Becoming a Jackal
7.3
Becoming a Jackal

Album de Villagers (2010)

Bien avant la sortie officielle de Becoming A Jackal (Devenir Un Chacal, donc), les Dublinois de Villagers font l’objet d’un vrai buzz. Il faut dire que le label Domino a encore dégotté une perle rare. L’effort accompli par Conor J. O’Brien et ses acolytes tient du chef-d’œuvre, le mot n’est pas galvaudé. Collection de titres ultramélodieux et d’une rare finesse. Celui qui ouvre le disque (l’énigmatique I Saw The Dead) donne le ton, avec arpèges de piano, cordes obscures et cette voix tranquille mais profonde qui pourrait rappeler celle de Paul Simon. L’émotion est immédiate. Puis, changement de rythme avec un bridge épique, qui retombe soudain dans une véritable intimité. Puis rebelote. Enfin, la voix se fait complainte et répète “something is missing Darling” et s’arrête très brusquement. Par la suite, les chansons se développent en montagnes russes où les instruments, légion et quasiment tous joués par le dénommé Conor J. O’Brien, sont parfois indissociables les uns des autres, et l’on évoque autant Belle And Sebastian que Leonard Cohen, avec une vraie touche de modernité. Sans conteste l’un des marqueurs pop folk du printemps. (magic)
"Bah, je n’en suis pas sûr. Elles se comptent en centaines, en milliers peut-être. Tout est dispersé sur des cassettes, des carnets…” Ainsi répond, humblement, sans bomber le torse, le jeune Irlandais Conor O’Brien quand on lui demande combien de chansons il a composées dans sa courte vie. A vrai dire, on s’attendait un peu à cette réponse : le premier album de son faux groupe Villagers a beau n’en abriter que onze officiellement, les chansons s’y comptent par dizaines, emboîtées en poupées russes les unes dans les autres, en de multiples et délicieux rebondissements. La dernière fois qu’un tel univers, à ce point formé, imposant et singulier, nous était parvenu d’Irlande, c’était par la grâce de Divine Comedy. Délaissés, voire méprisés par les grands carnassiers de l’industrie londonienne, des musiciens de l’île verte ont ainsi le temps et l’espace de développer des personnalités fortes, de pousser à bout leurs idées et désirs. Contrairement à tant de leurs collègues anglais, ils parviennent à maturité avant d’être happés par la machine : Villagers, fin prêt, vient ainsi de signer avec le prestigieux label Domino de Londres. “Il faut que je m’adapte : ces chansons ont été écrites dans la plus grande solitude et soudain, en quelques semaines, je rencontre plus de gens que dans ma vie entière. Je me pose beaucoup de questions car je suis parti sans le moindre plan de vol. Tout a été fait loin de l’industrie, dans une ambiance de naïveté, de totale inconscience, de joie enfantine. Même les chansons les plus tristes, même celles qui m’ont entraîné dans des recoins de mon cerveau que j’aurais préféré éviter.” Conor O’Brien a beau faire semblant de se plaindre de ces excursions dans le grand noir, il parle pourtant avec effusion, intimité, de la mélancolie, conseillère artistique de tant de chansons qui le hantent. Il la résume à un mot cinglant : blues. “Le blues reste la musique la plus simple et belle du monde. Il y a tant d’empathie : quelqu’un a saigné pour les autres.” A 27 ans, le jeune Irlandais pourrait chanter le blues : son âme porte déjà des rides de vieillard. L’album s’ouvre ainsi sur cette chanson faussement paisible, vite déraillée, I Saw the Dead. Et ce n’est visiblement pas une figure de style. La mort et le carnage ont déjà plusieurs fois fréquenté Conor O’Brien : lui qui parle peu a du coup beaucoup écrit. “Pendant des années, à l’école, je ne parlais quasiment pas. Alors j’ai commencé à écrire à la place. Mais ce n’est pas du tout une thérapie en public. Je me méfie énormément de l’autocomplaisance : dans mes chansons, j’écris des lettres précises à ceux que j’aime, ceux que je déteste, ceux qui sont partis… Ma vie sociale n’a jamais été très riche. Je n’avais qu’une hâte, à l’école : quitter la classe pour enfin être seul, avec mes disques et mes dessins.” Ses desseins, aussi, qui le poussent, très jeune, sur les planches avec le groupe The Immediate – qui flirta avec la gloire des deux côtés de la mer d’Irlande, avant une séparation en 2006 “pour raisons existentielles”. Conor O’Brien entraîne alors son songwriting fondamentalement pop vers d’autres horizons, plus tourmentés, plus accidentés, ourlés d’arrangements qui brillent dans l’obscurité. Son folk gothique, hanté de lumières noires et de mots amochés, a aujourd’hui plus en commun avec Nick Cave qu’avec les petits esthètes de l’americana auxquels on l’a hâtivement associé – de Bon Iver à Bright Eyes. Car s’il est un parolier assez imposant (il parle avec fièvre de l’influence du Narcisse et Goldmund d’Hermann Hesse), Conor O’Brien est également un mélodiste effréné, possédé, travaillant les sons et le sens avec une maniaquerie de dentellier. On avait succombé, sur une première écoute, à la nonchalance, au bucolisme de ses chansons ; des écoutes répétées révèlent au contraire toute leur urgence, leur pointillisme. Son album Becoming a Jackal fait ainsi semblant de sortir nu, simple, dépouillé : la complexité des harmonies, la grâce des mille-feuilles soniques ne se révèlent que plus tard, avec fermeté. Il y a, dans cette grandeur, cette démesure, des relents de Scott Walker, de Prefab Sprout, de Van Dyke Parks, tous ces songwriters qui dépassèrent largement les bornes, certains que la pop-music était un terrain de jeu nettement plus vaste, fertile et dangereux qu’un pré carré. Le jeune Irlandais se souvient d’après-midi de désoeuvrement adolescent passés à tenter d’apprivoiser et comprendre le son de ces illustres ancêtres, avec deux magnétos à cassette et beaucoup de foi. Ils sont le fondement de son amour du studio, “mon terrain de jeu, mon paradis”. On lui demande s’il pense un jour avoir sa place dans ce panthéon qu’il ne visite qu’en se déchaussant, religieusement. Il glousse comme une vierge : “Si je commence à croire ou même écouter ce qu’on dit de ma musique, je suis fichu. Je n’ai absolument pas besoin de validation : sinon, je vais y prendre goût et la rechercher à tout prix. Je préfère rester dans la marge et le flou. Tout seul dans ma tête.” (inrocks)
La vitesse avec laquelle le public s'amourache subitement d'un artiste a toujours quelque chose de fascinant. Fascinant et effrayant. Pour Conor J. O'Brien, irlandais au physique juvénile dissimulant encore mal une certaine timidité en public, on peut dire que les dernières semaines ont été fructueuses. L'ex-leader de the Immediate est en effet passé du statut d'inconnu (hormis pour les insatiables défricheurs du net) à celui de next big thing puis carrément de phénomène surfant sur un buzz savamment orchestré.Officiant désormais en solo (peut-être plus pour très longtemps), Conor O' Brien a profité de l'occasion pour mettre ses tripes à nu sur les 11 titres de "Becoming a Jackal". La plupart du temps interprétées dans des versions minimalistes (voix + guitare) qui leur sied à merveille, les chansons du premier album de Villagers font irrésistiblement penser à celle d'un autre Conor (Oberst), mélangeant avec soin folk US et pop anglaise.Moins intenses sur disque que sur scène, les chansons de Villagers n'en possèdent pas moins un fort pouvoir empathique grâce à des textes à la fois très personnels et universels. On citera parmi les morceaux les plus réussis de cet album aux côtés de la chanson-titre (Becoming a Jackal), les superbes Home ; Pieces et To Be Counted Among Men ainsi qu'un Set the Tigers Free ou encore l'introductif I Saw the Dead qui n'est pas sans rappeler les travaux récents d'un DM Stith ou d'un Patrick Watson.Né sous une bonne étoile, filante qui plus est, le projet solo de Conor O'Brien profite de l'excellent et mérité bouche-à-oreille généré par les performances live en tout point réussies de l'Irlandais. Son premier album s'impose d'ores et déjà comme l'une des très belles surprises de l'année. (indiepoprock)
On guette à chaque saison leur possible arrivée. Parfois ils disparaissent à la suivante en ayant laissé juste de quoi les regretter. Où sont passés Fyfe Dangerfield et ses Guillemots ? Les tourneurs de chansons se jouant des formats et des catégories, il n'en pleut pas tant que ça. Voici Conor J. O'Brien et ses Villagers, et un premier réflexe idiot serait de le mettre à l'abri du vent de l'année, de se le garder au chaud en attendant la suite. Mais à quoi bon ? Ce fier premier album a de quoi sortir seul et se défendre. I saw the dead est une fausse piste avec son arrangement violons-choeurs venu de chez Marvin Gaye. Plus O'Brien dépouille ensuite son talent brut, mieux il se porte. En douceur et finesse toujours, il lâche un peu ses tigres (Set the tigers free), rassemble à voix perchée les morceaux de lui-même (Pieces) et demande enfin qu'on pense à le compter parmi les hommes (To be counted among men, la plus belle pour la fin). Et cela n'est qu'un début. (télérama)

bisca
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Ma cédéthèque

Créée

le 26 févr. 2022

Critique lue 4 fois

bisca

Écrit par

Critique lue 4 fois

D'autres avis sur Becoming a Jackal

Becoming a Jackal
Mounia_KARRICH
7

Critique de Becoming a Jackal par Mounia_KARRICH

Cet album fait largement partie de ma playlist préférée, j'aime beaucoup la voix doucereuse, entraînante, chevrotante, de Conor O'Brien .Le titre " I saw the dead" commence sur les chapeaux de roues...

le 13 mars 2014

Becoming a Jackal
MarcPoteaux
7

Critique de Becoming a Jackal par Marc Poteaux

Quelquefois, on se lance, sur la foi d'un titre, d'un pochette, à l'assaut d'un album, en fantasmant son contenu. Et Et quelquefois, ça marche. D'autres fois, on tombe sur quelque chose de différent,...

le 21 oct. 2012

Du même critique

Le Moujik et sa femme
bisca
7

Critique de Le Moujik et sa femme par bisca

Avec le temps, on a fini par préférer ses interviews à ses albums, ses albums à ses concerts et ses concerts à ses albums live. Et on ne croit plus, non plus, tout ce qu'il débite. On a pris sa...

le 5 avr. 2022

3 j'aime

Santa Monica ’72 (Live)
bisca
7

Critique de Santa Monica ’72 (Live) par bisca

Ça commence avec la voix du type de KMET, la radio de Santa Monica qui enregistre et diffuse ce concert de Bowie, le 20 octobre 1972. « Allez hop on va rejoindre David Bowie qui commence son concert...

le 27 févr. 2022

3 j'aime

This Fool Can Die Now
bisca
7

Critique de This Fool Can Die Now par bisca

Depuis 2001, date de la sortie de son premier album Sweet Heart Fever, cette Anglaise originaire de Birmingham, a développé en trois albums et quelques maxis un univers étrange et singulier. Souvent...

le 11 avr. 2022

2 j'aime

1