A Broken Frame par Strangeman57
1982, un an après leur premier essai, Vince Clarke décide déjà de quitter le groupe, partant vers d’autres contrées, donnant son excentricité pop à d’autres formations New Wave comme Yazoo ou Erasure. Ces groupes, dont il est aussi le fondateur, connaîtront des carrières (auxquelles je m’intéresserais bientôt) plus courtes et bien moins intéressantes que celle des Depeche Mode. Cette deuxième pièce de la discographie des anglais sera la première de la trilogie dite de la « reconstruction » ; on efface tout et on recommence ! La formation prendra le temps de trois albums pour se défaire de l’image kitsch et gai donnée par Clarke. « A Broken Frame » est considéré par beaucoup de fans comme le moins bon de leurs albums. A raison ?
Le problème principal est plutôt logique, l’ombre de Clarke flotte sur une partie des compositions, ici entièrement signées par Martin Gore (comme il en sera souvent le cas). Ce dernier se sent encore obligé d’offrir des pop-songs joyeuses à son public puisque c’est de cette façon qu’ils l’ont conquis sur « Speak and Spell »… Mais Martin Gore n’est pas Vince Clarke et jamais on atteindra le niveau d’un « Just Can’t Get Enough » ou d’un « New Life ». Surtout que les deux premiers singles choisis n’en sont que de pâles imitations ; « See You » et « The Meaning of Life ». Ce dernier cité n’arrive pas, par ses synthés plutôt discrets et doux, à fédérer et à attraper l’auditeur pour le foutre sur la piste ; on sent une production faiblarde derrière, on n’y croit pas du tout. Il en sera de même sur « A Photograph of You », qui n’aura décidément rien à voir avec le « Photographic » du précédent album. « Satellite » s’essaye à une sorte de reggae synthétique, rien de très innovant ou réussi, on lui préférera les albums à sonorités électros de Police sortis dans la même période. Par contre, toujours dans cette tentative d’imiter la candeur de Clarke, « Nothing To Fear » est un très beau morceau, essentiellement instrumental (et c’est tant mieux, Gahan n’étant pas encore au meilleur de sa forme).
C’est quand il se démarque et qu’il tente de créer la future patte de Depeche Mode que le trio s’en sort le mieux. Ainsi, le troisième single « Leave in Silence » qui ouvre l’album montre d’emblée une nouvelle direction, d’une ambiance plus religieuse avec ses choeurs graves et ses fins accords de piano glock. L’atmosphère inquiétante que dégagent les synthés de « Monument » est encore plus obsédante et emprunte, encore une fois, beaucoup à Kraftwerk. Si ces deux pièces sont des réussites, tout n’est pas rose non plus dans les expérimentations de Gore. « Shouldn’t Have Done » qui conclut l’opus, bien que jouant la carte du minimalisme, relève un autre défaut récurrent sur « A Broken Frame » ; l’impression que les compositions ne sont pas complètes, parfois aléatoire, que le mixage forme un ensemble presque vide et non-connecté avec ses différentes pistes d’instrumentations. « My Secret Garden » confirme cette sensation de flottement qui empêche la pop du groupe de nous frapper comme elle a pu le faire et le fera de nouveau par la suite.
Je ne peux pas encore dire si « A Broken Frame » est le pire album des Modes car je n’ai parcouru pour l’instant que la moitié de leur discographie. Par contre, il risque effectivement ne pas être dans le haut du classement, peu de titres aillant retenus mon intention. Ils s’en sortent néanmoins honorablement pour un groupe qui vient de perdre sa tête pensante. C’est l’ensemble qui a alors été fragilisé, à l’image de la production, des compositions ou du texte… Ce courage, cette volonté de persister dans le milieu mérite que l’on ne crache pas entièrement sur cet album ; il faudrait au contraire le bichonner pour cette nouvelle voie dans laquelle il les a lancés.