L'ultime album de la légende de la pop britannique vient à peine de sortir que David Bowie disparait cruellement du monde, rejoindre les étoiles dont il a tant et tant parlé dans ses chansons. Blackstar sonne donc comme un testament, un album aux sonorités morbides et prémonitoires mais aussi plein d'élégance et de bizarreries martiennes et intersidérales. Loin des albums de trop des stars vieillies par les années, Blackstar est d'une qualité remarquable. L'album s'avère une compilation de différents morceaux venus d'horizons divers, notamment le titre Lazarus, issu d'une comédie musicale dont Bowie a signé la musique récemment. Mais, interprété par un ensemble jazz new-yorkais et teinté d'une noirceur électronique étrange, il parvient à une remarquable cohérence.
Mais si Bowie nous livre toute l'étendue de son incommensurable talent, il n'abandonne pas pour autant sa capacité à innover, en témoigne la chanson éponyme de l'album et introductive, longue complainte étrange, entre jazz et musique électronique, leitmotiv lancinant et orientalisant, ligne de basse dure et grave. S'enchaînent choeurs sortis d'outre-tombe, son électrique lourd et cuivres nostagiques. Le saxophone est omniprésent tout au long de l'album, premier instrument de David Bowie. Le thème de la religion, devenu une obsession pour cet homme malade depuis plusieurs années hante la chanson de son ambiance macabre et irréelle.
Tis a Pity She Was a Whore est une chanson à l'influence trip-pop et jazz, mêlant dissonance et rythme entêtant, s'inspirant de l'oeuvre éponyme écrite par John Ford au 17ième siècle, l'histoire d'un homme perdu entre ses vices et sa foi grandissante, toute l'histoire en somme de ce personnage extravageant que fut David Bowie. Les paroles sont violentes et crues et l'ambiance se fait toujours plus sombre tandis qu'un saxophone appuie d'une mélodie martial, comme un appel de trompette, les frasques du chanteur.
Lazarus met en scène la mort du chanteur qui continue de maîtriser de bout en bout son immense carrière. Il est le maître du temps. Le saxophone a sa part belle dans un chant qui résonne comme le dernier du cygne, rattrapé par une ligne de basse violente qui se fait de plus en plus présente. Lazarus, le titre phare, est une chanson testament dont le clip montre un David Bowie dans son lit d'hôpital agonisant. "Look up here, I'm in heaven ; I've got scars that can't be seen". On connait la manie qu'à Bowie de contrôler le moindre aspect de sa vie et ses sorties de scène et ici, il nous l'offre avec une chanson lourde de sens. David Bowie, le visage bandé, le regard voilé du mourant, les mains amaigris et squelettiques se livre à une ultime danse macadre et douce-amère.
Sue est un titre plus rock, proche même du hard-rock dans sa mouvance où le riff de guitare fait tout, renforcé par une ligne de basse excellente. La chanson est déjà sortie il y a plusieurs mois mais a été retravaillé ici pour s'intégrer à l'album. Il rappelle les heures les plus sombres du chanteur, les années 80 où il abandonnait sa pop déjantée pour une musique plus punk.
Girl Loves me commence par une phrase vocale overdumbée et synthétisée, sur des rythmes encore très influencée par le trip-pop. Le refrain est lancinant, lourd, "Girls Loves me", répété par un choeur sombre et grave, avec des accents orientalisant.
Dollar Days est marquée par une mélodie douce et des billets de dollars que l'on froise. Le ton est typiquement Bowie, ballade avec piano puis le morceau, crescendo, s'oriente vers le rock, avec la présence de la guitare électrique qui développe un solo.
I Can't Give Everything Away semble également marquée par l'apaisement. On reconnaitrait parmi tous le style si cher à David Bowie, qui évoque avec regret tout ce qu'il n'a pas pu donner. Sa voix prend de l'ampleur. Voici l'ultime morceau et l'ultime témoignage de la voix du chanteur, reconnaissable parmi toutes. Le morceau donne tout ce qu'il a : saxophone, basse, batterie guitare qui se laisse emporter dans un solo lumineux, et c'est ainsi que termine la légende, par une note haut perché de guitare qui s'évanouit dans la nappe des synthétiseurs et qui se tait, à jamais.
A peine sortie et David Bowie meurt et l'oeuvre prend alors un tout autre aspect, celui d'un testament, maîtrisé de bout en bout. Il sort par la grande porte, avec brio et noirceur signant une oeuvre synthèse originale. Il l'a voulu ainsi et il nous quitte ainsi, dans la noirceur d'un album étrange et hypnotique. Blackstar est protéiforme et typiquement Bowie, à l'image finalement de l'homme caméléon que le chanteur britannique était et qui continuera, de son oeuvre spatiale à nous faire lever les yeux vers les étoiles. The Rise and Fall of Ziggy Stardust.