Devoir scolaire sur ce film et le questionnement de l'évolution des mémoires

ATTENTION: Cette critique contient de nombreux spoilers. Vous êtes prévenus.

Si le repas se voit pauvre en saveur, l'apéritif, quant à lui, est parfaitement bien servi. Les premières images du film dévoilent en effet le ton violent et difficilement compréhensible de la mise en place de cette guerre (des contrôles méfiants, des coups de feu, des morts d'innocents ou inutiles). Mais à cet instant, ce que l'on appelle aujourd'hui à proprement parler « la guerre d'Algérie » n'a pas encore débuté. On entrevoit donc deux personnages, les deux principaux, Djaffar et Hamid, qui changeront au cours des évènements. Cette transformation est très intéressante, parce qu'elle représente la transformation des mentalités suite à ce conflit, comment l'histoire entre en communion avec la mémoire. En effet, ce qui est mis en avant dans le films, c'est bien cette idée de mémoire et de suite au conflit, pas la guerre d'indépendance en elle-même puisqu'une ellipse de plusieurs années amène directement le spectateur à la date du 3 juillet 1962. Djaffar est incertain, naïf, jeune et préoccupé. La liberté et l'indépendance sont des principes pour lesquels il veut se battre mais, perdu dans ce combat naissant qui le dépasse déjà, suit seulement son ami Hamid qui lui est plus ambitieux et croit savoir quel est l'ordre et quelles sont les priorités. Après la guerre, Djaffar est un héros de guerre, admiré et veuf, et ne retrouvera jamais sa fougue d'antan. Hamid a pris de l'importance politique. Écouté de tous, il fait des discours acclamant le bénéfice de cette guerre mais une fois coupé du public, il semble un peu plus déstabilisé. C'est donc dans ces états d'esprit que les personnages évoluent vers le milieu du film. Ils sont présents et Salem montre que la vie a un sens, que tout n'est pas perdu, que l'un peut danser avec l'autre bien que leurs idéaux politiques divergent. Puis la tournure finale de la métamorphose des personnages s'articule sur les dernières vingt minutes, lorsque Hamid provoque la mort d'un de ses amis (Farid) mais opposé à lui politiquement et finit seul, remettant en question sa légitimité et sa vision des choses. Indigné et profondément choqué par la mort de Farid, Djaffar devient grave et cynique, et maintient qu'il ne pardonnera jamais à Hamid mais aussi que peu importe ce qu'a fait ce-dernier, ils ont ensemble libéré leur pays de la colonisation. Salem dresse donc deux portraits peu communs, aussi torturé l'un que l'autre, qu'il replace dans un contexte de guerre, d'instinct et d'humanisme. Leurs souvenirs de la guerre, à l'un comme à l'autre ont évolué au cours des années. L'avenir est leur devise et il est intéressant de voir comment la mémoire algérienne du conflit s'étend à la réorganisation du pays et aux règlements de comptes qui ont suivi. Mais une sorte de moralité arrive alors à la fin. À ces hommes qui ont tout fait et se sont tant battus pour obtenir leur indépendance, il peut arriver qu'ils fassent les mauvais choix par la suite, aillent dans la mauvaise direction et le plus dur sera lorsqu'ils s'en rendront compte à la fin de leur vie. Le plat principal a donc très bon goût, servi encore chaud et avec délicatesse.

Mais on ne peut pas réellement en dire autant de l'assaisonnement.Tout d'abord, les seconds rôles ne sont pas assez exploités, soit par manque de personnage assez fort, soit par choix de réalisation douteux. Ils auraient gagné à être plus travaillés, d'autant plus que les acteurs sont doués pour la plupart, pour se rendre compte que les évènements qui s'enchainaient dans la vie de ces hommes les touchaient tous, sans exception, ce qui est un peu le message que souhaite faire passer Farid dans le film, lui-même second rôle. Le rôle du fils de Djaffar, Bachir, est une bonne illustration de cet argument. Il apparaît peu jusqu'à la fin alors que sa symbolisation de l'ennemi combattu est bien vue et utile au développement de la recherche historique qui accompagne le film, il devrait être plus mis en avant puisqu'il est en quelques sortes le réceptacle et la croisée des deux mémoires de la guerre d'Algérie, l'une algérienne et modifiée et l'autre, française et tabou. Ensuite, le fond sonore est également déplaisant, accentuant à chaque fois l'intensité de la scène et empêchant ainsi d'en apprécier les méandres. La réalisation et le montage ne sont pas mauvais, il aurait sans doute été plus judicieux de choisir un autre acteur pour incarner Djaffar plutôt que le réalisateur en personne, cela aurait amené un autre regard extérieur sur le personnage de Djaffar. Bref. Nous n'allons pas épiloguer sur l'aspect cinématographique de l'oeuvre et ses points négatifs.

Malgré cet ensemble fade, voire amer par moments, le dessert revigore et réveille des sensations oubliées. Il est intitulé « le scénario ». Grande prouesse est ici que l'histoire happe le spectateur presque du début à la fin (en fermant les yeux sur quelques longueurs pas méchantes). S'inspirant des récits de son père et de ses ancêtres, Lyes Salem a trouvé ses verves dans son enfance. Né en 1973, il a toujours vécu dans l'ambivalence des cultures entre la France et l'Algérie, se retrouvant par exemple dans des groupes exclusivement d'algériens sachant tous parler français. Ceci a grandement influé son scénario, mais aussi sa vie, n'ayant jamais vraiment su à quel pays il appartenait. Les autres acteurs ont pu aussi ressentir ces mêmes sensations et c'est pourquoi c'est un film qui questionne une mémoire. Le peu de films qu'il y a sur cette période de l'histoire commune des deux pays (comme « Un balcon sur la mer » de Nicole Garcia en 2010) n'ont pas soulevé ces problèmes. Salem, pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui regarde ce qu'il s'est passé hier, il se positionne entre artiste et historien pour renseigner les identités mal imprégnées et soulever des questions politiques. Ce qui est intéressant est maintenant de voir l'accueil réservé au film. Ayant choisi de présenter le projet à des entreprises de production françaises et aussi algériennes, le film a été présenté à Alger et en France. Les retours ont été plutot positifs. Mais surtout, en Algérie, même suite à cette « mascarade » (selon le mot de Salem) du quatrième mandat de Bouteflika, le film n'a pas été censuré, et l'on peut croire que ce genre de témoignages ou de problèmes soulevés peuvent être à l'aube de nouvelles pensées politiques. Tout le monde parle de ces questions, nous ne sommes pas habitués à le voir sur un écran de cinéma, mais tout le monde sait ce que tel ou tel mot représente, ne serait-ce que pour parler d'« indépendance » ou de « libération ». Pour finir, Salem livre donc une œuvre cinématographique inégale mais importante pour la conservation des mémoires et leurs évolutions. Un repas peu copieux mais lourd sur la digestion.
maxpemeja
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le 14 déc. 2014

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