On aimerait penser le contraire, croire que l'on est plus beau, plus fort, plus vertueux que les autres... Assis sur nos siècles d'Histoire et de culture, on se rêve en chevalier blanc, guerroyant à tout va contre l'injustice et l'infamie, fustigeant chez l'autre des fautes que l'on préfère habituellement ignorer. Pourtant, évidemment, la réalité est tout autre et seule l'auto-critique permet d'éviter l'amère désillusion. Seulement, pour cela, il faut faire preuve de discernement afin d'éviter le piège du politiquement correct, ce mal insidieux qui tend à édulcorer les discours et à affaiblir les esprits...


De l'esprit, justement, il en aura fallu à Jean Dewever pour mettre en boîte un film antimilitariste, malin et impertinent, qui évoque la fin de la guerre afin de mettre en images sa totale absurdité, dépassant les clichés (les gentils gaulois contre les méchants teutons) et les discours convenus ("la guerre c'est mal!").


Dès le titre notre homme annonce la couleur et fait de l'ironie son arme favorite. Il est bien évident qu'ici la notion "d'honneur" est totalement illusoire, seule existe sur le champ de bataille l'horreur déclinée sous toutes ses formes : violence, meurtre, lâcheté, trahison... Le grand talent du cinéaste est de ne pas s'attaquer frontalement à son sujet, privilégiant la finesse de l'évocation à la lourdeur de la démonstration. Ainsi Les honneurs de la guerre est un film qui se veut économe en tout : en action, en mot, en scène... tout passe par l'image, éloquente, subtile, au risque d'être mal compris !


La plus grande des incompréhensions est sans doute de croire que Jean Dewever voulait faire un film sur la résistance. Ce qui n'est pas le cas puisque le contexte historique est rapidement évoqué par une poignée d'images (superbe séquence d'introduction) avant d'être maintenu en toile de fond d'une histoire qui se veut avant tout humaniste – d'un humanisme sans fard, certes- et donc foncièrement universelle. La censure dont il a été victime par la suite n'en paraît que plus injuste : c'est bien la guerre qui est dénoncée et ses effets funestes sur l'Homme, sur tous les Hommes, quel que soit le drapeau rallié ou l'uniforme porté.


Ainsi, c'est par le pouvoir d'évocation de l'image que Dewever se détourne des clichés et place l'humain au cœur de son film : l'occupant Allemand est éreinté par le conflit, abandonné par ses chefs et n'aspire qu'à se rendre afin de retrouver sa vie d'autrefois ; le Français, quant à lui, flirte, ripaille, lorsqu'il ne se découvre pas tardivement une âme de résistant... On peut comprendre l'émoi provoqué par une telle imagerie alors que le souvenir du conflit est encore vivace, mais c'est bien la guerre, dans toute son absurdité, qui est moquée ici ! Comment ne pas rire, en effet, d'une situation où de simples paysans sont assimilés à des terroristes, où les planqués deviennent subitement des héros, où les vaillants guerriers ne s'approchent jamais trop près du danger... comment prendre au sérieux un conflit où la gauloiserie remplace le courage, la chansonnette se subtilise au chant guerrier (ou à l'hymne national) et où la vaillance n'apparaît qu'en fin de repas, entre le fromage et le dessert... on pourrait véritablement rire de cette guerre, où les vainqueurs n'ont pas l'apanage du héros et les vaincus n'ont pas une gueule de méchant, si l'issue n'était pas forcément tragique : les balles continuent de pleuvoir et les corps de tomber... à quoi servent ces morts alors que le sort du conflit est joué ? À rien bien évidemment, et c'est bien cette absurdité ultime qui est dénoncée ici !


Mais Dewever ne se contente pas d'ironiser et se fait porte-parole d'une vie qui peut être si belle et agréable lorsqu'elle évolue loin du son des canons. Alors que la Nouvelle Vague s'empare du cinéma hexagonal, il convoque Jean Renoir et ressuscite l'espace d'un instant l'esprit de Partie de campagne : la caméra s'attarde sur un pique-nique champêtre, loin de la guerre et de ses morts, exaltant le cadre verdoyant et sa lumière douce, filmant avec bienveillance ces hommes et ces femmes qui flânent, flirtent, festoient... l'insouciance reprend alors ses droits, le bonheur se dessine doucement et prend les allures d'une belle journée estivale. C'est cette vie-là qu'il faut préserver, pour ces Hommes qui sont victimes d'une guerre déclarée par d'autres.


Habilement Dewever bâtit son histoire comme si les combats avaient cessé (la violence reste en hors champ, Allemands et Français ne partagent presque jamais la même scène) afin de faire exister l'illusion de la paix. Mais c'est pour mieux souligner ce que la guerre nous reprend : la joie et l'insouciance s'envolent dès que retentissent les coups de feu et que l'ombre de la mort, symbolisé par ce pendu dont nous ne verrons que les pieds, aura obscurci le paysage.


En montrant peu et en évoquant beaucoup, en faisant preuve aussi bien d'audace que de créativité, Les honneurs de la guerre reprend le flambeau laissé par d'autres (Paths of Glory et Die Brücke notamment) et met joliment en image l'absurdité guerrière, au grand dam du politiquement correct. Brillant !

Procol-Harum
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le 31 mars 2023

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