Lust for Life
6.8
Lust for Life

Album de Lana Del Rey (2017)

      Elle aura fait baver beaucoup d'encre numérique cette Lana depuis sa percée sur Youtube il y a de ça six ans. Énième arnaque mainstream et artificielle, vulgaire parodie botoxée de Mazzy Star pour certains, nymphe envoûtante, mystérieuse et condensé d'un mythe Américain perdu pour d'autres ; comme toute PopStar, Lizzy Grant déchaîne les passions. Au point, si je me souviens bien, de se prendre un énorme bad buzz à la sortie de son premier album Born To Die (alors qu'il s'agit sans doute de son meilleur) du à la furie haineuse de certains trolls. De Lana Del Duck à son manque de prestance scénique, tout était scruté et sujet à moqueries. En grand défenseur des opprimés de la Pop, j'avais pris la dame sous mon aile de mélomane, en mettant en avant, non pas le personnage, mais sa musique, d'une qualité mélodique dépassant tout les artistes qu'elle aurait copié ou plagié. Pourtant, même si j'admets que son univers musical est né d'un amas d'influences (lequel ne l'est plus aujourd'hui ?), je mets au défi quiconque de me trouver un mélange similaire dans la tambouille actuelle. Cette voix incandescente, ces rythmes Trip-Hop, ces arrangements orchestraux, ces ambiances lynchiennes, ces gimmicks pénétrants  ; toute cette infusion sous Reverb’ était aussi nécessaire qu'unique au début de la décennie, comblant un trou dans les charts qui avait été laissé par des artistes comme Chris Isaak.
Pour ce qui est du personnage, j'ai toujours eu du mal à le calculer. D'un côté il y avait cette fantasmagorie d'un Hollywood déchu qu'elle extrapolait dans ses clips bariolés, d'un autre, cette grande perche un peu frêle, tendue et timide sur scène, qui cherche ses notes, chante un peu faux… Les deux m'inspiraient ; comme une muse aussi paumée dans l'époque qu'elle fantasme que dans le temps présent. Et ses albums jusqu'à Honeymoon allaient de paire avec cette idée, choisissant de se perdre de plus en plus dans un abîme sonore, sa voix fantomatique finissait par s'effacer dans l'univers qu'elle avait rêvé (à lire, si vous la retrouvez, la très belle chronique des Inrocks sur ce troisième album). Et alors que je m'étais pris moi-même à rêver d'un nouveau encore plus abstrait, tendant vers un irréel absolu, sort la pochette de ce quatrième album, où nous la voyons sourire, comme possédée, pour célébrer « L'Amour, plus fort que la Haine »… à la façon de l'affreux « We Got the Power » de Gorillaz…
Pour ne pas changer, il y a quelque chose de très schizophrène dans ce Lust For Life. Nous avons d'une part une envie de Lana d'en découdre avec la réalité, avec cette ère Trump qui semble gêner une grande partie du monde occidentale (bien plus que les guerres de ses prédécesseurs) et d'une autre part, comme toujours, une prédilection pour le fantasme (n'a t-elle pas voulu régler le sort du président Américain par la sorcellerie ?)… Alors qu'on pouvait s'imaginer quitter le personnage inventé pour retrouver la vraie Lana, sincère, telle qu'elle est vraiment sur scène et dans la vie de tout les jours, un peu timide, un peu banale, on se retrouve avec ce sourire faussé sur son visage. Et on se dit qu'on va tout de même avoir du mal à y croire à cette propension à l'Amour, à l'espoir, elle qui a toujours chanté la mélancolie, le désenchantement. Tout l'album baigne entre ces deux eaux, même musicalement ; la production sonne très moderne, urbaine, avec pas mal de rythmique trap mais elle est encore mélangée à la Dream Pop orchestrale et sous reverb’ habituelle… Une sorte de “Born to Die” 2017.
Oui mais non. Alors que Born to Die enchaînait les tubes, Lust For Life enchaîne les faux pas ; un duo avec The Weeknd qui en fait trop pour qu'on y croit, d'autres feats peu mémorables, des morceaux mélodiquement faibles comme « Cherry » ou « White Mustang » (ces titres l'auraient bien plus inspiré à une époque antérieure), un brouillon naïf écrit à Coachella (au mieux, tu fous ça dans tes pistes bonus), un de ces slogans « Beautiful People Beautiful Problem » dont raffolent les ultra-libéraux (dommage, j'aime beaucoup la voix de Stevie Nicks dessus), un plagiat flagrant de « Creep »… C'est la première fois que l'ennui me frappe aussi vite sur un Del Rey… et c'est son plus long (72 Minutes). Ces pièces ne sont pas totalement dégueulasses, il y a de beaux airs, de l'idée, mais elles ne sont point magiques de A à Z, elles auraient mérité d'être améliorées. Ok, elle chante seule avec un piano sur « Change » mais y a t-il de quoi s'extasier ? Les notes en fond de « Summer Bummer » confère une belle ambiance à cette Trap mais pourquoi ces « Yep » ridicules tout au long ? Asap Rocky est-il vraiment utile à la fin de « Groupie Love » ? La prod’ de Sean Lennon est efficace mais est-il obligé d'imiter son père à ce point vocalement ? Et pleins d'autres questions du genre…
Au milieu de toutes ces semi-déceptions restent des très belles chansons ; « Love », « God Bless America - And All The Beautiful Women In It », « In My Feelings »… mon véritable coup de cœur vient de « When the World Was at War We Kept Dancing ». Ce crescendo mélodique en cinq parties est un de ses meilleurs, sa voix se métamorphosant, changeant de gravité de partie en partie et si sûre d'elle que le dernier refrain à 4:10 est chanté un ton en dessous, alors que la logique Pop aurait voulu le contraire, qu’elle monte. Et elle réitère le coup du fantasme romantique, ici appliqué à la Guerre… presque maladroit, puisque si durant le Vietnam, il est vrai que sous drogue psychédélique, certains militaient en dansant, va dire à un Juif que tu dansais pendant la Seconde Guerre ! C'est dans ce lot de maladresses et de bonnes idées que réside le charme de Lust for Life ; loin d'une réussite totale, l'artiste s'offre et ose assez pour garder notre intérêt captif.
Sortie de son personnage, que reste t-il ? Lana a beau vouloir se faire passer pour une icône glamour, au final, elle n'est que la fille banale qui tombe amoureux du voyou (Asap Rocky) ou du lover (The Weeknd) de ton lycée, la copine un peu maladroite, qui sourit bêtement sur sa couverture d'album, qui te sort des répliques qui auraient même tendance à gêner certains gauchistes. Si elle semble maintenant un peu plus vraie, va t-on pouvoir se contenter de cette vérité ou allons nous aussi nous morfondre, nostalgique, dans l'objet fantasmé ?
Strangeman57
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le 7 sept. 2018

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