Profitant d'une solide insomnie venue d'on ne sait où (Ebow et ses propositions insidieuses ?), je tâche de la mettre à profit, consolidant une fois encore ma position de je-critique-deux-jours-après au sein de notre assemblée. Pour le coup c'est à propos de quelque chose que je connaissais déjà plutôt bien, ce qui aide un peu.

Je crois qu'avec ce genre de musique il y a un postulat de départ qu'il ne faut surtout pas rater : nous n'écoutons pas Bach.
Passé ce cap, plus rien ne nous empêche d'apprécier pleinement ces musiques, qui disons le clairement, rayonnent de bonheur et de clarté.
Ça fuse de tous les côtés, à base de petits « dabadaba » énergiques et autres onomatopées toutes plus réjouissantes les unes que les autres.

Chose amusante, le contrepoint n'en ressort que plus nettement (plus lourdement diront les mauvaises langues), les onomatopées obligent par leur nature (la consonne) à un regain de précision rythmique qui contribue à dessiner plus nettement les lignes mélodiques qui se superposent et s'entrecroisent. Enfin, elles ne s'entrecroisent jamais au sens propre du terme, Bach savait composer, nous sommes civilisés.

Alors c'est sûr que pour quelqu'un qui voue un culte ultime à la Cantate du veilleur (par Harnoncourt svp, restons polis, Gardiner peut aller prendre un bon tranxene 50 avant d'y remettre les pieds) comme moi, la reprise a de quoi faire dresser un peu les cheveux sur la tête. Jugez-donc, ceci : http://www.youtube.com/watch?v=3sj-NKqR0tw à 14'41 devient ce que vous avez tous et toutes entendu. C'est effectivement crucifier Flamel la tête en bas, lui poser des couronnes d'épines sur les pieds, et lapider la croix en évitant soigneusement le corps. Changer l'or en plomb.
Mais ça, ce serait oublier mon tout, tout, tout premier point. Dès lors que l'on s'interdit cette comparaison fatale, on a... autre chose. Quelque chose finalement de très funky. Tout y est plus jazzy, rebondissant, ça swing, une contrebasse vient nous transformer la ligne de basse en un walk surréaliste, et l'on se paye même le luxe d'une batterie toute en balayettes.
Puis comble du comique, ce sont les chœurs qui semblent répondre par contraste, opposant aux onomatopées de consonnes leurs vocalises de pures voyelles.
Beaucoup d'humour, c'est frais !

Alors bien sûr, ce concept a depuis été usé comme cette peinture de Chaussures, de Van Gogh : http://tinyurl.com/as664po
Et plus particulièrement par la culture techno, fait amusant. Faut dire, ils ont été nombreux à jouer avec ces appareils aux sons nouveaux et étranges. http://www.youtube.com/watch?v=ArKNW-zovsA , pour éviter le lieu commun que représente Wendy Carlos. Youtube regorge de versions plus ou moins (souvent nettement moins) réussies de petites expériences comme ça, de gens qui n'ont pas compris qu'en 2013, ça faisait une trentaine d'années qu'on le faisait, et que ça avait perdu une partie de son intérêt. Alors on a droit à l'ajout de batteries dégueulasses, d'effets ridicules, etc etc.
Si quelqu'un a la motivation de retracer un petit historique des adaptations successives de Bach par la musique populaire, je lui en serais bien reconnaissant.

Mais le top reste bien évidemment les fugues. Comme je le disais plus haut, les rencontres mélodico-rythmiques n'en sont que plus vivantes, effervescentes, dynamiques, c'est proprement un nouveau souffle. Le genre s'y prête très bien, et l'on se surprend à jubiler devant une telle inventivité vocale. Je sais pas vous, personnellement y'a des moments où simplement dire « dabadabada » en même temps qu'eux, sans même penser à le chanter sur des hauteurs parfois très différentes, j'en suis incapable, faute d'une vitesse suffisante. Alors pensez, une musique écrite pour des instruments, avec des difficultés différentes donc, et qui ne prend pas du tout en compte de la même façon le problème de la difficulté d'intervalles. Pour faire une octave sur mon saxophone, je n'ai a appuyer que sur une simple clef. Vocalement, ça exige une mobilité de la gorge et des cordes vocales extrêmement plus complexe, un positionnement éclair, autant de choses qui rendent l'interprétation vocale de parties instrumentales souvent nettement plus complexes (ça peut être l'inverse aussi).

Je crois quand même que je les aurais préféré a cappella, encore plus funky.
L'agilité vocale n'en aurait été que plus renforcée, soulignée. Elles l'ont fait plus tard d'ailleurs, si ma mémoire ne me trahit pas une énième fois.
Car l'un des points forts essentiels de cette formation reste son étrange maîtrise vocale. Maîtrise de chacun, mais aussi du timbre de la voix du groupe, de tous et toutes assemblés. La dynamique, le travail de nuances, pas de doutes, on est pas dans de la pop ou une quelconque musique de sauvages dont on me repaît les oreilles trop souvent ces derniers temps, mais bien chez des gens issus du jazz et de la musique classique.

A mon humble avis, il ne faut pas faire l'erreur de sous-estimer trop ce genre. On y trouve un équilibre entre des composantes très disparates, et le traitement d'un sujet on ne peut plus casse-gueule réalisé avec intelligence et une finesse manifeste. Une maîtrise vocale souvent irréprochable, et ce qui aurait pu se présenter comme un film de Béla Tarr, euh, je veux dire, comme un fastidieux exercice de style et de forme, nous apparaît avec une légèreté purement capraienne.

Ça reste typiquement le genre de musique dans laquelle on a pas envie de chercher les défauts.
Oh, ne nous leurrons pas, ils sont en fait assez nombreux, mais cette impression charmante de gaîté naturelle qui en ressort est tellement contagieuse que l'on se surprend à chercher la pensée positive et à chasser le moindre nuage.

Toutefois, s'il fallait, je dis bien s'il fallait (mais je sais bien qu'il le faut, autrement ma conscience ne me laissera pas en paix, et je ne trouverai jamais le sommeil) aller chercher la petite bête, chatouiller la où ça gratouille (l'horreur), on pourrait toujours souligner l'étrangeté du choix des morceaux.
On saluera l'esquive d'une maladresse trop fréquente stigmatisée dans le phénomène hideux du « best-of » en musique classique (jen parle déjà quelque part, à propos de Bach d'ailleurs), cependant le choix des morceaux laisse à douter. Regrettable que la moitié des morceaux viennent du « Clavier bien tempéré », et si la fugue nous l'avons vu magnifie le genre de ces reprises, plein d'autres pistes auraient pues être exploitées, surtout avec cette formation confortable aux mille possibles qu'est le quatuor doublé. Pas une « Passion », les « Variations Goldberg » semblent être destinées à un autre monde, l'Oratorio de Noël n'a jamais existé, Bach n'a jamais été maître de chapelle et de son orgue, et composé à peine plus d'une poignée de cantates dans sa vie.

Mais l'un des principaux reproches que l'on puisse faire à cette musique serait de parfois être trop brouillonne, mal définie.
La faute bien sûr à l'annihilation du travail de timbres, et même s'il était déjà secondaire chez Bach, la réduction de toutes ces textures musicales opposées à différentes voix, ne pouvait qu'aboutir à des confusions au niveau de l'ouïe.

Aussi, je préfère peut-être leur travail en temps que Double Six, l'ajout de réelles paroles donnaient une rare profondeur au travail, et même si les résultats n'étaient pas toujours réussis à la perfection, l'impression générale de folie à peine légère était décuplée. Peut-être dû à l'incroyable originalité du projet aussi, quand ici, vu par un auditeur du XXIe siècle, le projet paraît assez banal, la faute à un nombre de copieurs toujours croissants.
A ce propos, on m'a infligé récemment l'inverse, un pianiste qui reprenait des morceaux populaires, type Justice, Daft Punk, et compagnie. Je ne veux même pas m'attarder sur le calvaire auditif que ce fut. Par respect pour mes lecteurs, je tairai son nom ici, afin qu'une curiosité mal placée ne porte préjudice à personne.


Maintenant je vais tâcher de dormir, et si je n'y arrive pas, je pourrai toujours casser les jambes de Gardiner et lui piquer son tranxene dont il me sait friant.
Mais comme il serait plus qu'inconvenant de finir ainsi, je vais en profiter pour vous faire partager ce canon qui cristallise tout l'aspect réjouissant – empreint toutefois ici d'une très légère nostalgie – de cette petite entité sonore qu'est The Swingle Singers : http://www.youtube.com/watch?v=6WachC7CN0Y , remercier Hélice de sa charmante proposition, et vous tirer ma révérence en me glissant sous mon épaisse couette en plumes.
Adobtard
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le 12 mars 2013

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