Avec Arslan, on retrouve les chroniques guerrières d’un monde qui échappe à la fantaisie pour plutôt se remodeler en un alter-ego du Moyen-Âge ; quand l’Orient – ici inspiré de la Perse – et l’Occident s’effritaient l’un contre l’autre. Du moins dans une vision très fantasmée.

Tout cela et plus encore, on le retrouve sous la plume d’Hiromu Arakawa qui mêle alors un tracé léger et épuré à son intrigue sans jamais que celui-ci n’en vienne à s’édulcorer. Le dessin, pour cette fois, elle s’en contentera sans lui assigner une trame. En tout cas, pas une qui fut rédigée par ses soins. Arslan est l’adaptation manga d’une light novel dont j’ai cru comprendre qu’elle avait eu du succès. La trame, elle, est signée Yoshiki Tanaka ; un immense auteur à qui l'on doit les glorieuses lignes venues paver la voie des Héros de la Galaxie. Héros de la Galaxie dont l'adaptation animée fut... il n'y a pas d'ajectif pour la qualifier, mais je partais très optimiste quand je m'essayais ici à la lecture d'une œuvre ayant jailli de la même source.


Ces dessins, je n’ai rien contre, ils sont simples et fonctionnels ; tout ce que j’aime. Mais peut-être trop simples. La variété du répertoire graphique de madame Arakawa s’étiole bien vite et on retrouve assez tôt les traits de certains de ses personnages aperçus ailleurs dans ses œuvres passées et à venir. Le reproche est facile, j’en conviens, mais il est avant tout inévitable.


En un chapitre à peine, le décor est posé. Les deux royaumes qui s’entre-déchirent sont présentés dans les grandes lignes ; leur politique respective et ce qui les distingue est posé sans que l’un ne prenne l’ascendant moral sur l’autre. C’est appréciable sans pour autant étonner les lecteurs de Full Metal Alchemist qui se souviennent d’Ishval. Il n’y a pas de construction politique qui soit foncièrement bonne ou mauvaise ; il y a des constructions politiques avec leurs mérites, leurs infamies et leurs contradiction. Voilà qui rompt avec les antagonismes coutumièrement larvés de Shônens qui se rapportent volontiers à cette citation de Desproges : «L'ennemi est bête : il croit que c'est nous l'ennemi alors que c'est lui !».


Mais finalement, le trait est grossi à outrance. On sent que la plume glisse de bien peu, mais finalement de bien trop. La folie religieuse des Lusitaniens excède de beaucoup ce qui constitua les plus belles heures de la Saint-Barthélemy. Ces gens-là, on les aurait préféré revanchards et hargneux plutôt que bêtement fanatiques et cruels. Et tout cela, sans compter sur la frivolité et la stupidité de leur souverain, gras et superficiel en plus d’être stupide, faut-il le préciser.


Les personnages ne jaillissent pas de l’intrigue, ils ne s’illustrent pas par des caractéristiques qui leur sont propres. Ils ont un rôle à jouer, l’assument sans faille tout autant qu’ils sont, mais n’ont pas de charme ; voudrait-on en retirer un personnage principal qu’on y parviendrait pas. Il ont de la personnalité, mais celle-ci a été bridée à la portion congrue pour finalement ne nous laisser que des atomes de protagonistes. En dépit de cette carence manifeste, aucun ne trouve jamais le moyen d’être antipathique. C’est un mérite dans la déconvenue dira-t-on. Mais si d’aventure l’un d’eux venait à mourir, ni une larme ou même un sourcil levé ne se manifesterait sur le visage des lecteurs. Ceux-ci, en les voyant expirer, d'un œil glacé, en concluraient froidement que le personnage a joué son rôle d'où son expiration.


L’histoire est classique, vogue sans vague et sans remous mais sans que l’embarcation ne prenne l’eau. Là encore, peut-être peut-on s’en estimer heureux, mais on retire de cette lecteur un perpétuel élan de pusillanimité et de retenue excessive. Rien, à proprement parler, ne surgit, ne se distingue ou ne surprend et, au prétexte qu’il ne se trouve rien non plus pour décevoir, on ne saurait pour autant s’en satisfaire intégralement.


S’il est question de lire les aventures d’un prince en exil privé de son royaume, on préférera à Arslan les chinoiseries d’un Feng Shen-Ji, qui, s’il se perd vers quelques errements dans son intrigue, tente au moins quelques éclats. Là est le souci principal d’Arslan ; l’intrigue suit un chemin bien propre et tracé. Il est certes plaisant de parcourir une route aussi bien entretenue, il n’y a pas motif à s’en plaindre, mais on finit par se lasser du parcours bien assez tôt. Un séjour dans un chemin de brousse cahoteux, ça expose le flanc aux emmerdes, mais pas à l’ennui. La trame, trop méticuleusement contrôlée, ne s’autorise aucun grain de folie ; elle préfère se contenter d’être trop sage.


C’est une histoire de royaumes comme on peut d’y attendre, mais sans le panache des batailles ou bien la fulgurance de la politique. Sans figure illustre pour non plus épicer le récit ; avec une multiplicité de protagoniste sans cesse croissante, l’intrigue se répartit et se dilue en une infinité de parts pour qu’il ne reste plus qu’un puzzle où chaque personnage, tour à tour, déposerait sa pièce avant de disparaître.

Qu’on se le dise, la présence d’un stratège de légende dans le groupe d’Arslan n’aboutira à rien de bien grandiloquent. Le petit groupe sera porté par le vent clément du stylo de son auteur afin de mieux esquiver l’adversité. Ce sont des renégats, un groupe facile à identifier compte tenu de ce qui compose ses membres, ils sont en conflit ouvert avec les Lusitaniens qui soulèvent jusqu’au dernier arpent de territoire, et parviennent néanmoins à leur échapper en plus de leur faire la nique. Le tout, en semant des gardes qu’ils se contentent de blesser afin de laisser une trace de leur passage ; car il serait dommage de ne pas être si facilement pistés grâce à des témoins qu’on se sera employé à épargner par gentillesse.


Oui, Arslan est tout ce qu’on peut attendre d’un récit de royaumes quand les variables s’en tiennent à des commandent simples. Savez-vous qui est l’homme au masque de fer ? Cherchez à le deviner, songez à ce qui se fera de plus cliché et vous aurez une chance sur deux d’être dans le vrai. La légende d’Arslan a finalement tout d’un Fire Emblem pour ce qui est du script. Or, on ne joue pas à Fire Emblem pour le script seulement.


Heureusement, on ne tombe pas dans le travers classique du libérateur d’esclaves semant la liberté et l’amour en brisant des chaînes. Il y a des réalités objectives à l’esclavage, et elles ne sont pas belles à voir quand on s’y penche de trop près. Châtiez un mauvais maître par le glaive, et ses esclaves chercheront à le venger. Les moins prompts à la réflexion trouveront la chose saugrenue, mais que ceux-ci se demandent comment réagirait la masse hominidé contemporaine si on la privait de sa télé et de son smartphone. Dans l’asservissement, même l’esclave y trouve son compte et souvent, de cet esclavage, il en est le responsable en y ayant souscrit faute d’avoir cherché à lutter. Que l’auteur prenne le parti de le préciser, même s’il n’est évidemment pas le premier à avoir pris à revers la vision lénifiante de l’esclavage, constitue un souffle de vent frais qui survient bien tard au milieu des évagations politiques pétries de platitudes.


L’univers s’exonère de la représentation remodelée de notre monde pour finalement se vautrer dans le fantastique avec l’introduction de la magie noire. Celle-ci trouvera le moyen de rester en retrait pour ne pas être envahissante, mais, après une arrivée aussi tardive, celle-ci est difficilement la bienvenue. Les mages noirs sont finalement une version petits bras du God’s Hand venus secourir une âme abandonnée au désespoir pour en faire leur instrument.

Les bisbilles internes des Lusitaniens entre le frère du roi et le dévot Bodin redonnent du corps à l’histoire. On aimerait qu’elle ne soit plus faite que de ça et que les aventures d’Arslan et ses camarades soient davantage laissées sur le plan d’une intrigue secondaire. Il convient de s’en régaler tant que ça dure.


Les caractéristiques géographiques des différents belligérants s’étendent même jusqu’en Mongolie ou encore en Inde. Un œil averti verra là encore quelques collisions avec Berserk. Mineures, mais bien présentes. Tous les partis dans l’affaire densifient les ramifications de l’intrigue, mais tout ce qu’ils accomplissent est désespérément prévisible. Tous les plans, à peine énoncés, sont voués à s’accomplir sans un accroc ; ce n’est plus une stratégie qui s’orchestre mais une science exacte.

La trahison de Rajendra était néanmoins bienvenue pour rompre avec les fadaises de l’honneur qui, hélas, ne se concrétisent en réalité que bien trop peu dans les relations diplomatiques. Malheureusement, l’armure de l’intrigue étant apparemment à l’épreuve des trahisons, cette traîtrise ne fut qu’un contretemps de deux cases. Trois-mille hommes infiltrés, après tout, ça s’élimine en un claquement de doigt.

De là, tout va de soi. Les Lusitaniens vont de défaites cinglantes en défaites retentissantes en s’allongeant bien généreusement sous le rouleau compresseur du récit qui, manifestement, ne fait pas grand cas de leur avenir. Eux aussi ont servi leur rôle il faut croire.

Chaque fois qu’une intrigue politique trouve le moyen de se densifier, voilà qu’un ressort, non pas seulement superflu, mais aussi nuisible, survient pour gâter la recette. On pourrait parler longuement de cette épée de légende chargée de consacrer le légitimité de l’héritier du trône de Pars…. introduite au chapitre 71 sans même qu’elle ne fut évoquée par le passé. Ça oui, on pourrait en parler longuement, mais j’en serais bien incapable sans postillonner de rage.

Et c’est sans parler de ce roi serpent en suspens depuis la montagne du Mord… enfin, la montagne noire menaçante d’où émanent les forces des ténèbres….

On aura beau retourner l’affaire dans tous les sens pour fausser les perspectives, c’est clairement le Mordor. Ce monde, alors qu’il se fourvoie dans le fantastique, n’a pas grande valeur ajoutée à faire valoir dans ce domaine et c’est à déplorer.


Le retour du Shah rajoute du piment en rendant le sentier d’Arslan plus cahoteux. Avec son propre père dans son camp mais contre lui, la dynamique tend à devenir plus complexe et donc, plus savoureuse. Il ne faut toutefois pas se bercer de trop d’illusions, ce retour est finalement le prétexte pour qu’Arslan retourne vaquer à ses aventures, tout comme l’invasion qui l’avait détourné de l’attaque de la capitale visait à prolonger l’intrigue en accordant un sursis aux Lusitaniens.


Il y a son lot de revirements d’alliance, même si bon nombre d’entre elles sont convenues et planifiées de longue date. Ce n’est pas pour autant qu’il faut bouder son plaisir. L’affaire rappelle Game of Thrones en tout point, à peu de choses près qu’on nous épargne les scènes de baise – Dieu merci. Et comme avec Game of Thrones, l’élément surnaturel – à savoir les marcheurs – vient gâter les intrications politiques noueuses qui ont fait le sel de l’œuvre. Mais ça prend son temps avant de venir se manifester. Et ce temps, ça le prend si bien que même après dix années de parution, nous sommes encore bien loin de la fin du périple. Un périple qui, malgré les récriminations qu’on puisse lui adresser, ne s’essouffle qu'à moitié quand Arakawa nous en fait part et trouve le moyen de rester coruscant. Mais modérément seulement, sans excès ni bassesse : du bout d’une plume tempérée uniquement.


Josselin-B
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le 25 nov. 2022

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Josselin Bigaut

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