Les tréfonds de l'intime / Les origines du mythe

Radiohead, véritable étoile de l'industrie musicale, redescend de la Galaxie d'Andromède avec A Moon Shaped Pool. On ne le répétera jamais assez mais le groupe Radiohead est unique. Unique car il a su être un mouvement, une vague musicale, un battement hétérogène.

C'est en 1992 que les anglais de On A Friday prennent le nom de Radiohead et sortent un premier single qui, un an plus tard, deviendra un succès planétaire. Creep marque déjà les bases d'un groupe montant. En effet, que ce soit à travers le spleen enchanteur, envoûtant, et déchirant de son leader Thom Yorke qui nous ferait presque oublier la qualité évidente des autres musiciens mais aussi de part les violents coups de guitare du frère du squelette harmonique du groupe, Jonny Greenwood, l'ensemble est d'une efficacité redoutable. Mais Creep n'est pas pas seulement un single fondateur des années 90. Le groupe savait que ce morceau allait être efficace et Jonny Greenwood, par contestation, tenta de saboter le morceau pendant son enregistrement en frappant violemment sa guitare avant le couplet et, contre toute attente, marquera les esprits en rendant le single si percutant. En effet, Radiohead est né dans la complexité de ses musiciens.

Radiohead a une carrière magnifiquement riche et fascinante. Que ce soit à travers leurs deux premiers albums, respectivement Pablo Honey et The Bends, tenant de la pop-rock, le groupe va alors entamer sa première longue série de prise de risques avec Ok Computer. Véritable virement à 180 degrés, ce troisième album est un véritable chef-d'œuvre tant l'aspect intimiste dans les mélodies, la densité des compositions et les sonorités semblent sortir d'un rêve complètement fou. Après une très longue tournée et une célébrité incroyable, les anglais vont alors s'enfermer de nouveau dans une nouvelle prise de risques fuyant le monstre de popularité qu'ils avaient crée. Sortant de nulle part, Kid A et Amnesiac vont alors frapper les esprits durablement. Abandonnant totalement la sève de son succès, Radiohead va se tourner vers la musique expérimentale laissant, au passage, bon nombre de "fans" sur le banc de touche. Porté par un état d'esprit totalement différent au sein même du groupe, les anglais vont alors accoucher de deux albums d'une réussite incroyable témoignant d'un renouveau assez radical et démentiel. C'est après cette brise expérimentale que Radiohead revient avec un album plus épurée mais témoignant toujours d'une composition très travaillée et étonnante. Hail to the Thief revient à la source en renouant notamment avec la guitare saturée tout en gardant un côté assez expérimental. Le mélange des deux pôles distincts de la carrière des anglais est d'une efficacité assez redoutable et d'une mélancolie assez palpable. Radiohead marque de nouveau l'industrie musicale en nous proposant un petit bijou de finesse et d'émotions. C'était sans compter, en 2007, la sortie d'un nouvel album tenant presque du religieux. En effet, In Rainbows est le premier album indépendant des anglais. Réconciliant la pop-rock, le rock alternatif, la musique expérimentale ainsi que de nombreux sous-genres de leur discographie, In Rainbows est un véritable ovni dans leur carrière. D'une beauté fulgurante, d'une sincérité impressionnante et d'une puissance évocatrice presque sacrée, cet album grave dans le marbre une vérité trop souvent oubliée : Radiohead tient du génie. Et même si The King of Limbs, en 2011, n'a rien à voir aussi bien qualitativement qu'au niveau purement musical, le constat est sans appel : Radiohead est un groupe remarquable. Refusant de rester dans une case et proposant un album débordant d'étrangetés et de sonorités loufoques, Radiohead renoue avec une prise de risques absolument épatante. The King of Limbs est, effectivement, l'album le plus difficile des anglais. Alors, au final, que vaut ce nouvel abum après une si longue absence tenant presque du rituel créatif ?

Avant toute chose, A Moon Shaped Pool est, véritablement, un album intimiste comme Radiohead aime à nous offrir depuis toutes ces années. Nous voyageons littéralement dans une bulle propre au groupe comme si on rendait une énième visite à un vieil ami. Ce nouvel album symbolise ce que Radiohead a toujours dégagé et nous sommes clairement en terrain connu. Après plusieurs écoutes, on se rend très vite compte que ce nouvel album sonne comme une sorte de synthèse d'une carrière grandiose et polyvalente. Que ce soit à travers des samples semblant sortir tout droit de l'ère Kid A avec des pistes comme Ful Stop, le piano mélancolique et la voix presque hypnotique de Thom Yorke avec les morceaux très soporifiques et émouvants que sont Glass Eyes et True Love Waits, Radiohead apporte encore une fois sa patte si particulière et captivante. On saluera les quelques compositions à la guitare acoustique qui apporte un cachet assez réjouissant et, plus globalement, la diversité des compositions qui ne s'égarent pas et gardent une structure extrêmement efficace et agréable sur l'ensemble de l'album. A Moon Shaped Pool est une réussite en tout point. Un nouvelle petite perle d'un très grand groupe dont la qualité des compositions a toujours sonné comme une évidence. La mélancolie est réconfortante et les genres et sous-genres musicaux s'enchaînent avec une maîtrise impressionnante. Radiohead signe un album modeste, assez avenant et ouvert tout en étant très intime et céleste. Réconfortant, énigmatique et poignant, le groupe britannique n'a de cesse de nous absorber, de diluer nos cœurs dans une imagerie fantasmagorique, abstraite et, parallèlement, abondante d'émotions et de tourments. Radiohead n'a pas de nouveau révolutionné l'industrie comme ils l'avaient fait, à de nombreuses reprises, pendant deux décennies mais ils ont le mérite, avec A Moon Shaped Pool, de nous rappeler à quel point ils sont de grands artisans et de grands poètes toujours en conservant une sincérité admirable. On verserai presque une larme en se laissant aspirer par la réverbération qui sonne presque comme un adieu...