On pourrait être tenté de dire que la musique parfaite est subjective. Mais si le morceau parfait est subjectif, l’album parfait est sans doute une autre histoire. Beaucoup plus délicat, il peut exprimer bien plus que le morceau.
Les albums bipolaires de Brian Eno (producteur de l'analogue mais plus accessible Low de Davis Bowie) arrivent à exprimer et transmettre beaucoup plus qu’une émotion: une philosophie, presque, grâce à leur architecture musicale. La première partie de l’album, avec ses rythmes rapides voire effrénés à la guitare ou au piano, ses percussions qu’on croirait parfois être le tintement d’une cuiller ou la chute d’une casserole, traduit un entrain décalé, porté par des bruits étranges. Les paroles d’Eno soutiennent cette ambiance grâce à des phrases à rallonge pour ne parfois rien dire, étrangement naïves et agitées. Une frénésie que l'on sent exprimer un trouble très profond:



There was a senator from Ecuador
Who talked about a meteor
That crashed on a hill in the south of Peru
And was found by a conquistador
Who took it to the emperor
And he passed it on to a Turkish guru... (Backwater)



comme lorsqu'on tente de couvrir le silence qui nous forcerait à réfléchir, comme lorsqu'on a peur que la solitude nous fera penser à des choses terribles et qu'on préfère s'en empêcher en s'agitant.


Mais dans la deuxième partie, ambiante, le silence a fini par se faire. Elle est d'abord suggérée par une pause dans la première, le tragique Energy Fools the Magician. Les nappes de synthés sont poignantes, les textes lyriques et contemplatifs, décrivant une vie dans un monde idyllique fait de rivières, d’océans, de ciels bleus, de bateaux qui s’en vont et où le temps s’arrête; monde utopique teinté d'une grande tristesse car impossible. Un monde primitif intouché des machines de l'homme, comme le suggère le titre, Before and After Science, et la comparaison avec les paroles de début d’album:



Through a fault of our designing we are lost among the windings
Of these metal ways (No One Receiving)



L’attitude d’Eno dans cette deuxième partie n’est plus frénétique mais contemplative.


Et ce qui donne une telle densité thématique et philosophique aux deux facettes de l’album est justement le fait qu'elles se côtoient, et c’est là tout le génie de Before And After Science.

Gandoulfe
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs albums d'électro ambiante et Les meilleurs albums de Brian Eno

Créée

le 4 janv. 2021

Critique lue 190 fois

Gandoulfe

Écrit par

Critique lue 190 fois

2

D'autres avis sur Before and After Science

Before and After Science

Before and After Science

le 2 oct. 2019

We sleep in the mornings... We dream of a ship that sails away, a thousand miles away...

Comme très souvent avec Brian Eno, il y a deux facettes dans cet album. Ses anciens album pop-rock, sous influence Bowie (alors que sur la Trilogie Berlinoise c'était l'inverse !), avaient deux...

Before and After Science

Before and After Science

le 4 janv. 2021

Dichotomie parfaite

On pourrait être tenté de dire que la musique parfaite est subjective. Mais si le morceau parfait est subjectif, l’album parfait est sans doute une autre histoire. Beaucoup plus délicat, il peut...

Before and After Science

Before and After Science

le 13 nov. 2019

10

  C’est quoi ce beat disco, fusion en-même-temps, qu’on n’arrive pas à le situer vraiment ? Y’a pas a dire, dès l’entrée en matière, c’est du lourd. Dansant, ça c’est sûr, mais on ne...

Du même critique

[Rhubarb]

[Rhubarb]

le 26 janv. 2021

Toute la beauté du monde en une seule musique

Si on aime une musique, si on l’aime vraiment, c’est souvent parce qu’elle transmet une émotion qui résonne en notre intérieur, elle nous rappelle à des souvenirs ou à des sensations, elle exprime...

L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford

le 4 oct. 2022

Ceci n'est pas une coquille vide

Difficile de trouver un angle d'attaque pour aborder ce chef d’oeuvre tant ses multiples facettes sont aussi profondes que variées. Et si c'est bien dans l'ensemble holistique de tous ces aspects, le...

Maria

Maria

le 5 févr. 2025

J'ai vécu d'art

Troisième exploration par Pablo Larrain de femmes célèbres après Jackie et Spencer, incarnées par de célèbres actrices. Troisième portrait de la névrose d'une femme, enfermée comme Lady D dans...