Salut Rick,
Tu t’es éclipsé un matin de septembre 2025, sans faire de bruit, comme si tu ne voulais déranger personne. L’annonce de ton départ s’est perdue dans le vacarme du monde, entre deux guerres et trois scandales. Tu n’as jamais cherché la lumière, mais c’est elle qui te cherche aujourd’hui.
Je repense souvent à toi derrière ton piano, le dos un peu voûté, concentré, avec cette élégance tranquille des gens qui n’ont rien à prouver. Tu n’étais pas un showman, tu étais un artisan. Tandis que Roger Hodgson regardait le ciel, toi tu regardais les touches de ton piano. C’est dans cet espace entre vos deux mondes qu’est né quelque chose de magique. Vous étiez deux pôles contraires, toi, le groove et la terre, lui, la mélodie et les nuages. C’est ce mélange qui a donné ce son si rare : à la fois cérébral, joyeux et mélancolique.
Je réécoute Breakfast in America et j’entends ton sourire partout. Cet album, c’est ton empreinte digitale sur le cœur de toute une génération. C’est le croissant doré du rock progressif : croustillant à l’extérieur et fondant d’ironie à l’intérieur. C’est un festin de claviers pétillants, de mélodies sucrées et de désillusions feutrées où l’Amérique rêvée se mêle au spleen britannique avec un humour d’orfèvre. Derrière ce banquet sonore, ta voix grave contrastait avec celle de Hodgson comme le café noir face au jus d’orange du matin. Sur les refrains de “The Logical Song” ou “Take the Long Way Home”, on sent battre ton cœur : celui d’un homme lucide, ironique, tendre, capable de transformer la mélancolie en mélodie universelle. Cet album, c’est toi : élégant, sincère et drôle à la fois. Sans toi, ce petit déjeuner n’aurait jamais eu la même saveur.
Tu avais cette façon rare de faire de la musique sans te mettre en avant, de laisser les chansons parler pour toi. Rien n’était forcé, rien n’était calculé. Tu jouais comme on respire. Même quand Supertramp remplissait les stades, on te sentait ailleurs, concentré sur l’essentiel : le son juste, la note vraie.
Tu sais, Rick, je crois que c’est pour ça qu’on t’aime tant. Pas pour tes solos (même s’ils étaient magnifiques), pas pour ta voix (même si elle réchauffait comme un whisky au coin du feu), mais pour ton honnêteté. Tu étais de ceux qui ne trichent pas. Tu faisais du bien sans bruit.
Tu es parti, mais ta musique, elle, n’a pas bougé. Elle flotte encore dans les matins tranquilles, dans les cafés, dans les voitures et surtout dans nos cœurs.
Je n’ai jamais cessé d’écouter ton solo sur le final de Child of Vision : il m’a porté chaque matin de mon année de Terminale, comme une main invisible posée sur mon épaule. Oui, Rick, c’est un peu grâce à toi que j’ai eu mon bac.
Quand le monde devient trop bruyant, il me suffit d’une de tes chansons pour que tout retrouve son sens, son rythme, sa respiration.
Alors merci, l’ami. Merci d’avoir mis un peu de beauté dans nos doutes, d’avoir fait groover nos mélancolies.
Où que tu sois, j’espère qu’il y a un bon piano, un ampli et cette lumière dorée qui tombe sur les touches comme un dernier lever de soleil.
Take the long way home, Rick.