Homme bien sous tout rapports, professeur investi et père modèle, Ed Avery est subitement pris de douleurs insupportables. Le verdict ne tarde pas à tomber, Ed n'a plus que quelques mois à vivre. Mais un nouveau traitement expérimental va peut-être lui permettre de s'en sortir : la cortisone. Bientôt, les effets de ce médicament se font sentir, Ed se sent investi d'une énergie débordante, son comportement change et, sujet à plusieurs obsessions, il commence à terroriser sa famille. Le film est souvent présenté comme une charge sur la surmédication et l'addiction à la drogue. Il y a bien évidemment de cela dans le film mais ce serait extrêmement réducteur de n'y voir que cela.

C'est la descente aux enfers d'une famille américaine modèle que met en scène Nicholas Ray. Libéré de ses inhibitions, Ed laisse apparaître progressivement un tout nouveau visage de sa personnalité. Lui, l'homme modèle, viril, le citoyen parfait, va apparaître comme un horrible conservateur, tyrannisant ses proches, rabaissant sa femmes, ses amis, voisins,... convaincu d'être un être supérieur qui doit purifier la société en éduquant les enfants, sur le plan scolaire et religieux pour les soustraire à une société qu'il estime en pleine dérive.

Le film est donc d'une grande modernité, tant on pourrait presque réaliser le même film aujourd'hui. Ainsi, plus qu'une charge sur l'addiction, le film dynamite l'American Way of Life en la présentant plus ou moins comme une aliénation, refrénant les pulsions des individus, pulsions qui ne demandent qu'a exploser au grand jour. On assiste à un jeu de massacre terrible entre le père d'un côté, enfermé dans sa folie et l'épouse et le fils de l'autre, qui tentent de conserver l'amour et l'admiration qu'ils ont pour cet homme, même dans ces instants de crises. Certaines scènes sont dans ce sens d'une grande violence psychologique et vont extrêmement loin pour l'époque. L'entourage est donc placé face à un dilemme entre voir l'être aimé sombrer dans la folie ou arrêter le traitement, ce qui signifie le condamner à mort. On regrettera juste que, censure oblige, le final apparaisse un peu hors de propos même si il a sans doute été imposé.

Dans le rôle principal, on retrouve James Mason, dont on ne cessera de rappeler l'acteur de génie qu'il était, ce qu'il démontre ici dans ce qui s'impose comme l'un de ses plus grands rôles passant sans problème de l'homme attachant à l'ordure détestable. Barbara Rush, en femme rabaissée mais tentant de soutenir malgré tout l'homme qu'elle aime est également excellente. Le cadre de Ray est très proche de celui de La Fureur de Vivre, ce qui confère à Bigger Than Life une forme de continuité avec celui-ci : deux études de la société américaine, pas aussi idéale qu'elle aimerait le faire croire.
ValM
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le 7 août 2014

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ValM

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