J’ai récemment écouté trois intégrales des œuvres pour piano seul de Ravel, summum de l’impressionnisme, que je classerais par ordre croissant comme il suit : Thibaudet, Chamayou, Tharaud.
Compositions à la difficulté légendaire (cycles Gaspard de la Nuit, Tombeau de Couperin, Miroirs…) non seulement pour leur complexité technique mais aussi et surtout pour leur musicalité profonde et fortement référencée à la tradition romantique – finissante – incarnée par Liszt.
Ce qui tombe bien pour Chamayou, puisqu’il avait enregistré en 2006 les 12 Études (chez Sony, pas encore écoutées) et en 2011 l’intégrale des Années de pèlerinage, cette dernière au demeurant excellente et tempérée (Naïve), à l’opposé de la lecture flamboyante d’un Cziffra ou de la maniaquerie délicieusement virtuose d’une Muza Rubackyté (Lyrinx, 2004).
Bref, pour en revenir à Ravel c’est un peu la même chose ici, un modèle de tempérance, en particulier dans les pièces lentes et languissantes (Gibet, Couperin : « Forlane ») mais à la puissance fabuleusement canalisée sur les pièces fortes (Couperin : « Toccata », troisième mouvement de la Sonatine). Le tout brosse un tableau admirablement pondéré de l’œuvre du maître, tout en introduisant une sensibilité discrète mais présente (ce qui peut laisser accroire à un manque « d’émotion » comme l’ont signalé quelques membres du site).
C’est pourtant une interprétation ici très fidèle au crédo ravélien du « laisser-aller », sans s’éloigner d’une partition toujours pleine de détails sur la façon d’attaquer tel ou tel accord, de prolonger – ou non – tel ou tel silence ; la vue d’ensemble prime sur l’instant, la discipline se place au-dessus de la tendance irrésistible à improviser (ce que Pogorelich, malgré son tempérament atypique, avait aussi parfaitement assimilé, livrant une lecture du Gaspard foudroyante d’originalité, notamment l’Ondine). On pourra regretter justement que le Gaspard de Chamayou soit un peu trop sage, notamment un Scarbo sans relief, ou que ses Miroirs peinent à décoller dans les moments plus emportés.
Quant à la prise de son, toujours excellente chez Erato, c’est ici une réussite relative, un poil trop réverbérée comme ont tendance à le faire les labels de nos jours sur du Ravel (cf. le raté de Kay Kyung Eun Kim chez Sony, 2021, alors que c’est au demeurant une bonne interprétation) mais surtout manquant de profondeur, notamment dans les basses (pourtant capitales chez le compositeur français).