https://www.youtube.com/watch?v=9wflvuzLm2o


Sékou aime les voitures ; en cela il pourrait n'être qu'un citoyen comme tant d'autres. Après des études d'économie, il a enseigné durant une dizaine d'années, puis il a intégré une PME comme comptable unique. Son patron lui a confié des responsabilités commerciales. Un parcours, somme toute, classique.


Sékou a un travail, deux hobbies et un devoir. Le premier de ses violons d'Ingres est la voiture. Pour qui douterait du caractère collectif de cette passion, je lui proposerais de tenter de s'infiltrer au Salon de l'Automobile par un beau week-end d'octobre. Sékou les aime au point de leur donner une nouvelle chance, après les avoir sciées en deux. Il est né en Haute-Guinée au sein d'une famille de commerçants. Pour faire plaisir au vieux, il est entré à l'université de gestion de Conakry, puis a poursuivi à Paris, mais sa véritable passion était le commerce, son deuxième passe-temps. Reste le devoir ? Aider la famille restée au pays. Alors, il a réussi à joindre devoir et passions.


La Guinée est un pays pauvre, grand comme les deux tiers de la France, peu peuplé ; à peine huit millions d'habitants. Les distances sont longues, les moyens de transport rares, le réseau ferré légué par les colons est à l'agonie, les lignes aériennes intérieures, confiées à de rares et obsolètes bimoteurs russes, découragerait le plus aérophile des passagers, l'automobile y est donc reine.
Sékou a débuté en rapportant quelques pièces détachées en bagages accompagnés. Puis, il a rempli des cartons et est passé aux containers. Il s'est associé à des casses automobiles. Il s'agit de désosser des épaves, de Peugeot ou Renault, des 504 et R12 en priorité, les premières seront taxis de brousse, les secondes taxis urbains. Il complète par des pièces de Corolla, en n'auriez-vous pas une à céder ? C'est solide une Corolla ! Il est toujours preneur pour un bon modèle. Il achète dans des casses, sur annonces, ou dans la rue. Quand un véhicule intéressant se présente, il aborde le chauffeur, il paie cash, en liquide, tout de suite. Il contrôle, clôt et expédie. La famille reçoit, déballe et revend. Le système est rodé. Il s'est perfectionné avec le temps : il achète sur commande, cinquante pour cent sur devis, le solde à la livraison. La rentabilité est meilleure, car les prix sont sensibles. Il suffit d'une pénurie locale pour qu'ils flambent, avant chuter au premier arrivage de navire. Une vraie loterie.


Il s'est pris au jeu ; jeu avec les cours ; jeu avec les douaniers. Les importations sont soumises à des taxes, qui constituent la seule ressource du gouvernement, avec la bauxite. Tout particulièrement celles de véhicules ; comment faire pour accroitre sa marge ? Il a joué, comme tout le monde, sur le colisage : " Je déclare des pneus d'occasion, mais j'oublie les alternateurs calés dans les pneus ou le petit électroménager ". Les douaniers sont dans l'impossibilité de tout ouvrir... Le souhaitent-ils d'ailleurs ? Ils peuvent mal voir… il suffit de détourner leur attention. Vous devez déclarer le camion, mais est-il vide ? Celui-là était plein de congélateurs, les congélateurs de boîtes de conserve, des boîtes attendues par un grand restaurant de Conakry.


C'est un jeu. Comment passer à une vitesse supérieure ? Comment faire mieux ? Il a réfléchi. Que peut-on mettre dans un container de vingt pieds ? Une voiture ne rentre pas, pourtant si seulement il pouvait en glisser une, cachée sous les pneus. Une voiture non, mais une demi-voiture si. Même six demi-voitures, à condition de les choisir petites, de les couper en deux et de les empiler. Un casseur a joué le jeu, des Renault 4, à découper au niveau des portières. La famille n'aura qu'à ressouder. Et ça roule, bien même. J'aime à penser que les 4L circulant à Conakry sont arrivées en deux morceaux, par jeu… et pour nourrir la famille. (1996)


PS Que Bashung ne m'en veuille pas trop, d'avoir tiré de sa chanson ce portrait d'un vieux copain.

SBoisse
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Portraits, à lire en musique

Créée

le 10 févr. 2018

Critique lue 237 fois

19 j'aime

11 commentaires

Step de Boisse

Écrit par

Critique lue 237 fois

19
11

Du même critique

Gran Torino
SBoisse
10

Ma vie avec Clint

Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...

le 14 oct. 2016

125 j'aime

31

Mon voisin Totoro
SBoisse
10

Ame d’enfant et gros câlins

Je dois à Hayao Miyazaki mon passage à l’âge adulte. Il était temps, j’avais 35 ans. Ne vous méprenez pas, j’étais marié, père de famille et autonome financièrement. Seulement, ma vision du monde...

le 20 nov. 2017

123 j'aime

12