé froidement et méthodiquement pour mieux glaner l’histoire romancée de cette période. Je sais en tout cas que je préfère cette adaptation à nulle autre et, je gage ne pas être le seul. Il ne tient qu’à chacun de découvrir Sangokushi pour l’adopter comme l’adaptation populaire de référence.

Josselin-B
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le 19 avr. 2024

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Josselin Bigaut

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