Foreverland
7.2
Foreverland

Album de The Divine Comedy (2016)

En tant que vecteur d'émotions, la musique pop a toujours puisé ses sources d'inspiration sur deux grandes voies, l'une et l'autre complémentaires. Il y a la recherche du bonheur d'une part, et les relations amoureuses de l'autre. L'œuvre de The Divine Comedy n'a jamais échappé à ce cliché, et ce n'est pas Foreverland qui prouvera le contraire. Six ans ont passé depuis Bang Goes the Knighthood et l'on attendait une suite aux aventures d'un des plus singuliers génies de la pop.


Nous sommes accueillis par un Napoleon Complex assez classique. Une instrumentation enjouée et agréable, un rythme soutenu, quelques chœurs. Et puis la voix d'Hannon. Bien plus fluette que dans ses habitudes. Elle est pour moi un des premiers défauts de l'album : celle-ci ne semble avoir aucune puissance, comme si Hannon avait de la peine à chanter. Le ton est souvent le même au fil des morceaux, et ce sera du coté de l'instrumentation qu'il faudra chercher son bonheur. Peine perdue : celle-ci est relativement simpliste, et suit des mélodies qui n'ont rien d'original. Certes, elles sont agréables. Mais on peut s'attendre à mieux venant de The Divine Comedy, non ?


On pourrait croire que Foreverland est un échec. Pourtant, ce n'est pas mon avis. Je peux toujours pester contre le fait que Hannon ne fait plus la même musique qu'avant. Mais vouloir absolument ressentir la même chose qu'avant est non seulement impossible, mais aussi contre-productif. Evidemment que Hannon ne peut plus faire la même musique que dans ses jeunes années. Le temps a passé, et le voici désormais à vivre une seconde vie avec Cathy Davey, véritable éminence grise de l'album et muse/double d'Hannon. Inutile donc de passer son temps à regarder en arrière, car Foreverland possède un charme bien à lui, même s'il n'est pas immédiatement accessible.


Foreverland est même plutôt énervant lors des premières écoutes. Hannon semble si heureux, si apaisé. Même s'il essaye parfois de nous faire croire le contraire ("I Joined the Foreign Legion", "A Desperate Man"), on ne peut s'empêcher d'en vouloir plus. Plus d'émotion, de baroque, de grandiloquence ! Il faut que Neil soit triste pour nous donner quelque chose de mieux !
Seul "To The Rescue" satisfera les amateurs de cette facette du groupe.


Mais Foreverland possède une lecture latente, qui est bien plus intéressante que celle que l'on pense entendre au premier degré. C'est l'album le plus secrètement lyrique de Neil Hannon à ce jour. Il décrit la recherche du bonheur, matérialisé concrètement sous la forme d'un lieu soi-disant inexistant, à savoir la mythique Foreverland. Le souci, c'est que Neil Hannon sait parfaitement où se trouve Foreverland, mais l'auditeur ne peut le comprendre puisqu'il ne l'a pas lui même trouvé. Nous nous retrouvons donc condamné à ressentir par procuration le bonheur de Hannon. Foreverland, c'est d'abord et surtout le bonheur de l'union de deux êtres. Tous les morceaux ne parlent que de ça : trouver la personne parfaite pour soi, et ne plus la lâcher. Neil l'a trouvé, et tout se passe à merveille. Même si certains problèmes pointent à l'horizon (la jalousie sur "Other People", la dépendance sur "How Can You Leave Me On My Own"), la tristesse et l'insatisfaction n'ont plus de sens et ne peuvent plus être utilisées comme sources d'inspiration. Ce sera donc le bonheur et la paix intérieure qui régneront sur l'album. Ce qui ennuiera grandement les amateurs anonymes de déplaisirs.


Autre point qui ne trompe pas : l'absence du désir. Ce dernier était omniprésent sur toutes les œuvres d'Hannon dans le passé. Casanova y était même entièrement dédié. Dans Foreverland, il laisse totalement sa place à l'amour. La preuve ultime que nous sommes face à un album assurément à part dans la discographie du groupe. Une œuvre lumineuse et apaisante. Rien d'extraordinaire. Mais elle a le mérite d'exister et d'être fidèle à elle-même. C'est inutile de taper sur Foreverland si l'on voulait un autre Casanova. Ce serait lui demander d'être ce qu'il ne peut incarner.


De manière générale, je n'ai jamais trouvé que les albums de The Divine Comedy passaient très bien en fond sonore, en compagnie d'autres personnes. Ils sont trop variés, trop orchestraux, ils nécessitent une oreille attentive. Foreverland c'est le contraire : il délivre une ambiance accessible, l'émotion est immédiatement compréhensible (mis à part "Other People", qui n'a rien à faire là et qui est le plus court chef d'œuvre du groupe).


Foreverland ne marquera peut-être pas les esprits, pourra décevoir les fans du groupe. Personnellement, je le vois comme une autre réussite, une autre facette de l'œuvre complexe d'un groupe faussement populaire. Mais cette facette ne peut être appréciée qu'après plusieurs écoutes attentives, lorsque nous laissons enfin de côté les standards que l'on accordait à l'album, en comparaison de ses aînés.
Cela aurait pu être encore meilleur certes. Mais on peut toujours faire mieux, et le contexte n'y était pas.
Tant pis ? Non. Tant mieux.


(Et je ne comprendrais jamais pourquoi In May doit-il rester aussi secret.)

Mellow-Yellow
7
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le 30 janv. 2017

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Mellow-Yellow

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