Depuis des années, à longueur d'albums aussi imposants et tumultueux que Sleep & Wake up Songs ou Down the River of Golden Dreams, on se dit que de grandes choses attendent, en aval, Okkervil River. Qu'il est impossible, cruel même, qu'une écriture aussi raffinée, aussi fulgurante, aussi poignante ne rejoigne pas un jour une élite à laquelle elle appartient sans aucune contestation possible ? on parle ici d'une confrérie de gueules cassées où règnent Neil Young, Sparklehorse, Leonard Cohen ou Townes Van Zandt. Comme ce dernier et illustre compatriote texan, les troupes de Will Sheff jouent une sorte de folk aride mais balayé par des rafales de cordes, des tourbillons d'arrangements incongrus.
Car là, en plein Texas profond, ce groupe littéraire invente une pop de chambre impensable, susurrée par une voix d'ange larguée en milieu hostile. Dans un monde où l'on tient pour génies des songwriters aussi étriqués et endettés que Bright Eyes ou même The National, des jeunes compositeurs de cette trempe et ce culot (on pense à Micah P. Hinson ou Sufjan Stevens) devraient être accueillis en sauveurs d'une americana qui, presque partout ailleurs, se mord la queue avec paresse et gloutonnerie. Ici, le salut du grand Ouest passe par un orchestre à grand souffle, par une reprise déchirante de Tim Hardin (Black Sheep Boy), par un genre de gospel païen et pâle troublant (Get Big), par une country-mariachi flamboyante (A Stone), par de chancelantes torch-songs à la Scott Walker, par un rock à l'électricité désespérée. Dans le genre tendu, luxuriant et habité, le disque de folklore nord-américain le plus étonnant depuis The Arcade Fire. (Inrocks)


En hommage à la figure culte de Tim Hardin et son folk sous héroïne, le quatrième album du quatuor Okkervill River n'a pourtant rien de maladif. Plus produit qu'à l'accoutumée avec renforts de trompettes et violons, Black Sheep Boy parcourt avec une aisance certaine tout ce que la country alternative américaine sait faire de mieux : peindre la désolation des sentiments sur fond de campagne désertée, où seuls les oiseaux apportent un peu d'humanité. Des Palace Brothers il y a dix ans à Damien Jurado, des Skygreen Leopards aux Canadiens de Molasses aujourd'hui, difficile pour le leader Will Shelf de trouver sa place (et sa voix) au milieu de ces poètes allumés et indomptables. Si For Real et Black évoquent la pop gonflée de Wilco, c'est plutôt dans les recoins silencieux de In A Radio Song ou sur le déjà entendu mais superbe So Come Back, I Am Waiting qu'on pourra ressentir un frémissement, une élévation. La maîtrise technique et le désir d'expansion d'Okkervil River sont tout à fait louables, mais ce n'est pas en dopant la production de ses disques que le groupe pourra s'affranchir de la tutelle franchement écrasante du Will Oldham. Black Sheep Boy ravira donc les amoureux du travail bien ordonné qui y verront une forme de consécration, et décevra à coup sûr tous les chercheurs de folk céleste et troué. (Magic)
Ce qu'il y a de bien avec Okkervil River c'est que, quand ils sortent un excellent album une année, ça ne leur suffit pas, il faut qu'ils l'enrichissent l'année suivante avec de nouvelles chansons du même acabit. Et ça donne aujourd'hui ce "Black Sheep Boy Appendix", réédition de l'album original agrémenté d'un bonus qui est bien loin d'être une simple coquetterie de distributeur. Le deuxième disque compense ici une longueur frustrante (7 chansons) par une intensité au moins égale à celle du premier. On y trouve quelques titres fortement emblématiques comme la chanson somme "Another Radio Song", qui est, sans nul doute, n'ayons pas peur de le dire, le meilleur titre de cette édition... A moins que ce ne soit "Last Love Song For Now", synthèse ultime, qu'on n'imagine guère pouvoir être dépassée sauf peut-être en envisageant la même chanson avec trois minutes de plus. Cette deuxième galette devient en tout cas bien vite tout aussi indispensable que l'était déjà la première ; c'est la principale chose à en retenir. Mais ce qu'il y a de bien aussi avec Okkervil River, ce ne sont pas seulement les chansons, c'est également l'album qui les soutient. En l'occurrence, un album semi-conceptuel qui tient son unité d'un morceau original de Tim Hardin ("Black Sheep Boy") maltraité et étiré dans tous les sens par l'imagination dérangée du groupe. Un album éminemment récursif donc, qui sait faire jaillir les auto-références aux moments où ne les attend pas forcément et fondre ces 18 chansons se répondant à elles-mêmes en un ensemble d'une cohérence rare, où s'égarent quelques enfants perdus, une clef, un programme et un amour sincère pour un vieux caillou (qui donne d'ailleurs lieu à une phrase assez magnifique au sein de la ballade "Song of Our So-Called Friend", meilleure chanson probable de ce double album : "You can not love me because you secretly still love a stone"). Ce qu'il y a de vraiment bien avec Okkervil River c'est tout simplement Will Sheff, le bien nommé, qui éructe ses couplets avec rage, chante avec retenue et parcimonie, rugit comme une bête égorgée, crache l'intégralité de ses viscères avant de finir par se calmer à nouveau, parfois, le tout pendant la seule durée d'une chanson. Dans le genre, c'est "For Real", bombe à retardement morbide mais tubesque, qui frappe le plus les esprits avec ses explosions syncopées qui envoient du sang, à travers la sono, jusque sur le visage de l'auditeur, déjà aspergé des gracieux postillons de l'incroyable Sheff. Inutile de préciser qu'il s'agit de la meilleure chanson de ce double album. Ce qu'il y a de bien encore avec Okkervil River c'est que leur style est comme la voix du chanteur, il a bien du mal à se limiter à ce à quoi on pourrait un moment l'assimiler. Bien sûr le banjo, l'accordéon, la guitare acoustique omniprésente, bien sûr tout ce petit monde américanisé tente de nous faire croire à un groupe alt-country. Mais les écarts de violence sont tellement bruts, les explosions de décibels font tellement de dégâts, à côté des petits refrains aériens dont le groupe est capable qu'il faudrait un article entier pour concevoir une étiquette à sa mesure. Ce qu'il y a de surtout bien pour finir avec Okkervil River, c'est que, parmi les nombreux paradoxes que soulève leur musique (Comment une même chanson peut surprendre à chaque écoute ? Comment autant de bonnes chansons peuvent obéir aux mêmes principes fondateurs ? Comment un disque ne peut être composé que de meilleures chansons ?) on n'aura jamais vraiment terminé de lister ce qu'il y a de bien chez eux...(Popnews)
Ce nouvel album de Okkervil River nous apporte une certitude : le folk-rock-country est l’apanage des Américains, une tradition musicale, un savoir-faire fièrement ancré dans leur patrimoine, porté par Dylan ou Neil Young, parmi beaucoup d’autres, pour notre plus grand plaisir.

Okkervil River est le groupe de Will Sheff, qui officie -au même titre que Jonathan Meiburg, présent sur le disque en seule qualité de musicien- au sein des célestes Shearwater. Il compose la totalité des chansons présentes, à l’exception de l’éponyme Black Sheep Boy, œuvre de Tim Hardin, qui semble parrainer le disque tout entier. La tonalité de l’album est résolument mélancolique mais, à l'inverse de Shearwater, les arrangements fourmillent et le ton se fait plus tendu. Les morceaux dévoilent progressivement leur vraie nature, comme ce For real faussement caressant qui s’affirme dans l’électricité, une fois passée l’introduction toute acoustique. La voix de Will Shelf s’apparente à celle de Conor Oberst, notamment quand elle se fait hargneuse, mais cependant délivrée de la théâtralité parfois irritante du leader de Bright Eyes. Chaque titre préserve ainsi son intensité sincère et touchante. Pour parachever le tout, l’illustrateur William Schaff est responsable de du très bel artwork du disque. Bien qu’il ait déjà mis en image les disques de Song : Ohia ou encore GYBE!, son univers sied (une fois de plus) parfaitement à ce folk ténébreux.(indiepoprock)


Certains d’entre nous auront la délicatesse d’avouer que oui, effectivement, Black Sheep Boy, ça nous dit quand même quelque chose. Les autres, l’air triomphant et le sourire amusé, ne se priveront pas d’enfoncer ce doute à coups de références, et ce sourire amusé de changer illico de support une fois la réponse assimilée. « I’m the family’s unowned boy » chantait Tim Hardin dans cette merveille folk de bijoutier méticuleux. De cette posture, Will Sheff, leader et songwriter tourmenté de Okkervil River, ceinture ses mélodies et les étire, au-delà des limites de ses cordes vocales, sans jamais les étouffer. Ses chansons parlent de toutes les morts possibles, de tous les mots impossibles, à dire, à entendre. Mais de ce monde où chaque relation est sauvage, émane une astucieuse alternance de mélodies frénétiques et de syllabes silencieuses, de souffles déposés et de ferventes guitares, accompagnant de fait la bande jusque sur un fil de funambule, mince frontière entre deux précipices aussi profonds qu’envoûtants : le rock à gauche et le folk à droite. Je ne sais pas combien de temps Okkervil River restera au-dessus – du fil, du lot – mais il peut tomber sans crainte : cet homme-là ne peut guère se faire plus mal. (liability)   
bisca
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le 11 avr. 2022

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