Plutôt surprenant ce Testament du Docteur Mabuse, décevant même. Disons qu'après un M le maudit que je considère, sans aucun doute, comme l'un des meilleurs films que j'ai vu depuis longtemps, vient cette suite au premier Docteur Mabuse, que j'avais déjà trouvé décevant (au moins c'est raccord), et qui perpétue certains des défauts du premier épisode comme, paradoxalement, le fait de trop parler.

Bon oui, je sais, ça peut paraître bizarre dit comme ça qu'un film muet parle trop, mais c'était bel et bien le cas du premier Docteur Mabuse qui, en plus de durer 4 h 30, était bourré de cartons inutiles dont on aurait très bien pu se passer grâce au jeu des acteurs (Metropolis corrigera d'ailleurs cette erreur). Pour en revenir au Testament du Docteur Mabuse, le constat est encore plus troublant quand on se rend compte que le film a été tourné moins de deux ans après M le maudit… qui pour le coup avait un rythme bien plus irréprochable.

En fait, avec Le Testament du Docteur Mabuse, Fritz Lang s'adresse au spectateur comme si ce dernier n'avait pas vu Docteur Mabuse premier du nom, comme s'il ne savait pas de quoi le film parlait. Du coup, on se tape des séquences qui sont clairement de trop pour peu qu'on ait vu l'autre film avant : on nous explique sans cesse que Mabuse est dangereux, qu'il possédait des pouvoirs hypnotiques avant son internement dans un asile psychiatrique ; pire même, l'une des premières scènes du film (la première scène avec le Docteur Baum plus précisément) est ni plus ni point qu'un récapitulatif des événements du précédent volet.

Le film parle beaucoup trop pour ne rien dire, nous révèle ce que l'on sait déjà, mais pourtant, il faut encore ajouter un autre défaut à cela, là encore un défaut surprenant si on a vu M le maudit : c'est que les personnages que l'on suit sont quand même vachement cons. Pour le coup, peut-être que cela vient du fait que l'intrigue du film est devenue banale avec le temps, qu'on a déjà vu ce type d'enquête dans des centaines d'autres œuvres depuis, mais encore une fois, ce n'était pas le cas dans M le maudit, film dans lequel l'enquête avançait bien plus rapidement (peut-être même trop d'ailleurs).

Bref, que cela soit dû au temps ou non, le film possède de grosses ficelles le rendant inintéressant à suivre par moment.


Bien évidement, impossible de parler du Testament du Docteur Mabuse sans évoquer le propos du film. Avant de regarder le film, j'avais entendu de nombreuses bêtises à son sujet : Lang aurait inséré des pans des discours d'Adolf Hitler dans son film et il aurait été interdit pour cette raison. Vous l'aurez compris, c'est faux. Aucune phrase présente dans le film n'a été reprise des nazis et de leur propagande et si le film a été interdit, c'est car, officiellement tout du moins, cela aurait pu inciter les communistes à entreprendre des actions plus violentes (la bonne blague). À noter que les nazis sont arrivés au pouvoir moins de deux mois avant la sortie du film initialement prévue.

On pourrait pinailler sur les véritables intentions de Fritz Lang lors de l'écriture et du tournage du film, sur le fait qu'il n'a pas hésité à « réécrire » sa propre histoire, notamment inventé un départ précipité d'Allemagne après une rencontre avec Goebbels (départ qui, pour rappel, se fera tout de même en 1934), le fait qu'il n'a pas « vendu » son film sur son propos politique, du moins à l'époque de sa sortie initiale. Pourtant, force est de constater que de nombreux liens peuvent être tissés entre le film et la réalité, ce qui fait qu'il est aujourd'hui impossible de regarder le film sans faire le parallèle avec l'idéologie nazie… à se demander si Fritz Lang n'a pas réalisé un film antinazi sans lui-même le savoir.


Portrait d'une Allemagne en crise dans laquelle la criminalité règne et où l'absence de travail contribue à renforcer cette même criminalité : certains citoyens, en l'occurrence Thomas Kent (Gustav Diessl), n'ayant d'autres choix que de se tourner vers l'illégalité afin de subvenir à leurs besoins. Encore une fois, Fritz Lang n'aime pas la « masse », c'est la quatrième film que je vois de lui et c'est la quatrième fois que je fais ce constat. Cette dernière n'hésitant pas à se soumettre au crime pour des raisons de survie certes, mais, pire encore, se soumettre, et même approuvé, une idéologie criminelle (exterminatrice ?), car c'est la peur qui parle avant tout.

Forcément, un parallèle évident peut être dressé entre Hitler et le duo Mabuse/Baum. Enfermé dans un hôpital psychiatrique, l'antagoniste principal passe son temps à écrire, d'abord « dans les gribouillis des mots isolés », pour aboutir quelque temps plus tard à « une méthode pour l'exécution de crimes élaborés dans le moindre détail. » Pour le coup, impossible de ne pas penser à l'écriture de Mein Kampf, débuté lors de la détention d'Adolf Hitler à la prison de Landsberg entre 1923 et 1924. Les écrits de Mabuse, bien qu'ils passent dans un premier temps pour de simples ordres, de simples coïncidences, concernant des vols, ce qui conduira tout de même à la mort du Docteur Kramm (interprété par un Theodor Loos qui, tout comme dans Metropolis, incarne une victime), emmèneront, une fois arrivé à la moitié du film, et une fois Mabuse officiellement décédé, à l'endoctrinement du Docteur Baum, à la possession de son corps par un Mabuse fantomatique lors de cette scène que connaissent même ceux qui n'ont pas vu le film. À partir de là, le Mabuse originel représentant la psychologie destructrice d'Hitler, il est tout à fait possible de voir Baum comme son incarnation physique, la ges-tu-elle de ce dernier lors de cette saisissante scène de la morgue pouvant faire écho à la gestuelle du Führer lors de ses discours.

Mais Baum reste tout de même une victime, une personne qui n'est plus maître de ses faits et gestes. À partir de là, le docteur peut très bien être vu comme un citoyen allemand : sa profession, son statut, ne l'empêchant pas de perdre la raison. Ce n'est donc plus Hitler le principal problème, mais la persistance de ses idées : le fait qu'elles continuent de se transmettre, même après la mort de son orateur. Mabuse finit donc par être partout et nulle part à la fois. Irrattrapable, inarrêtable, il perpétue ses idées d'un hôte à un autre, transmettant sa recette d'un « Empire du crime » dans lequel les dissidents sont condamnés à mort, les crimes perpétrés sans raison et dans lequel les ordres sont donnés par une personne inidentifiable.


Vient enfin cette scène dans laquelle une usine chimique est incendiée suite au projet de Mabuse. Bien que je serais tenté de faire un lien avec l'incendie du Reichstag (ce qui serait un peu capillotracté), cette scène me fait penser à autre chose : les moyens techniques employés par Fritz Lang pour la réalisation de son film. Pour le coup, on pourrait presque voir dans le réalisateur allemand une sorte de Christopher Nolan avant l'heure : le Fritz Lang ayant véritablement fait brûler un bâtiment pour les besoins de son film… bon après, dans cette même logique de « réalisme », il a aussi fait utiliser de vraies armes à feu par ses acteurs… si vous aviez encore un doute concernant le respect que portait Fritz Lang à ses acteurs, vous devriez avoir un élément de réponse.

Au niveau des effets « spéciaux », on retrouve la surimpression. Pour le coup, si cet effet était déjà employé depuis plusieurs décennies (y compris dans d'autres films du réalisateur), Fritz Lang renforce le procédé en employant plusieurs surimpressions au sein du même plan (de la superposition couplée à de la surimpression quoi). Ces effets spéciaux étant employés avec parcimonie, mais toujours judicieusement, arrivent à marquer la rétine, notamment lors de cette scène surnaturelle dans le bureau du docteur Baum, déjà évoquée à plusieurs reprises, scène durant laquelle on aperçoit la cervelle du fantomatique Mabuse. C'est d'ailleurs surprenant de voir que Fritz Lang a regretté ces scènes, ayant avoué que s'il fallait refaire le film, il n'aurait pas inclus ces scènes surnaturelles… bien que cela se comprenne un peu plus quand on s'intéresse à la question du son.


Justement, reste la question du son, centrale dans M le maudit, et peut-être un chouïa moins importante ici, ou en tous cas moins intéressante à analyser. Ce qui peut sembler paradoxal pour un film dans lequel son antagoniste possède une voix ayant une portée hypnotisante. Quoi qu'il en soit, l'utilisation du son reste pertinente : même si ça parle beaucoup, Fritz Lang a, tout comme dans M le maudit, pleinement embrassé le côté cinéma parlant et se n'est pas contenté de repeindre en parlant un film qui aurait dû être muet initialement. Certaines scènes, comme l'attaque contre Hofmeister (ainsi que sa folie) en début de film, qui se trouve dans une salle subitement plongée dans la pénombre alors qu'il est en train de téléphoner au commissaire Lohmann (le même commissaire Lohmann que dans M le maudit… un début de Fritz Lang Filmisches Universum ? Décidément, Marvel n'a rien inventé), et plus tard le meurtre de Docteur Kramm, en plein milieu des embouteillages, auraient été impossibles à mettre en place dans un film muet.

Reste tout de même la voix de Mabuse, et plus particulièrement celle de Rudolf Klein-Rogge qui, à défaut de trop peu apparaître à l'écran (malheureusement), arrive à porter le film uniquement grâce à sa voix. On revient à ce que je disais plus haut, son corps ayant disparu, n'utilisant plus que sa voix : Mabuse est partout et nulle part à la fois. Tel Pythagore qui aurait enseigné à ses disciples en se cachant derrière un rideau, le personnage de Mabuse livre l'intégralité de ses ordres « caché » derrière un rideau afin de nous donner ici l'un des exemples les plus pertinents de l'acousmêtre cinématographique.


Bref, dans l'ensemble un peu déçu par ce Testament du Docteur Mabuse… même si j'aimerais être « déçu » plus souvent de cette manière je dois bien vous l'avouer. En fait, je pense que j'en attendais un peu trop de ce film : d'une part parce que je ressors de l'incroyable M le maudit, d'autre part parce que de nombreuses sottises (pour rester poli) ont été dites concernant le propos du film (les discours d'Hitler repris mot pour mot par exemple). Ça reste un très bon film tout de même, avec un gros problème de rythme certes (l'enquête qui avance lentement, le fait que ça parle trop…), mais qui, Fritz Lang oblige, a extrêmement bien vieilli au niveau de l'image. Franchement, peu de films des années 30 peuvent s'enorgueillir de faire aussi peu datés à ce niveau-là. Rien que pour cette raison, le long est un indispensable pour peu que vous vous intéressiez au cinéma d'avant-guerre.

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le 5 juin 2023

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