On ne va pas se mentir, Blackstar risque d'être difficilement critiquable, la mort de son auteur étant survenu seulement quelques jours après, il est jugé et le sera encore longtemps sous le coup de l'émotion. Un peu comme lorsque le jour après les attentats, certains osaient dire tout haut que les terroristes n'étaient pas les seuls responsables, les personnes n'ayant pas aimé le dernier album (en date et définitif) de l'immense bête qu'était Bowie s'en prendront et s'en sont déjà pris plein la gueule, suffit d'aller faire un tour du web pour s'en rendre compte. Si vous n'avez donc pas couvert d'éloges Blackstar, vous serez vous-même critiquable en matière de goût ; c'est que vous ne l'avez pas compris, que vous n'aimez pas Bowie, que vous n'avez rien pigé à l'ensemble de sa carrière et à la musique en général, et qu'il ne vous reste plus qu'à aller retourner Lady Gaga. Dictature moderne. Heureusement pour mon cul, j'ai apprécié l'ultime œuvre terrienne de Major Tom, je suis donc dans le coup et ne mérite pas de fermer mon blog. Merci.
Néanmoins, n'en voulez pas aux pauvres novices qui n'ont pas aimé Blackstar ; passer de « Let’s Dance » au titre éponyme, imaginez le choc ! Blackstar n'a rien d'un single et a pourtant, a été érigé en tant que tel pour célébrer sa mort ; ça devait passer crème à l'époque de « Station to Station » mais dans notre ère numérique et aseptisé, ça n'a rien à foutre sur nos ondes ! On a tout chamboulé notre « top 50 », Ziggy Stardust côtoyant Maître Gims et Kendji, Halloween Jack dégageant Guetta et Bieber, Thin White Duke s'occupant du reste (Bye Adèle)… avouez-le, ça fait du bien ! On a également nos présentateurs de télé, qui par un Philippe Manoeuvre exaspéré, ont appris que Bowie n'était pas que l'homme de quelques tubes, adulé encore par la nouvelle génération. Merde alors !
Pour revenir à l'album, si je peux comprendre les personnes qui ont des réserves, c'est sur le fait que Blackstar fout assez mal à l'aise. Si David Bowie a toujours eu un profond intérêt pour l'occultisme, ce n’est pas forcément notre cas. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'il était réellement reptilien ou satanique, comme de nombreuses vidéos « débunkage » tentent de le prouver (suffit de taper dans votre barre de recherches pour en trouver des tonnes)… d'autant plus que son enterrement a été réalisé dans le plus grand des secrets… Par contre, Blackstar est bien l'apogée de cet occultisme, mariage avec la mort aidant, peut-être son album le plus bizarre (car il y a finalement très peu d'expérimentations). Je ne peux m'empêcher de m'imaginer un malade cancéreux à l'origine de ces sept titres et non plus l'idole au mieux de sa forme. Blackstar m'angoisse assez en vérité, ces chants plaintifs de Bowie, semblant agoniser, ces « I’m a Black Star » en boucle, ces sons dissonants tout au long, ces tristes airs de sax, ces ambiances…
Et c'est bien là encore qu'il faut saluer l'artiste. Il joue sur tout ça ! Conscient de sa propre mort arrivant, il nous livre une introspection sur le thème de la maladie, du deuil et de la mélancolie, mystérieux comme à son habitude, mais très sombre, à l'image du titre. Très peu auraient osé ça, la plupart des grands encore vivants préférant jouer sur leur immortalité exacerbée, ne voulant pas s'avouer qu'un jour, ils ne seront plus. Sur le sujet, Bowie rattrape encore une fois tout le monde, un tour d'avance, toujours aussi lucide. S'il était encore en vie, on aurait quand même été attrapé par cette sensation de malaise qui se dégage de l'ensemble, on aurait dit: « Oulaaa… Il va pas bien notre Bowie. Non… c'est pas possible… Pas lui… ». Et paf, c'est terminé… Blackstar est une œuvre préparatoire à la mort, un dernier coup d'éclat, de génie.
"Faire quelque chose de sa mort, quelle expérience glorieuse ! Ne laissez pas votre mort traîner dans un coin, inutilisée..."
Bowie pour les Inrocks en 1996
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