Entre basses fantômes et éclats de lumière : Mount Kimbie, l’après-dubstep en clair-obscur

Avec "Cold Spring Fault Less Youth", Mount Kimbie signe en 2013 un album d’une rare subtilité, à la croisée d’une époque et d’un son en mutation. Héritiers de la scène post-dubstep britannique, le duo formé par Dominic Maker et Kai Campos ne se contente pas d’en prolonger les contours : il en propose ici une lecture personnelle, nuancée, presque introspective. Un pied dans l’underground électronique, l’autre dans une forme de pop déconstruite, Mount Kimbie choisit la voie de la transformation plutôt que celle de la répétition.


À sa sortie, Cold Spring Fault Less Youth prend à contre-pied les attentes. Alors que la scène dubstep s’est en grande partie métamorphosée – certains versant dans l’explosion massive (le fameux brostep), d’autres s’orientant vers des textures plus ambient ou house – Mount Kimbie refuse les deux extrêmes. Si les fondations rythmiques du dubstep sont encore perceptibles (ces syncopes, ces lignes de basse glissantes, cette spatialisation très marquée), elles sont ici absorbées dans une écriture plus douce, plus organique. Le duo s’éloigne du beat sec et binaire pour proposer des constructions plus souples, souvent flottantes, comme dans "Slow" ou "Break Well", où la tension rythmique se dilue au profit de nappes plus rêveuses.


Ce qui frappe dans cet album, c’est cette capacité à faire évoluer leur langage sans le trahir. Crooks & Lovers, leur premier opus, portait encore en lui les marques d’une production presque artisanale, brute, nourrie de field recordings et d’improvisation. Ici, le son se polit, gagne en amplitude, sans pour autant devenir lisse. Mount Kimbie explore davantage les textures mélodiques, intègre des instruments live, et surtout des voix. On pense bien sûr à King Krule, dont les interventions sur You Took Your Time et Meter, Pale, Tone électrisent l’album d’une tension urbaine et mélancolique. Sa voix rauque, presque désabusée, agit comme une fissure dans le mur de sons, rappelant que cette musique, si abstraite soit-elle, vient d’un endroit bien réel.


L’influence du dubstep est donc présente, mais en filigrane. Elle se devine plus qu’elle ne s’impose. Dans "Made to Stray", morceau-phare de l’album, les lignes de basse profondes, le kick métronomique et les samples percussifs évoquent clairement l’héritage des soirées bass music londoniennes. Mais là où d’autres auraient surchargé, Mount Kimbie choisit l’épure. Le morceau progresse lentement, avec patience, comme une montée sans explosion, jusqu’à atteindre une forme de transe douce, presque contemplative.


C’est sans doute là que réside la force de l’album : dans sa manière de prendre les codes d’un genre – le dubstep, dans sa version la plus fine – pour en tirer autre chose. Une musique plus cérébrale, mais pas froide ; plus posée, mais pas distante. Mount Kimbie parvient à capter l’esprit d’une époque tout en proposant un hors-champ.


Certains titres semblent moins marquants au premier abord, presque anecdotiques. Mais en les réécoutant, on comprend leur rôle dans l’équilibre de l’album. Ils servent d’espaces de respiration, de transitions, entre deux sommets plus affirmés. So Many Times, So Many Ways ou Lie Near par exemple, offrent ces moments de pause, de latence, qui donnent tout leur relief aux morceaux plus affirmés. C’est un album pensé comme un tout, où chaque pièce a sa place dans la narration.


En fin de compte, Cold Spring Fault Less Youth est un disque de transition, mais aussi de confirmation. Il acte la sortie de Mount Kimbie du giron strict du dubstep pour entrer dans une zone plus hybride, plus personnelle. Et c’est cette hybridation, cette recherche constante d’un son propre, qui rend l’album aussi attachant. Il ne cherche pas à séduire immédiatement, mais il s’installe, il se laisse apprivoiser, et finit par s’imposer comme une œuvre riche, cohérente et sincère.


Je garde de cet album le sentiment d’une traversée — entre deux genres, entre deux époques, entre deux façons d’envisager la musique électronique. Ce n’est pas un album qui crie, ni un album qui cherche à plaire à tout prix. C’est un album qui observe, qui sculpte le silence, qui murmure des choses importantes sans les imposer. Et pour cela, il mérite pleinement un 8/10. Pas pour sa perfection — car elle n’est pas son but — mais pour sa justesse, son audace discrète et sa belle fidélité à une idée de la musique comme espace de transformation.

CriticMaster
8
Écrit par

Créée

le 17 avr. 2025

Critique lue 3 fois

CriticMaster

Écrit par

Critique lue 3 fois

Du même critique

Fringe
CriticMaster
8

Entre science et conscience

Note personnelle : 8/10Il y a des séries qui se contentent de raconter des histoires, et d’autres qui cherchent à interroger notre réalité. Fringe fait résolument partie de la seconde catégorie. En...

le 10 juin 2025

1 j'aime

Smallville
CriticMaster
8

Smallville ou l’éternel adieu au costume

Smallville avait tout pour devenir une relecture brillante du mythe de Superman. Mais à force de retarder l’inévitable, la série se perd dans une adolescence qui s’éternise. Tom Welling campe un...

le 6 juin 2025

1 j'aime

Battlestar Galactica
CriticMaster
9

Le pouvoir sous pression : politique en apesanteur

Battlestar Galactica (2004) n’est pas seulement une série de science-fiction, c’est un laboratoire politique sous haute tension. Si je lui ai mis 9/10, c’est parce qu’elle réussit à conjuguer tension...

le 3 juin 2025

1 j'aime