On ne compte plus les films abordant le sujet, parlant de la guerre comme de la folie ultime et de ces Hommes envoyés au casse-pipe pour des intérêts dérisoires, pour des idéaux creux, pour du vent, pour rien... On en parle tellement que les mots en viennent à être galvaudé, vidés de toute substance, apportant un semblant de confusion à un genre où le nanar dispute au film finement élaboré les premières places. Heureusement, au milieu de tout ce fatras, certaines œuvres émergent par leur audace, leur culot ou leur sincérité. C'est le cas de Die Brücke, film d'une simplicité extrême qui montre, avec une étonnante efficacité, l'absurdité d'un conflit qui en vient à sacrifier sa jeunesse pour un objectif inutile, pour une cause dont la faillite est acquise pour tout le monde.
L'intérêt premier de cette péloche, et non des moindres, réside dans le regard porté par un Allemand sur la Seconde Guerre mondiale alors que le conflit est fini depuis quelques années seulement... La première partie, pour moi la meilleure, relate avec force l'état d'un pays éreinté par des années de guerre et nous laisse voir l'extraordinaire obstination de ses habitants à se raccrocher à un semblant de normalité, coûte que coûte... Comme si retrouver les joies et les peines d'une vie ordinaire était leur unique échappatoire pour ne pas sombrer dans la folie et le désespoir le plus complet.
Ainsi, dans un style à mi-chemin entre le documentaire et le néoréalisme, Bernhard Wicki capte l'atmosphère si particulière de cette fin de guerre où l'habitant se cramponne à un semblant de vie tandis que l'armée est en déroute et que les chars américains et soviétiques roulent sur le territoire. Il y a une ambiance étrange qui se dégage de ces images, un mélange d'apocalypse et de renouveau qui fait coexister une désillusion extrêmement prégnante avec un espoir embryonnaire, vague et mal défini. Les séquences vues ont de ce fait une nature presque surréaliste, avec ces préoccupations badines qui cachent tant bien que mal les ravages du conflit : le manque ou l'abscence (de bien, de matériel et de mâles en force de l'âge), la panique qui se répand telle une traînée de poudre à travers une armée démobilisée et des dignitaires nazis qui plient rapidement bagages.
Mais c'est surtout à l'enfance que Wicki s'intéresse et à travers le sort qui lui est dû, il nous dévoile l'action mortifère d'une guerre qui n'en finit plus de détruire l'innocence et l'espoir d'un futur possible. Rappelant les démarches de Milestone (All Quiet on the Western Front) et de Dewever (Les Honneurs de la guerre), il filme la jeunesse évoluant dans un semblant de normalité avant de la faire basculer dans l'horreur et le cauchemar, histoire de souligner les mérites d'une vie qui s'apprête à rapidement tourner court.
Les adolescents décrits dans Die Brücke ont ainsi les préoccupations liées à leur âge, avec ce désir de liberté, de s'affranchir de l'autorité parentale, et surtout cet éveil aux sentiments qui les font s'intéresser bien plus à la jeune Bavaroise du coin plutôt qu'au destin funeste du Führer. Cette innocence, malgré tout, est déjà polluée par les effets de la guerre : l'embrigadement va bon train et on loge avec facilité, dans des esprits pas encore matures, des idées de patriotisme et d'héroïsme totalement illusoires. Malin, Wicki nous montre bien le cynisme d'une armée qui est consciente de la défaite mais qui puise ses dernières forces dans la jeunesse, quitte à en faire de la vulgaire chair à canon.
Ainsi, on assiste à une situation totalement absurde, surréaliste et ubuesque, qui voit une caserne devenir une pseudo école et des militaires se muer en professeur afin de donner à ces jeunes un semblant d’entraînement. La guerre devient une farce dont le ridicule n'échappe pas à ces principaux protagonistes puisque les instructeurs, eux-mêmes, avouent l'inutilité de leur action : on ne cherche pas à former des soldats, on apprend juste aux gamins à jouer un rôle afin de mourir au combat.
Wicki décrit alors avec force une situation semblable à celle de Pork Chop Hill : tandis que le conflit vit ses dernières heures, on envoie à une mort certaine une poignée de soldats accomplir une mission totalement inutile : les apprentis guerriers vont ainsi devoir défendre un pont qui n'a aucun intérêt stratégique. Le cinéaste poussant même la malice en filmant ces jeunes, tellement appliqués dans leur devoir absurde, venir gêner les plans de leur propre camp en empêchant le sabotage du pont. La guerre a définitivement perdu tout son sens, la déraison est totale !
Alors bien sûr, on peut facilement passer outre le jeu parfois approximatif de ces acteurs, bien souvent amateurs, tout comme on ne sera pas trop regardant sur la qualité d'un métrage dont l'aspect film fauché se voit un peu trop à l'écran et fait parfois sourire. Par contre, on ne pourra que déplorer un film un peu trop irrégulier, passionnant dans sa première partie et un peu lassant dans une dernière partie lourdement démonstrative. Alors certes Die Brücke est une œuvre un peu trop didactique mais elle mérite d'être vue et revue pour la vérité qu'elle dégage, symbolisée par l'image marquante de ces chars fonçant sur des adolescents, sur la destruction violente de toute trace d'innocence.