Le film de la danoise Tea Lindeburg est inégal. Il commence assez mal mais finit par trouver la juste note quand elle évoque le traumatisme de l’accouchement. Le film est à cet égard assez réussi, mais pas quand il se complaît pas dans l'imagerie sulpicienne.


Campagne danoise, fin du XIXe siècle. Lise, aînée d'une famille luthérienne, rêve d'émancipation. Mais lorsque sa mère est sur le point d'accoucher, la jeune fille voit sa vie basculer en une nuit.


Le film raconte l’émancipation ou disons plutôt, l’élément déclencheur de cette émancipation. L’héroïne vit dans une ferme dans la campagne danoise et dans une famille vivant dans l’austérité protestante, et plus précisément luthérienne. Elle doit s’en aller dans une école, ce que son père n’admet pas. A part cette présence masculine et celle d’un jeune garçon qu’elle considère comme son frère, la jeune fille vit au sein d’une sorte de gynécée, entre sa mère, ses sœurs, sa grand-mère, une tante et un ballet de nourrice. La vision des hommes et des femmes est d’ailleurs assez convenue. Les hommes c’est l’autorité, pour ne pas dire l’autoritarisme et tous les abus qui s’en suivent. Je pense à ce jeune homme qui fait du chantage à l’héroïne pour qu’elle en lève sa robe. Les femmes sont au contraire bienveillantes et douces. La réalisatrice use d’images un peu lourdes pour signifier la condition de cette jeune femme : un papillon pris dans une toile (on avait compris !) ou l’héroïne qui se met une broche dans les cheveux pour montrer sa féminité.


Ce qui est plus intéressant dans ce gynécée, c’est la présence de trois générations et leur rapport de chacune d’elle à la religion et à leur place de femme. Lise est une jeune fille assez oisive, insouciante qui souhaite étudier et dont la foi n’occupe qu’une petite place dans la vie. Face à elle, il y a la grand-mère ultrareligieuse et totalement dévouée à la tenue du foyer et de la famille. La mère est entre les deux. D’un côté, elle pousse sa fille à s’éloigner du foyer en allant dans son école, d’un autre côté elle est enceinte de son énième enfant et contrairement aux deux autres, elle semble être celle qui a eu le moins de choix, bloquée dans son rôle maternelle et à qui la grand-mère sans doute imposée ce rôle, qu’elle a sans doute accepté avec fatalité. Le personnage le plus intéressant est assurément la grand-mère. Elle n’a de foi qu’en la religion et guette tout signe divin avec attention. Voir les scènes ou celle-ci s’obstine à comprendre les visions qu’aurait sa fille pendant l’accouchement. Elle refuse d’aller chercher un médecin au grand désespoir d’une sage-femme. Là encore, les différences générationnelles sont marquées.


Ce que j’ai trouvé de fort dans ce film, c’est le regard de cette jeune fille sur l’accouchement de sa mère. Avec sa cousine, elle arpente la maison, écoute aux portes, se faufile pour suivre ses évènements qu’on lui cache. Elle est sous le choc face à la douleur de sa mère, face à la violence de l’accouchement alors qu’on lui a toujours dit qu’il était beau de mettre un enfant au monde. A la fin du film, on imagine le traumatisme. Cet évènement l’éclairera quant à sa volonté de devenir mère. Ce sera sa dernière nuit.


Malheureusement, la réalisatrice plombe son film avec un imaginaire religieux. Il est logique que, dans cette famille luthérienne, il y ait une croix au mur ou portée en pendentif, une bible dans une commode ou une iconographie religieuse dans la chambre. Mais fallait-il évoquer Eve et la pomme ou filmer des images de fleurs, des mains affleurant les blés. Au début du film, il y a cette vision apocalyptique à la Terrence Malick. Mais c’est vraiment du Malick de province. Il y a une lune anxiogène. Le summum du grotesque a pour moi été atteint quand la jeune fille prie et qu’en guise de réponse, le vent souffle violement. La réalisatrice voudrait questionner la présence divine dans ces moments de tragédie, mais l’application de cette idée manque de finesse.


La photographie du film est vraiment belle, à la fois lumineuse et sobre. La mise en scène est assez luthérienne pour le coup, assez austère. Mais la cinéaste se permet quelques libertés de filmage quand la jeune fille danse avec sa cousine, la caméra devenant subjective. En visionnant le film, on pense parfois à du Bergman. Le film de Tea Lindeburg n’est pas à ce niveau, mais c’est une belle histoire.


Noel_Astoc
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le 2 oct. 2022

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