Libérées !
7.8
Libérées !

livre de Titiou Lecoq (2017)

Ah Titiou... Cela fait bien longtemps que je lis la prose de Mme Lecoq, d'abord sur ses blogs ou sites respectifs, maintenant sur papier. Il faut dire que j'avais lâché globalement l'affaire depuis sa mue en féministe de l'égalité-maintenant-tout-de-suite propre à l'époque, mi-ressentiment mi-soumission à des forces qui la dépasse.


Et puis un jour, un petit format vidéo commence à poindre sur mon feed et aiguillonne ma curiosité. Il s'agit bien évidemment de la séquence qui lui vaudra le surnom de c'était-pas-mon-tour soit l'expression chimiquement pure du féminisme domestique : mon enfant peut se crever un tympan, si c'est pour la bonne cause, ça passe, c'est calme.


Or donc, en 2017 nous est livré le petit "Libérées !" de Mme pas-son-tour dont le sous-titre "Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale" laisse augurer de la fulgurance des analyses qu'il contient. On savait que "le privé est politique", mais là c'est peut-être prendre un peu trop à la lettre le slogan.


En 4 chapitres très courts (issue de la culture ouaibe, on n'allait clairement pas lui demander un essai théorique), ton-tympan-pour-me-libérer va tâcher de nous montrer comment la vie des femmes occidentales des années 2010 est une sorte d'enfer sur Terre depuis le berceau jusqu'à la tombe, et comment c'est évidemment, vous l'aurez compris, la faute de la société oppressive, patriarcale (raciste aussi), homophobe et comment le féminisme peut solutionner le tout (ou peut à tout le moins remplacer la sophrologie, l'aromathérapie ou le yoga, véridique, lisible p.205 de mon édition poche).


En propre, ce livre est une occasion assez rigolote de lire le parcours prototypique de la féministe "de base" de notre époque : fille de 1980, grunge ado, freelance adulte, faisant des enfants avec "M. Chaussette" (l'ordure qui a fait deux enfants avec elle), maman de deux enfants, ayant reçu à chaque étape de son développement des éléments du package féministe lui permettant d'expliquer par TOUT SAUF ELLE ses choix de vie et ses problèmes allant de son emploi du temps à une chaussette qui traîne par terre.


Ce parcours pourrait être anecdotique s'il n'était pas aussi commun : un individu rencontre différents type de problèmes dans sa vie et à chaque étape, il reçoit par petits paquets de sens d'une idéologie qui lui permet de n'examiner sa part de responsabilité que dans la mesure où cela fait partie d'un "système" (ici, le patriarcat qu'il est très méchant).


D'abord le constat de départ : les hommes (ces salauds) n'en foutent pas une rame à la maison. Apparemment c'est une étude de l'INSEE qui en parle bien, que j'ai très hâte d'éplucher moi-même car je connais bien la propension des féministes à interpréter des données (comme celles des salaires) dans un sens qui serve leur propos. Partant de là, on ouvre le passage pour tout le lot du féminisme ambiant :



  • charge mentale (p.30) ;

  • les activités féminines dévalorisées parce que féminines (p.46, les éboueurs, caristes, agriculteurs, ouvriers du bâtiment seront heureux de savoir que leur activité est valorisée et bien payée parce que masculines) ;

  • la transmission de l'oppression et de ses structures malgré l'absence desdites structures (p.64)

  • le XIXè siècle, source de tous les maux du panier à linge à cause des écoles ménagères (toutes tenues par des femmes, opprimées j'imagine, où 10 sur 13 des enseignements n'ont rien à voir avec le foyer, mais passons) ;

  • la mutation de ces structures via l'électronique ménager et Internet

  • on n'en fait trop sur les gamins (p.89, on sent bien depuis le début que le cœur du sujet, ce sont ces gêneurs à son "épanouissement" personnel) ;

  • l'horrible pédagogie positive/bienveillante/gentille qui met la pression aux femmes (p.94, dont les figures tutélaires sont quasi intégralement des femmes, un hasard) ;

  • la nature n'existe pas (p.103, c'est une "mystique")

  • Maria Montessori, cette collabite (p.108, chapitre lunaire où on ne comprend pas bien ce qui est critiqué, mais en gros, c'est vraiment trop difficile d'intégrer les enfants aux tâches ménagères, sauf si c'est avec le père, p.211)

  • les femmes peuvent tout faire, pardon, tout AVOIR (p.124, la nuance est importante)

  • les réseaux sociaux source d'oppression (p.131, chapitre lunaire encore où l'auteur découvre qu'Internet est devenu une télévision 2 avec des publicités partout et que ça n'est pas la vraie vie tout cela. South Park a produit la meilleure critique du genre qui enterre Lecoq loin sous le niveau de la mer.) ;

  • la globali... non pardon, l'Airspace et les gens de nulle part (p. 141, chapitre encore plus énigmatique où l'auteur est à un cheveu de découvrir la globalisation, mais il ne faudrait pas ouvrir des dossiers trop dangereux alors on finira par une citation de Mona Chollet, qui d'autre ?) ;

  • le poil comme ferment révolutionnaire (p.149, après le sexe révolutionnaire de cette chère Ovidie, le poil, le sang des règles... on sent qu'il y a vraiment une sorte de plaisir à patauger dans le règne animal et fuir la civilisation) ;

  • un inventaire des accomplissements "des femmes" (p.160, pourtant tous accomplis par des hommes, curieux, le hasard) ;

  • le sac à main outil du patriarcat (p.163) ;

  • la ville comme outil patriarcal (p.166, qui rejoint en partie le propos de Lucile Peytavin sur le coût de la virilité) ;

  • le féminisme comme identitarisme maximaliste (p.198, tu es avec nous ou contre nous)

  • le féminisme c'est la parité (p.200 mais seulement dans les postes de décisions, supérieurs hiérarchiquement, pas de parité dans le bâtiment, les jobs de nuit ou ceux où les accidents de travail sont les plus fréquents, pas folle la guêpe) ;

  • le féminisme contre l'écart salarial (pas trop quand même, le paradoxe scandinave n'est pas loin)

  • les hommes avec nous (p.207, en cela elle se distingue des plus idéologisées type Harmange qu'elle veut tout de même discuter avec ces salauds, on imagine bien que c'est sur la base de tout son bagage idéologique, il n'y a qu'à voir sa prestation récente face à Todd) ;

  • le féminisme c'est mettre du rose au garçon (p.208, mais pas mourir au front pour les femmes, pas folle la guêpe) ;

  • attention au piège de rester sur du privé, tout cela est politique ;

  • mais à la fin, c'est en discutant en couple qu'on avance, donc en fait c'était pas vraiment politique, c'est compliqué.


Donc à la fin, il faut discuter avec son conjoint parce que sinon c'est trop dur et patriarcal.
Une question que Titiou ne pose pas, à mettre en parallèle avec le fabuleux opus de sa collègue Mme Harmange, est la suivante : si le célibat est émancipateur, pourquoi se mettre en couple avec pareils fainéants ?


Je veux dire, tout un livre entier sur l'inégalité ABYSSALE de la charge ménagère, mentale, de la fatigue que ça apporte, des enfants chiants etc pour aboutir à "discuter avec votre conjoint", sérieusement ? Et pourquoi pas : "avant de faire des enfants, assurez vous que vous avez choisi un futur bon père ?". Ou mieux : "pourquoi avoir fait des enfants avec pareil porcelet ?".


Et là on avance. Peut-être, mais ce n'est qu'une hypothèse personnelle, que la corrélation entre l'exécution de tâches ménagères et l'attractivité hormonale n'est pas si évidente et peut-être qu'au lieu de choisir de bons pères, nos valeureuses émancipées choisissent des bons géniteurs...


Reste un livre un peu rigolo à lire pour la partie personnelle, on retrouve le style usuel de Titiou en ligne, avant le formatage et je dois dire que c'est plaisant. C'est l'unique raison pour laquelle je lui attribue la moyenne.

CharlesdeBatz
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le 19 avr. 2022

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CharlesdeBatz

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